Et si on appliquait la loi de l'Eglise?
Il n'y a pas QUE l'abus sur mineurs qui soit un délit pour le droit canon. Et pourtant, ce crime-là est le seul qui ne pardonne pas, y compris dans l'Eglise. Pourquoi? (*). Réflexion du P. Scalese, code de droit canonique en main, en marge de l'affaire McCarrick (2/9/2018)
McCarrick
(*) A vrai dire, on s'en doute un peu...
"Les lois existent, mais qui les applique?"
Père Giovanni Scalese
querculanus.blogspot.com
1er septembre 2018
Ma traduction
* * *
Hier Sandro Magister a publié sur son blog Settimo Cielo un post qui ne dit rien de nouveau, mais qu'il est utile de lire pour se rafraîchir la mémoire sur certains faits et certaines déclarations. J'ai été frappé en relisant les paroles prononcées par le Pape François sur le vol de retour de Rio de Janeiro à Rome le 28 juillet 2013. C'est peut-être la conférence de presse la plus célèbre du pontificat, je veux parler de celle du «Qui suis-je pour juger?». Donc, archiconnue. Et pourtant, à la relire aujourd'hui, à la lumière des faits qui sont apparus par la suite, certains passages, à qui l'on n'avait pas accordé trop d'importance, prennent un sens différent.
Lors de cette conférence de presse, le Pape faisait une distinction entre délit et péché :
« Je vois que souvent dans l’Église, au-delà de ce cas et aussi dans ce cas, on va chercher les « péchés de jeunesse », par exemple, et on les publie. Pas les délits, eh? Les délits c’est autre chose: l’abus sur mineurs est un délit. Non, les péchés. Mais si une personne, laïque ou prêtre ou sœur, a fait un péché, et ensuite s’est convertie, le Seigneur pardonne, et quand le Seigneur pardonne, le Seigneur oublie et cela est important pour notre vie. »
A part quelques approximations (même les délits peuvent être pardonnés par Dieu), la distinction en soi est juste: s'il est vrai que tous les délits sont des péchés, ce n'est pas pour autant que tous les péché sont des délits (ne pas aller à la messe le dimanche est un péché, mais ce n'est pas un délit). Pour savoir ce qu'est un péché, on peut se référer tranquillement à la définition classique du Catéchisme de Saint Pie X: une offense faite à Dieu, en désobéissant à sa loi. Alors que la notion de délit peut être déduite du canon 1321 § 1: la violation externe de la loi ou du précepte gravement imputable du fait de son dol ou de sa faute (dans le Code précédent, la définition suivante était donnée: «Avec le nom de délit, on entend, dans le droit ecclésiastique une violation externe et moralement imputable d'une loi à laquelle est attachée une sanction canonique au moins indéfinie», can. 2195 CIC 1917).
Le Pape a donc raison de rappeler cette distinction. En relisant ses paroles, cependant, on a l'impression qu'il y a un malentendu fondamental: qu'il fait une distinction non pas entre péché et délit au sens canonique, mais entre péché et délit compris comme violation du droit civil. D'où me vient cette impression? De l'exemple qui est donné: «L'abus sur mineur est un délit». C'est vrai aussi: l'abus sur mineur est considérée comme un délit à la fois par le droit canonique et par le droit civil. Le fait, cependant, que toutes les autres transgressions contra sextum [contre le sixième commandement] (dans l'interview, il était question des relations homosexuelles) soient déclassées au rang de simples péchés («péchés de jeunesse») fait clairement comprendre que le fondement de la distinction n'est pas le droit canon, mais le droit civil, qui ne considère pas les relations sexuelles entre adultes consentants - qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels - comme un délit.
Il se trouve, cependant, que pour les clercs, le Code de Droit Canonique considère comme un délit non seulement l'abus sur mineurs, mais aussi d'autres péchés contre le sixième commandement (le can. 695 § 1 étend les mêmes crimes aux religieux) :
Can. 1395 - § 1. Le clerc concubin, en dehors du cas dont il s'agit au can. 1394 [attentat contre le mariage], et le clerc qui persiste avec scandale dans une autre faute extérieure contre le sixième commandement du Décalogue, seront punis de suspense, et si, après monition, ils persistent dans leur délit, d'autres peines pourront être graduellement ajoutées, y compris le renvoi de l'état clérical.
§ 2. Le clerc qui a commis d'une autre façon un délit contre le sixième commandement du Décalogue, si vraiment le délit a été commis par violence ou avec menaces ou publiquement, ou bien avec un mineur de moins de seize ans, sera puni de justes peines, y compris, si le cas l'exige, le renvoi de l'état clérical.
Comme on peut le voir, dans ce canon trois types de crimes sont considérés: concubinage; situation scandaleuse (parmi lesquelles les relations homosexuelles); abus sur mineur. Par conséquent, pour le droit canonique, il n'y a pas que ces derniers qui constituent un délit, il y a aussi les péchés contra sextum visés au § 1. Ce qui signifie qu'une fois avérés, ils doivent être opportunément sanctionnés. On ne peut pas liquider la question en disant simplement: il s'agit de relations consensuelles entre adultes, qu'ils voient avec leur confesseur.
Mais cela semble être cette mentalité qui est aujourd'hui répandue. La déclaration du cardinal Joseph William Tobin, archevêque de Newark, a fait un certain bruit: niant avoir été au courant des allégations d'abus faites contre le cardinal McCarrick, il a admis candidement:
Par le passé, il y a eu des accusations selon lesquelles il serait impliqué dans des relations sexuelles avec des adultes. Cet archidiocèse et le diocèse de Metuchen ont reçu trois allégations d'inconduite sexuelle avec des adultes, il y a des décennies de cela, dont deux ont donné lieu à des réparations financières.
Et il semblerait que cette mentalité soit à la base de l'attitude du Saint-Siège envers le cardinal McCarrick: tant qu'il ne s'agissait que d'adultes (même s'ils étaient séminaristes), nulla quaestio; dès qu'il a été accusé d'abus sur mineurs, la sanction est immédiatement tombée.
On dirait qu'au-delà des règles canoniques, il y a une sorte d'accord tacite, qui fait qu'on ne doit intervenir qu'en cas d'abus sur mineurs, fermant les yeux sur d'autres conduites immorales du clergé. Ne serait-ce pas l'occasion d'appliquer les lois existantes plutôt que de se laisser inspirer par des théories périlleuses sans aucun fondement moral ou canonique?
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