Vers une Eglise plus synodale? Chiche!

A propos de la publication de Episcopalis communio, une nouvelle directive papale (cette fois sur le Synode des évêques) catégorisée comme "Constitution Apostolique", le Père Scales élargit le débat et nous livre une remarquable analyse des révolutions dites "populaires"... mais qui ne doivent rien au peuple (20/9/2018)


Titre de La Croix

Une Eglise plus synodale? Pourquoi pas?

Les 'élites' révolutionnaires ont toujours eu le mot peuple à la bouche - ou plutôt le Peuple avec un "p" majuscule - mais pour elles, le peuple a toujours été un slogan, une idée abstraite plus qu'autre chose. Aux élites, le vrai peuple en chair et en os importe peu; ce qui les intéresse, ce n'est pas la réalité, mais l'idéologie. Le peuple - le vrai peuple - n'est généralement pas révolutionnaire, mais attaché à la tradition (...); au cours des siècles , chaque fois que le peuple a eu l'occasion de s'exprimer librement, il a généralement montré une orientation modérée.


Père Giovanni Scalese CRSP
19 septembre 2018
querculanus.blogspot.com
Ma traduction

* * *

Les révolutions ont toujours été des phénomènes fondamentalement élitistes. L'exemple le plus frappant est donné par la révolution napolitaine de 1799, dont Vincenzo Cuoco a parlé dans son Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli (essai historique sur la révolution de Naples): cette révolution a échoué, selon l'écrivain napolitain, car il s'agissait d'une "révolution passive", c'est-à-dire, subie par le peuple. Mais même les révolutions réussies, comme les révolutions française ou russe, ne furent pas moins élitistes que la révolution napolitaine, bien que les manuels scolaires s'efforcent de nous les présenter comme des phénomènes de masse. Elles ont réussi non pas parce qu'il s'agissait de soulèvements populaires, mais parce qu'à un moment donné, elles sont devenus des dictatures et qu'un homme fort - qu'il s'agisse de Napoléon, Lénine ou Staline - leur a permis de s'imposer de manière définitive. Les véritables phénomènes populaires sont au contraire les insurrections contre-révolutionnaires (à commencer par la Vendée), mais généralement vouées à l'échec, précisément parce qu'elles manquaient de leaders qui leur permettent de l'emporter.

Les élites (en français dans le texte) révolutionnaires ont toujours eu le mot 'peuple' à la bouche - ou plutôt le Peuple avec un "p" majuscule - mais pour elles, le peuple a toujours été un slogan, une idée abstraite plus qu'autre chose. Aux élites, le vrai peuple en chair et en os importe peu; ce qui les intéresse, ce n'est pas la réalité, mais l'idéologie. Le peuple - le vrai peuple - n'est généralement pas révolutionnaire, mais attaché à la tradition. Ceci est démontré par les soulèvements populaires contre la Révolution française et contre les tentatives d'imposer les idées jacobines dans le reste de l'Europe. Mais même au cours des siècles suivants, chaque fois que le peuple a eu l'occasion de s'exprimer librement, il a généralement montré une orientation modérée.

Pensons à ce qui se passe ces dernières années en Occident, où, sans qu'il y ait eu de révolution officielle, le pouvoir est maintenant concentré entre les mains de quelques élites. Évidemment, les élites actuelles aussi, comme celles de toutes les époques, se présentent comme avancées, mentalement ouvertes et sensibles aux besoins de l'humanité; elles ont la bouche pleine de démocratie, de liberté, d'égalité, de droits humains, etc. En fait, elles sont préoccupés uniquement par la perpétuation de leurs privilèges. Le peuple, ou plutôt "les peuples" (parce que, comme nous l'avons vu, le "peuple" n'existe pas, c'est une pure abstraction) ont commencé à ouvrir les yeux, et quand ils ont la possibilité de voter, malgré le lavage de cerveau des médias fermement contrôlés par les élites, ils choisissent les forces politiques populistes.

L'Église ne fait pas exception à la règle. Depuis de nombreuses années, l'Église aussi vit une révolution, dont on veut nous faire croire que c'est une réforme voulue par la base - par le "peuple de Dieu" - mais en réalité c'est une authentique révolution menée par une petite élite, qui a progressivement réussi à occuper tous les espaces de pouvoir, pour atteindre ces dernières années le sommet de l'Église. Dans ce cas aussi, on parle de peuple de Dieu, d'Église du peuple, de communautés de base, de décentralisation, d'un plus grand espace pour les Églises locales, pour les conférences épiscopales, pour les laïcs, pour les femmes. En fait, une centralisation jamais vue dans l'histoire de l'Église est en train de se réaliser et nous assistons à la diffusion d'une mentalité de plus en plus cléricale. On parle d'écoute, mais on ne tient compte d'aucune position alternative et aucune forme de dissidence n'est admise. On a l'impression que la seule préoccupation de l'élite dirigeante dans l'Église est de mettre en œuvre un agenda préétabli, absolument non modifiable.

Le paradoxe est que les catholiques traditionalistes, qui se sont toujours opposés à toute forme de réforme, parce que, selon eux, elle pourrait remettre en cause la structure hiérarchique de l'Église et saper la primauté du Souverain Pontife, sont désormais les premiers à contester les initiatives du Pape et vont jusqu'à demander, dans certains cas, sa démission. Les catholiques progressistes, par contre, qui ont toujours défendu les droits des Églises locales, des Conférences épiscopales, des laïcs, des femmes, des peuples du Tiers Monde, etc., ont cru bon de gravir les échelons du pouvoir pour mettre en œuvre leur programme. Le meilleur, c'est que toutes ces catégories, qu'ils ont contribué à émanciper dans l'Église, s'avèrent tout sauf révolutionnaires (pensons, pour ne donner qu'un exemple, à l'opposition au "nouveau cours" qui vient de l'épiscopat africain ou du laïcat américain). Dans l'Église aussi, le "peuple" se montre beaucoup plus conservateur que prévu; dans l'Église aussi, les révolutionnaires sont, une fois de plus, uniquement les élites . Jusqu'à présent, donner plus d'espace à la base de l'Église n'a pas constitué un danger pour la préservation de la foi. Les dangers viennent uniquement des élites cléricales.

Cette longue introduction nous amène à parler de la Constitution apostolique Episcopalis communio sur le Synode des Évêques, publiée le 15 septembre et présentée hier à la presse. À part la forme du document ("constitution apostolique"), qui me fait immédiatement penser aux pressions exercées sur le Pape, il y a un an, par quelques membres de l'épiscopat allemand, pour que les réformes soient "gravées dans la pierre" au moyen, précisément, d'une constitution apostolique (cf. querculanus.blogspot.com), je n'ai pas envie d'exprimer une opinion sur son contenu. Je l'ai lue; je n'y trouve rien de révolutionnaire; pour donner une évaluation, il faudrait avoir une expérience directe, ce que je n'ai évidemment pas. Ma seule préoccupation est que les paroles soient suivies d'actes. Pour ne donner qu'un exemple, si l'on parle d'"écoute du Peuple de Dieu" (n. 6), il faut espérer qu'une telle écoute aura réellement lieu. La crainte est qu'en fait, elle se réduise à écouter toujours les mêmes, confondus avec le "peuple de Dieu". On parle de "consultation des fidèles": parfait! La crainte est que cela aboutisse à la consultation des instances habituelles de participation, constituées par les différentes 'élites' au niveau paroissial, diocésain, national, etc.

Et puis il y a la préoccupation encore plus grave exprimée hier par la Nuova Bussola Quotidiana (cf. Synode pour les jeunes, synode prétexte?), résumée dans le titre de l'article de Stefano Fontana : "L'agenda est déjà écrit, le Synode devient seulement un prétexte". Les paroles de Fontana sont fortes, mais certainement pas sans fondement: nous avons tous en mémoire ce qui s'est passé au cours des deux derniers Synodes sur la famille... La crainte est donc que la réforme du Synode ne serve à en faire un outil plus malléable pour introduire des réformes subversives dans l'Église. J'espère que l'avenir montrera que ces préoccupations étaient excessives.

Mais ce que je voudrais dire ici, c'est qu'en admettant la bonté de cette réforme et d'autres réformes et la bonne foi de ceux qui les promeuvent, on ne doit pas avoir peur d'une Église plus synodale et plus populaire. Comme j'ai essayé de le démontrer dans ce post, on ne doit pas avoir peur du peuple et encore moins du peuple de Dieu. Episcopalis communio se réfère à juste titre au sensus fidelium, qui se traduit un peu librement, mais correctement, par "un flair que possède le peuple de Dieu" (n. 5). Le peuple de Dieu ne peut se tromper en croyant. Il est plus facile pour une personne - même un évêque ou un pape - de se tromper que pour la totalité des fidèles. Je suis stupéfait, en cette période de crise profonde de l'Église, de la demande de propreté qui monte des fidèles. Face à un clergé qui donne un si exécrable témoignage de lui-même, surgit un laïcat qui ne se limite pas à rester scandalisé, mais exige qu'on fasse le ménage. Ces laïcs ne sont pas tombés du ciel: ils ont grandi au cours de ces années parmi nous; nous aussi, nous avons contribué à les former; ils ont certainement été marqués par le Magistère et l'exemple de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Ces laïcs ont écouté ce que nous - prêtres, évêques, papes - leur avons dit; ils nous ont pris au sérieux. C'est nous qui n'avons pas pris au sérieux ce qu'ils nous disaient... Alors, quelle peur devrions-nous avoir en laissant plus de place aux laïcs ?

De même, à mon avis, nous ne devons pas avoir peur de donner plus de place aux évêques. L'Église a toujours été synodale et a conservé le dépôt de la foi précisément à travers les conciles et les synodes des évêques.(..). Et même, étant donné ce qui se passe dans l'Église catholique aujourd'hui, il semblerait que les Églises orthodoxes, avec leur structure synodale, ont mieux conservé la foi que nous n'avons pu le faire avec notre structure primatiale. Les conciles et les synodes, s'ils se tiennent dans un climat d'obéissance à l'Esprit et de fidélité à la tradition, ne peuvent que bénéficier au bien de l'Église.

La seule chose dont nous devons avoir peur, ce sont les lobbies, qui essaient de s'emparer de ces organismes pour en faire les instruments de la subversion de l'Église. Mais j'ai l'impression que ces intrigues, qui auraient pu être assez faciles jusqu'à il y a quelques années (pensons au travail de lobbying réalisé pendant le Concile Vatican II), avec les médias que nous avons aujourd'hui à disposition, s'avèrent de plus en plus difficiles. Il est nécessaire que les fidèles exercent une vigilance attentive, afin que, dans les prochains Synodes, tout se passe régulièrement et que toute tentative de manipulation soit découragée.

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.