Une interview "en pointillé" de Mgr Vigano

.. au Washington Post. Dans une correspondance par mail qui a duré deux mois, il s'explique sur ses accusations, sur le silence persistant du pape, et sur le refus délibéré de répondre à son rapport explosif d'août 2018. Et il n'hésite pas à affirmer que François "ment au monde entier pour couvrir ses mauvaises actions" (12/6/2019)

Il ne s'agit pas d'une interview au sens classique du terme, puisque qu'elle s'est étalée sur pas moins de deux mois, à travers des échanges faits uniquement par mail (le WP a compté en tout 8000 mots). L'un des derniers échanges concerne l'interview que François a accordée fin mai à une journaliste de la télévision mexicaine, Valentina Alazraki (cf. Une leçon de journalisme, 30/5)

Le WP a publié 2 articles traitant de cette "interview en pointillé".
Je n'en ai traduit qu'une partie.
Le premier article est en quelque sorte "l'histoire" de l'interview, et le second en donne la transcription.

Le fait que Mgr Vigano doive vivre caché est évidemment très significatif, et très inquiétant.

Il a appelé le Pape à démissionner. A présent, cet Archevêque est dans un endroit secret


Washington Post
9 juin 2019
Ma traduction

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À l'instant où il est devenu l'une des figures les plus controversées de l'histoire de l'Église catholique moderne, l'archevêque Carlo Maria Viganò est entré dans l'ombre.


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L'été dernier, l'ambassadeur - aujourd'hui à la retraite -, du Vatican à Washington, a écrit une lettre explosive appelant le pape François à démissionner au motif qu'il avait toléré un agresseur sexuel notoire. Quand cette lettre a été publiée, Viganò a éteint son téléphone, a dit à ses amis qu'il disparaissait et a laissé l'Église s'occuper des retombées.
Neuf mois plus tard, dans sa première longue interviewe depuis lors, Viganò refuse de révéler où il se trouve et de parler de l'exil qu'il s'est imposé. Mais ses commentaires indiquent que, même en se cachant, il maintient son rôle de critique le plus féroce de la papauté de François, agissant soit comme un honorable rebelle, soit, comme le voient ses détracteurss, comme un guerrier idéologique attaquant un pape qui ne lui plaît pas.
Pendant deux mois, Viganò a correspondu par mail avec le Washington Post, écrivant 8 000 mots en réponse à près de 40 questions. Il a déploré, dans sa critique de François que le pape "mente ouvertement au monde entier pour couvrir ses mauvaises actions", disant que "c'est extrêmement triste".

Le Vatican a eu peu de réponse officielle à Viganò. Un responsable des communications a refusé de commenter cet article. Mais le mois dernier François a répondu pour la première fois à la lettre de Viganò (cf. Une leçon de journalisme). Le pape a dit qu'il ne savait "rien, évidemment rien" au sujet de l'inconduite de l'ex-cardinal Theodore McCarrick et qu'il ne se souvenait pas si Viganò l'avait mis en garde contre McCarrick en 2013. Viganò a affirmé avoir dit à François que McCarrick avait "corrompu des générations de séminaristes et de prêtres".
"Comment quelqu'un, surtout un pape, pourrait-il l'oublier?" a écrit Viganò au Post.

Dans sa correspondance avec le Post, Viganò a offert des réflexions détaillées sur les affaires de l'Église, mais il s'est dérobé aux questions personnelles - et il a refusé les demandes de rencontre en personne. Viganò a écrit qu'il est devenu "plus prudent sur qui je rencontre et sur ce que je dis". Il a dit que les questions à son sujet étaient "sans rapport avec les graves problèmes auxquels l'Eglise est confrontée".
"Ma vie est tout à fait normale, merci d'avoir posé la question" écrit-il.
Viganò a écrit "n/a" (no answer, pas de réponse) en réponse à des questions sur l'endroit où il vit, s'il croit que sa sécurité est menacée et comment ses actions en août ont changé sa vie.
...

Viganò n'a fait référence qu'à deux regrets au sujet de sa lettre de l'été dernier. Il a dit qu'il aurait aimé s'exprimer plus tôt. Il a également dit que, rétrospectivement, il aurait adouci l'appel à la démission de François - une demande que même les partisans de Viganò trouvaient exagérée et déroutante.
Viganò laisse maintenant ouverte la possibilité que François puisse se repentir, et dit que le pape devrait se retirer "s'il refuse d'admettre ses erreurs et de demander pardon".

L'Archevêque Vigano donne sa première interview détaillée depuis qu'il a appelé le Pape à démissionner


Washington Post
10 juin 2019
Extraits choisis, ma traduction


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Il y a eu un manque notable de dénégations de la part du Vatican sur les détails de votre témoignage, et le Pape François n'a pas encore répondu. Comment interprétez-vous ce silence ?

Personne n'a démenti de façon plausible les faits que j'ai exposés dans mon témoignage initial parce que personne ne peut nier la vérité. Les cardinaux et les archevêques que j'ai nommés ne veulent pas être pris en flagrant délit de mensonge, et ils pensent apparemment qu'ils sont si puissants qu'ils sont intouchables s'ils restent silencieux et se cachent. La vraie question est de savoir pourquoi les journalistes les laissent s'en tirer comme ça.
Non seulement mes témoignages n'ont pas été niés, mais certains des faits qu'ils contiennent ont été confirmés de façon indépendante. Pour ne citer que deux exemples, la lettre de [l'archevêque de l'époque Leonardo] Sandri au père Ramsey [Boniface] a confirmé mon affirmation selon laquelle les autorités du Vatican étaient au courant des allégations de McCarrick dès 2000, et le cardinal[Marc] Ouellet, dans sa lettre ouverte, m'a confirmé que le pape Benoît XVI m'avait dit personnellement et ensuite écrit les restrictions qui lui avaient été imposées par écrit.
Quant au Pape François, sa réponse à mon témoignage a été : "Je ne dirai pas un seul mot à ce sujet." Aurait-il dit cela s'il avait su que mon témoignage était faux ? N'est-ce pas plutôt précisément ce que dit une personne qui sait mais ne veut pas admettre que le témoignage est vrai? En répondant comme il l'a fait, le pape admet en substance qu'il n'a pas l'intention d'être transparent. Pourtant, les faits demeurent. McCarrick était un ami personnel de François pendant des décennies avant d'être élu pape. François était au courant de ses crimes, mais il l'a réhabilité, en a fait son envoyé personnel et son conseiller de confiance, et a nommé des évêques et des cardinaux qui sont des protégés bien connus de McCarrick. Pourtant, il ne dira pas un mot à ce sujet. Est-il surprenant que beaucoup aient interprété la réponse du pape comme une manifestation de mépris à la fois pour les victimes et pour ceux qui veulent que le camouflage prenne fin ? Ironiquement, cependant, le silence persistant du pape, qui est devenu de plus en plus assourdissant, témoigne finalement de la vérité de mon témoignage.

[NOTE DE LA RÉDACTION : Viganò a ajouté ce qui suit après que François ait discuté des accusations le mois dernier dans une interview]

Il est immensément triste de lire les réponses du pape François au sujet de l'affaire McCarrick, sans parler de tout le reste. Premièrement, il dit qu'il a déjà répondu plusieurs fois; deuxièmement, qu'il ne savait rien, absolument rien sur McCarrick ; et troisièmement, qu'il avait oublié ma conversation avec lui. Comment ces déclarations peuvent-elles être affirmées et soutenues ensemble en même temps? Toutes les trois sont des mensonges éhontés.
D'abord, pendant neuf longs mois, il n'a pas dit un mot sur mon témoignage, et il s'est même vanté et continue de se vanter de son silence, se comparant à Jésus. Soit il a parlé, soit il a gardé le silence. Lequel est vrai?
Deuxièmement, tout le monde connaissait le comportement prédateur de McCarrick, du plus jeune séminariste de Newark aux prélats de haut rang du Vatican.
Troisièmement, je répète devant Dieu ce que j'ai dit dans mon témoignage d'août dernier: le 23 juin 2013, le Pape François lui-même m'a interrogé sur McCarrick, et je lui ai dit qu'il y avait un énorme dossier sur ses abus à la Congrégation des évêques, et qu'il corrompait des générations de séminaristes. Comment quelqu'un, surtout un pape, pourrait-il l'oublier? S'il ne savait vraiment rien jusqu'à ce jour, comment a-t-il pu ignorer mon avertissement et continuer à se fier à McCarrick comme l'un de ses plus proches conseillers ? Nous sommes dans une période vraiment sombre pour l'Église universelle : le Souverain Pontife ment à présent ouvertement au monde entier pour couvrir ses mauvaises actions! Mais à la fin, la vérité finira par éclater, au sujet de McCarrick et de tous les autres camouflages, comme c'était déjà le cas pour le cardinal Wuerl, qui lui aussi "ne savait rien" et avait "un trou de mémoire".

[Ce qui suit n'est pas reporté par le WP, mais (entre autres...) par Marco Tosatti]
J'exhorte tous les fidèles à prier avec ferveur et à faire pénitence pour le Pape François qui semble être sous l'emprise du "père du mensonge". Que le Seigneur ait pitié de nous tous!


Comment pensez-vous que les médias ont couvert l'histoire de votre témoignage ? Pensez-vous que les publications étaient disposées à enquêter sans parti pris sur les accusations que vous avez portées ?

Je suis attristé que les grands médias n'insistent pas pour que le pape François et d'autres prélats répondent à mes accusations, et je ne peux imaginer qu'ils auraient été si timides si le pape en question avait été Jean Paul II ou Benoît XVI. Il est difficile d'éviter de conclure que ces médias sont réticents à le faire parce qu'ils apprécient l'approche plus libérale du pape François en matière de doctrine et de discipline de l'Église et qu'ils ne veulent pas compromettre son programme. Pourtant, nous parlons ici de crimes très graves, qui impliquent souvent des mineurs et des allégations de camouflage. A quelques exceptions près, et ceux qui appartiennent aux organes périphériques, les médias n'ont pas réussi à s'attaquer au "crime derrière le crime" et à poser les questions évidentes aux personnes évidentes : Où se trouvent les archives contenant des documents du type de ceux qui sont pertinents pour les revendications de Viganò ? Qui a accès aux documents et a le pouvoir de les publier ? Qui les a effectivement examinés et quand ? Qu'ont-ils trouvé ou n'ont-ils pas trouvé ? Quels efforts de corroboration ont été faits et par qui ? Qui coordonne l'enquête sur McCarrick ? Les protégés de McCarrick, Cupich et Tobin, ont-ils été inclus dans l'enquête - sinon, pourquoi n'est-ce pas le cas? Ce n'est que le début.
Bref, les journalistes devraient creuser pour trouver les faits, interviewer les victimes, suivre les pistes de l'argent et de la promotion, et découvrir les réseaux corrompus. Il y a tellement d'affaires à suivre. Pour n'en citer qu'une Avez-vous lu le récent livre de Martha Alegria Reichmann, sur les méfaits du Cardinal Maradiaga, choisi par le Pape François comme conseiller principal de confiance, en fait le chef du Conseil C-9 ? Avez-vous pensé à l'interviewer? d'enquêter sur ses allégations ? De demander un entretien avec Maradiaga pour lui poser des questions sur toutes les accusations qui ont été portées contre lui ? De demander au Pape François pourquoi il a choisi un tel homme comme conseiller ?

En octobre, le Vatican a promis de mener sa propre enquête dans les archives sur l'affaire McCarrick. Les conclusions d'une telle enquête n'ont toujours pas été rendues publiques. Mais si elles le sont et une fois qu'elles le seront, qu'est-ce qui, selon vous, sera révélé ?

A ce jour, rien n'indique qu'une telle enquête ait été ouverte. Je sais pertinemment que les résultats d'une enquête honnête seraient désastreux pour la papauté actuelle, et ceux qui sont responsables de l'initiation du travail le savent aussi. Je ne peux que conclure que l'assurance d'une enquête d'archives appropriée était une promesse vide de sens.

Bien que le Vatican n'ait pas publié ses propres conclusions sur l'affaire McCarrick, certains historiens de l'Église estiment que les détails sur la façon dont McCarrick a été protégé - une fois révélés - pourraient nuire à la réputation de Benoît XVI et, plus encore, de Saint Jean Paul II. Pensez-vous que Benoît XVI ou Jean-Paul II auraient pu faire plus pour bien gérer McCarrick ?

Je souhaite sincèrement que tous les documents, s'ils n'ont pas déjà été détruits, soient rendus publics. Il est tout à fait possible que cela porte atteinte à la réputation de Benoît XVI et de Saint Jean Paul II, mais ce n'est pas une bonne raison pour ne pas chercher la vérité. Benoît XVI et Jean-Paul II sont des êtres humains et ont peut-être commis des erreurs. Si c'est le cas, nous voulons les connaître. Pourquoi devraient-ils rester cachés ? Nous pouvons tous apprendre de nos erreurs.
Je regrette moi-même de ne pas m'être exprimé publiquement plus tôt. Comme je l'ai déjà dit, j'avais vraiment espéré contre toute espérance que l'Église puisse se réformer de l'intérieur. Mais quand il est devenu clair que le successeur de Pierre lui-même était l'un de ceux qui couvraient les crimes, je n'avais aucun doute que le Seigneur m'appelait à parler, comme je l'ai fait et continuerai à le faire.

Au lendemain de la publication de votre témoignage, en quoi l'ampleur de ces actes a-t-elle changé votre vie ? Dans quelle mesure êtes-vous libre de vivre votre vie comme bon vous semble?

N/a

Êtes-vous en mesure d'indiquer le pays, ou même le continent, où vous vous trouvez en ce moment?

N/a

En gros, combien de personnes savent où vous êtes ? Avec combien de personnes avez-vous des contacts personnels quotidiens?

N/a

Pouvez-vous nous décrire votre vie quotidienne ?

Je réponds à cette question avec réticence, car cela met l'accent sur moi plutôt que sur ce qui est important.
Ma vie n'a pas beaucoup changé. Bien sûr, je dois faire plus attention à qui je rencontre et à ce que je dis, mais j'ai eu la chance d'avoir une famille nombreuse et de nombreux amis qui m'ont soutenu. Je les vois régulièrement et leur proximité est pour moi une grande consolation.
Le plus grand changement après mon premier témoignage est peut-être l'incroyable élan de soutien que je reçois chaque jour de partout dans le monde. Il y a des milliers de catholiques qui prient pour moi et avec moi pour la conversion du Pape François et pour la guérison de l'Église.
Dans l'ensemble, très peu de choses ont changé. Je fais ce que j'ai fait toute ma vie: Depuis que j'ai été ordonné prêtre, j'ai essayé de servir le peuple de Dieu, dans l'obéissance, partout où l'on m'a demandé d'aller. Je ne suis qu'une personne simple qui essaie de faire de son mieux, et j'ai eu la chance de recevoir pendant toute ma vie de très bons exemples de prêtres saints et dévoués.

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