Une autre "lettre à Alfie"
Celle que m'a transmise un lecteur inspiré, et que je reproduis ici très volontiers (30/4/2018)
>>> Dossier Alfie
Mon bien cher Alfie,
J’ai beaucoup pensé à toi ces derniers jours.
Je ne te connais qu’à travers le filtre déformant des réseaux sociaux et autres médias numériques, mais de façon inexplicable tu occupes une place importante dans mon cœur et mes pensées.
Je regarde depuis plusieurs semaines, impuissant, la macabre saga qui emporte ta vie, habité d’une rage froide et d’une oppressante tristesse. Je prie pour toi, avec mon épouse et mes enfants. Mais je ne suis pas venu te parler de moi. C’est toi qui m’intéresses.
Maintenant que tu as quitté notre vallée des larmes, j’ai besoin de m’unir à ta souffrance de ces derniers jours, à tes dernières heures, à ton dernier souffle. Tu m’offres l’image du Christ en Croix, l’innocent sacrifié. J’éprouve le même désir ardent de faire mienne ta souffrance que j’aspire à partager la sienne. Alors permets-moi, avec amour, d’imaginer tes derniers jours, à la lumière de la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour pouvoir faire le deuil de ton départ, et entrer dans la joie de ta résurrection. …
Tu es à l’hôpital, seul. Ton papa et ta maman sont sortis pour tenter encore une fois de te sauver, d’infléchir la décision de magistrats-technocrates qui ne t’ont jamais vu mais qui ont le pouvoir de décider de ta vie ou de ta mort. «Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut (Jn 19, 11)».
Tu es seul donc, entouré de machines imposantes, dont la présence oppressante ne fait qu’accentuer ta détresse. Tes yeux sont clos, mais ton cœur est ouvert. Encore rempli de confiance et d’abandon, comme sont les cœurs d’enfants qu’on a pas meurtris au point de les briser. Si tu étais encore capable de bouger tes petites menottes, elles s’ouvriraient sans doute, et chercheraient un point de contact, un visage, un sourire, capable de fournir une réponse convaincante.
Pourquoi, cette maladie qui me ronge?
Pourquoi suis-je parti de la maison depuis si longtemps que j’ai oublié à quoi elle ressemblait?
Pourquoi papa hurle-t-il dans le couloir, de rage et d’impuissance?
Pourquoi maman pleure-t-elle, et parle-t-elle de «mon départ»?
Pourquoi les médecins échangent-ils sur la façon de me «laisser partir»?
Pourquoi des policiers entourent-ils ma chambre et pourquoi tant de personnes avec des pancartes devant l’hôpital? Qui me protège, qui me menace?
Si tu étais en âge de le comprendre, tu te serais aussi demandé pourquoi des juges, à l’autre bout de la ville, ont acté ta mort du sceau de leur marteau.
Mais un bruissement t’extirpe de ces questions lancinantes. D’un coup, ton cœur s’emballe et s’emplit de joie. Pas de sourire lisible sur ton visage, évidemment. Dans l’entrebâillure de la lourde porte de cette chambre si bien gardée, tu perçois la présence de tes parents qui entrent à nouveau. Un instant plus tard la douce voix de ta maman berce ton âme tandis que les bras forts de ton papa t’entourent. Dernières bribes de plénitude avant le supplice.
Jeudi Saint. Quelques heures plus tard, une irrépressible angoisse de mort te saisit. Malgré les protestations, les larmes, les cris de tes parents, contre leur bienfaisante protection, un médecin entre dans ta chambre pour remplir sa sinistre mission.
C’est Gethsémani et l’arrestation de Jésus. Le pourvoyeur de mort vient te débrancher. L’oxygène, lui, vient à manquer. C’est alors - certains se plaisent à le penser, la Vierge Marie t’aurait souri, comme à Sainte Thérèse enfant – c’est donc alors que leur plan macabre a échoué: te voilà qui respires à nouveau par toi-même, sans ce vilain tuyau qui t’insufflait un oxygène artificiel. Miracle offert à la vue du monde entier, ultime soubresaut de ta vie ici-bas, que le Seigneur permet pour manifester qu’Il est, Lui, seul maître de la vie.
Après l’air, c’est maintenant l’eau et la nourriture qui te manquent. Le Christ est flagellé et couronné d’épines.
Tu t’affaiblis, et tes parents tentent une ultime négociation pour que ta prison redevienne un hôpital. Ils vont jusqu’à lire devant les médias un texte qu’on leur a dicté, sans doute en échange d’une fausse promesse de grâce pour toi. C’est Véronique qui essuie le visage de Jésus pendant qu’il porte sa croix, et le Cyrénéen qui l’aide à porter sa croix. Tous les deux, aidant le Christ, ressortent épuisés et les mains sales. Un autre, quelques heures avant, a gardé les mains propres, il se les est même lavées. Apparences trompeuses.
Puis voilà la mise en Croix. Dernières heures de silence médiatique, comme si le monde percevait que vraiment, celui qu’on est en train de tuer est fils de Dieu, puisqu’il est frère du Christ. Dans ta petite âme, le tumulte de l’agonie fait place à la paix des saints. Ton âme s’élève, et tu aperçois tes parents éplorés qui enlacent ton enveloppe charnelle. Prenant de la hauteur, ton regard embrasse d’un seul coup le globe terrestre. Tu aperçois un homme en blanc qui prononce ton nom pour essayer de te sauver, des milliers de personnes à genoux, tu entends leurs prières et découvre avec émerveillement la foule de petits et grands sacrifices offerts pour toi et tes parents ces dernières semaines.
L’homme en blanc supplie depuis Rome qu’on te laisse venir à lui (*), et émergeant de la foule des anonymes, voilà que même des présidents réclament ta grâce. Du haut de tes deux ans, émerveillé, tu découvres l’ampleur incroyable du mouvement que ton calvaire a suscité, et qui rend visible la fécondité surnaturelle de ta courte vie sacrifiée, unie au sacrifice du Christ. D’ailleurs le Christ, tu le vois à présent. Il t’ouvre Ses bras, avec un amour tel que jamais, tu n’en as connu sur terre.
Te voilà en paix, éternellement.
Tu avais l’âge de mon fils, Alfie. Tu étais une promesse, un petit être aux multiples potentialités. Mais à y bien penser, c’est encore mieux maintenant, puisque tu vas travailler d’en-haut à diviniser une humanité que tu n’auras pu transformer ici de tes petits bras. Merveille du Père, tu es désormais assis sur Ses genoux. Oh, que la Sainte Trinité a dû t’accueillir avec des transports de joie cette nuit! Quels cantiques les chœurs des anges n’ont-ils pas entonné pour leur petit bonhomme, oserais-je dire, leur mascotte, leur petit préféré, le saint du mois? Sûr que tu dois être bien placé là-haut.
Alors à défaut d’avoir pu faire autre chose que prier pour toi ici-bas, j’ai une co-mission pour toi, mon cher Alfie. Maintenant que tu es au paradis, je t’en supplie, prie.
Distribue les grâces que les mérites de ton chemin de Croix nous ont gagnées pour l’éternité.
Prie pour tes parents, qu’ils sortent renforcés dans leur foi de cette épreuve, et qu’ils deviennent de plus en plus des témoins de feu de l’amour de Dieu.
Prie pour les enfants qui comme toi, sont aujourd’hui menacés de mort par la folie technologique et l’orgueil prométhéen des adultes. Tous ces petits que l’on veut avorter, les enfants abandonnés, esclaves sexuels ou esclaves du travail, innocents comme toi euthanasiés dans nos pays autrefois chrétiens, aujourd’hui dégénérés.
Prie pour les chrétiens, qu’ils aient enfin et de plus en plus le courage de se battre de toutes leurs forces spirituelles et humaines pour une culture de la vie. Que nous ne reculions devant aucun sacrifice pour que triomphe une culture de vie.
Prie pour les évêques et les membres du clergé, pour qu’ils aient le courage, comme le pape François l’a fait pour toi, de faire bouclier de leur corps, de leur honneur et de leur respectabilité, pour protéger les petits que l’on assassine.
Prie pour notre humanité devenue folle, qui détruit les familles, les couples, les personnes. Qui nie la vérité sur mariage, l’altérité homme-femme, la dignité de personne des enfants in-utéro, la nécessité d’avoir un père et une mère, la valeur de la vie des personnes souffrantes. En un mot, qui n’aime plus ni Dieu, ni la vie.
Prie pour tes bourreaux, médecins, magistrats, journalistes, policiers. Tout plus ou moins victimes et plus ou moins coupables, mais tous participants de l’implacable rouage de mort qui t’a écrasé. Que le diable n’ait pas le dernier mot dans leur existence, mais que résonnent de concert pour eux ces trois mots fruits du même amour: conversion, pénitence, miséricorde. Eux qui t’ont privé d’oxygène, d’eau et de nourriture, qu’ils ne connaissent pas le sort de l’homme riche qui a ignoré Lazare.
Prie pour nous tous qui, trop souvent, nous laissons gagner de façon plus ou moins visible par la culture de mort, qui débute dans le matérialisme et la négation du transcendant, dans l’oubli de Dieu.
Prie Alfie, pour que nous soyons dignes de ta dignité, celle précisément dont tu as été privé en apparence, mais qui en réalité et par-dessus tout éclate aujourd’hui en chant de victoire, puisqu’elle est la marque indélébile des enfants de Dieu.
Merci Alfie, petit chevalier.
A Dieu, mon grand.
NDR
(*) Ce n'est certes pas le moment, ni l'endroit, pour réactiver de mesquines querelles humaines, mais je ne suis pas persuadée que "l'homme en blanc" a fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver Alfie. Sans parler du temps qu'il lui a fallu pour réagir, en recevant le père de l'enfant, il ne faut pas oublier que les clercs qui ont le plus gravement manqué à leurs devoirs (l'épiscopat d'Angleterre et Vincenzo Paglia en particulier) comptent parmi ses fidèles soutiens
Et il y aurait sans doute bien d'autres choses à dire à ce sujet...
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.