Les mots du Pape, pour justifier l'euthanasie
Un juge anglais se réclame d'un message de François pour décider, contre l'avis des parents, d'interrompre l'assistance respiratoire à un bébé atteint d'une maladie dégénérative "incurable" (27/2/2018).
L'affaire Alfie Evans, ce bébé atteint d'une maladie "neuro-dégénérative" mortelle, dont un tribunal anglais a décidé, contre l'avis des parents, d'interrompre l'assistance respiratoire qui le maintient en vie, et, CAS AGGRAVANT, EN S'APPUYANT POUR JUSTIFIER SA SENTENCE DE MORT SUR UNE LETTRE... DU PAPE LUI-MÊME, a fait grand bruit en Italie (et sans doute dans la sphère anglophone, que je suis moins), mais la couverture médiatique en France, blogs compris, a été d'une discrétion de violette.
Notons que les mêmes italiens n'étaient pas animés au départ d'un esprit polémique contre François: ils n'ont pas attendu la sentence du juge anglais pour se mobiliser en faveur du maintien en vie du petit Alfie et implorer auprès des autorités civiles la "grâce" du malheureux bébé. Aujourd'hui, ils déplorent le silence du Pape, et dénoncent l'exploitation d'un texte ambigu dont l'instrumentalisation aurait dû faire - au moins! - l'objet d'une ferme mise au point de la Salle de presse du Saint-Siège.
Voici le bref compte-rendu du site genethique.org, le 21 février, qui s'appuie sur un article du Daily Mails - sans mentionner, évidemment, le rôle du Pape
Alfie Evans, 21 mois, est atteint d’une «maladie neurodégénérative, progressive et mortelle» et dans un coma profond depuis un an. Suite au désaccord entre les parents, qui souhaitent essayer de nouveaux traitements à l’étranger, et l’Hopital Alder Hey, qui considère l’enfant en situation d’acharnement thérapeutique, l’affaire a été portée devant la Division familiale de la Haute Cour de Justice, à Liverpool et à Londres.
Le juge Hayden a rendu son verdict mardi : il considère que tous les soins raisonnables ont déjà été effectués, l’assistance respiratoire n’étant plus qu’une question de maintien en vie. Une conclusion tirée «à contrecœur et tristement», a-t-il précisé. « Alfie a maintenant besoin de soins palliatifs de bonne qualité », a-t-il ajouté, « j'entends par là des soins qui le garderont le plus à l'aise possible à la dernière étape de sa vie. Il a besoin de paix, de tranquillité et d'intimité pour pouvoir terminer sa vie comme il l'a vécu, avec dignité ».
L’arrêt de l’assistance respiratoire est prévue vendredi prochain par l’hôpital, une décision que les parents du garçon qualifient de « condamnation à la peine de mort ». Ceux-ci ont demandé un temps de réflexion et sont résolus à ne pas « abandonner le combat ».
La lettre du Pape en cause ici est le message, adressé à Mgr Paglia (!!) le 16 novembre 2017, à l'occasion d'une rencontre de la World Medical Association, «sur les questions de fin de vie».
La lettre n'a pas été traduite en français sur le site du Vatican, mais Zenit s'en est chargé.
Extrait:
Aujourd’hui, il est aussi possible de prolonger la vie dans des conditions que l’on ne pouvait même pas imaginer dans le passé. Les interventions sur le corps humains deviennent toujours plus efficaces, mais elles n’apportent pas toujours une solution : elles peuvent soutenir des fonctions biologiques devenues insuffisantes, ou carrément les remplacer, mais cela n’équivaut pas à promouvoir la santé. Il faut donc un supplément de sagesse, parce qu’aujourd’hui, la tentation d’insister avec des traitements qui produisent des effets puissants sur le corps est plus insidieuse, mais parfois ils ne servent pas au bien intégral de la personne.
(...)
Il est moralement licite de renoncer à l’application de moyens thérapeutiques, ou de les suspendre, quand leur emploi ne correspond pas à ce critère éthique et humaniste qui sera par la suite défini comme la « proportionnalité des soins » (cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur l’euthanasie, IV, 5 mai 1980). L’aspect particulier de ce critère est qu’il prend en considération "le résultat que l’on peut attendre, compte tenu des conditions du malade et de ses forces physiques et morales" (ibid.). Cela permet par conséquent de parvenir à une décision qui se qualifie moralement comme un renoncement à l’ "acharnement thérapeutique".
(...)
Certes, quand nous nous immergeons dans le concret des conjectures dramatiques et dans la pratique clinique, les facteurs qui entrent en jeu sont souvent difficiles à évaluer. Pour établir si une intervention médicale cliniquement appropriée est effectivement proportionnée, il n’est pas suffisant d’appliquer de manière mécanique une règle générale. Il faut un discernement attentif, qui considère l’objet moral, les circonstances et les intentions des sujets impliqués.
(...)
Comme je l'ai dit, l'affaire a été amplement relayée par la cathosphère transalpine. Parmi les articles (Tosatti , Valli , etc... ) qui soulèvent le problème de l'instrumentalisation du Pape à travers un texte ambigu donc propre à susciter plusieurs lectures, j'ai choisi de traduire l'éditorial de Riccardo Cascioli sur la Bussola d'hier, qui résume bien et en peu de phrases les différents épisodes:
QUAND LES PROPOS DU PAPE SONT UTILISÉS POUR DONNER LA MORT
Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
26 février 2018
Ma traduction
* * *
Le juge anglais qui a ordonné que le ventilateur du petit Alfie soit débranché s'est prévalu d'un passage de la lettre que le Pape a écrite pour la récente conférence au Vatican sur la fin de vie. Un texte qui est effectiveement ambigu, mais on attend un démenti à l'interprétation donnée par les médecins britanniques.
Lire qu'un juge a été jusqu'à citer un document du Pape pour justifier une condamnation à mort est une chose qui déconcerte et qui attriste. Nous parlons du jugement du juge Anthony Hayden, qui a décidé le 20 février dernier que le ventilateur qui garde le petit Alfie Evans en vie devait être débranché. Le document en question est la lettre que le Pape François a envoyée à Mgr Vincenzo Paglia, président de l'Académie Pontificale pour la Vie, lors d'une conférence sur la fin de vie qui s'est tenue au Vatican en novembre dernier.
Le juge Hayden a cité le passage dans lequel le Pape François a parlé «de la tentation de plus en plus insidieuse (...) d'insister sur des traitements qui produisent des effets puissants sur le corps, mais qui parfois ne profitent pas au bien intégral de la personne»; et il a qualifié de «moralement licite» la renonciation ou la suspension de l'application de moyens thérapeutiques «quand leur emploi ne correspond pas à ce critère éthique et humaniste qui sera défini plus tard comme "proportionnalité des traitements"».
Il nous faut avant tout condamner l'instrumentalisation des paroles du Pape faite par le juge pour légitimer sa décision sur le plan éthique, compte tenu également du fait que les parents d'Alfie sont catholiques. En d'autres termes, aux parents qui ne veulent pas céder aux chirurgiens hygiénistes de Liverpool pour faire mourir Alfie, le juge dit: «Pourquoi insistez-vous? Même votre Pape dit que dans ces cas, la prise doit être débranchée». C'est une façon totalement incorrecte d'intervenir - en appliquant indûmment au cas ici en cause des paroles prononcées par le Pape dans un autre contexte -, dans le but d'affaiblir la résistance des jeunes parents et de leur faire accepter la décision des médecins.
Cela dit, il faut toutefois reconnaître que le fameux message envoyé par le Pape aux participants à la conférence du Vatican, sur le point de la définition de l'obstination thérapeutique, est effectivement problématique. Ce n'est pas pour rien que le juge mentionne le passage que la Nuova Bussola avait aussitôt qualifié de très ambigu, voire, dans certaines parties, erroné. Déjà à l'époque, certains avaient soutenu que le tumulte provoqué par ce document avait ouvert la voie à la loi italienne sur les DAT [Dispositions Anticipées de Traitement] qui, de fait, ouvrait la voie à l'euthanasie (1). Aujourd'hui, on en voit même l'usage dans un cas très particulier comme celui du petit Alfie.
Tout cela se situe ensuite dans un contexte où les bioéthiciens catholique sont eux aussi divisés. Nous l'avons vu ces derniers mois à propos du cas de Charlie Gard quand un certain nombre de médecins catholiques soutinrent que garder Charlie en vie était de l'acharnement thérapeutique. Ici aussi, il serait donc nécessaire de clarifier le concept d'acharnement thérapeutique pour en éviter l'utilisation abusive.
En tout état de cause, il ne saurait être acceptable qu'une intervention du Pape soit instrumentalisée pour appuyer le choix d'un juge civil. Le silence observé jusqu'à présent par le service de presse du Vatican, qui s'est montré à d'autres occasions très réactif, est donc incompréhensible. C'est un silence qui scandalise au point que depuis hier, on voit tourner sur les réseaux sociaux un appel au pape François «pour qu'il fasse entendre clairement sa voix, afin que, pour aucun enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant ne soit d'être tué».
Le silence est d'autant plus grave qu'il accepte que le message de l'Église, au lieu d'élever le débat à sa vérité originelle, soit dévalorisé en un instrument de discorde entre factions opposées.
NDT
(1) Voici ce qu'on pouvait lire à ce sujet sur le site de Marianne, le 14 décembre dernier:
EN ITALIE, LE PARLEMENT ADOPTE SA LOI SUR LA FIN DE VIE
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Le sénat italien a approuvé ce jeudi 14 décembre le projet de loi sur le testament biologique, prévoyant des dispositions de fin de vie. Le débat aura été rude face à l'opposition des catholiques.
La bataille aura duré des années. Notamment en raison de l’opposition des catholiques, quelle que soit leurs appartenance politique. Puis lentement, le mur de l’incommunicabilité entre partisans et opposants au projet de loi sur la fin de vie s’est effrité en Italie, jusqu'à son adoption ce jeudi 14 décembre en deuxième lecture au Sénat, par 180 voix contre 71 défavorables et 6 abstentions.
En novembre dernier, les déclarations du pape François sur le fait « qu’il est moralement licite de renoncer à des soins thérapeutiques ou de les arrêter » a assoupli une partie des mouvances catholiques parlementaires. Mais pas toutes, certains parlementaires ayant jusqu'au bout refusé d’approuver un texte ouvrant, selon eux, la porte à une autre discussion sur l’euthanasie. Ce qui est pour le moins improbable, du moins dans l’immédiat.
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