Lettre de Benoît XVI, réactions (II)
Luisella Scosati va jusqu'à l'appeler "la dernière encyclique de Benoît XVI". (12/4/2019)
¤ Benoît XVI, l'Eglise et les abus sexuels (I)
¤ Benoît XVI, l'Eglise et les abus sexuels (II)
La dernière "encyclique" de Benoît XVI
Luisella Scrosati
www.lanuovabq.it
12 avril 2019
Ma traduction
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Elle est présentée comme une petite contribution au thème de la pédophilie dans l'Église, mais la lettre que le Pape émérite Benoît XVi a rendue publique hier aborde de nombreux points névralgiques et résonne comme une humble offre d'aide aux pasteurs de l'Église pour éviter le naufrage total, désormais imminent. Elle renvoie au vrai mal qui porte comme conséquence tous les autres: s'éloigner de Dieu. Et elle répond aux Dubia en confirmant à nouveau l'existence d'actes intrinsèquement mauvais, elle dénonce la banalisation de la Communion, et rappelle le devoir de protéger la foi même dans les procès au pénal.
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Il les appelle «notes pour fournir des indications qui puissent être utiles en ce moment difficile» en référence à la pédophilie dans l'Église, mais en réalité nous sommes confrontés à ce que l'on pourrait considérer comme la dernière "encyclique" de Benoît XVI, un diagnostic extraordinaire de la "grande calamité" qui a frappé "la vierge, fille de mon peuple", un traitement radical pour soigner sa "blessure mortelle" (cf. Jérémie 14, 17).
Tout Benoît est là, dans ce texte: tous les thèmes qui lui sont chers s'entrecroisent ici pour donner au lecteur une vue d'ensemble qui lui permet d'affronter la tempête actuelle sur une embarcation sûre. C'est donc une main tendue à nous, chrétiens, qui sommes jetés par des vents tumultueux et toujours en danger d'être emportés par la tempête; mais c'est aussi et surtout une humble offre d'aide aux pasteurs de l'Église, en premier lieu le Pape François, pour éviter le naufrage total, désormais imminent.
Le cœur battant de l'ensemble de la réflexion est contenu dans la troisième partie, après deux sections consacrées à retracer l'effondrement de la société et de la théologie morale et ses répercussions sur la formation sacerdotale: «La force du mal vient de notre refus de l'amour pour Dieu». Comme l'affirmait déjà saint Irénée de Lyon, «la communion avec Dieu est la vie, la lumière et la jouissance de ses biens. Mais sur ceux qui se séparent de lui par leur libre décision, il fait tomber la séparation qu'ils ont choisie». Si nous éloignons de nous la vie, la lumière, la pureté et le bien, pourquoi être surpris si peu à peu la mort nous prend à la gorge, les ténèbres nous enveloppent, la saleté morale nous souille et le mal nous étouffe? C'est un thème très cher à Benoît XVI, qui en parlait il y a des années avec Pierre Seewald en ces termes: «Celui qui s'éloigne de Dieu, celui qui s'éloigne du bien, expérimente sa colère. Celui qui se place en dehors de l'amour, sombre dans le négatif. Il ne s'agit donc pas d'un coup porté par un dictateur assoiffé de pouvoir, mais seulement de l'expression de la logique intrinsèque à une action. Si je me place en dehors de ce qui est conforme à mon idée de la création, en dehors de l'amour qui me soutient, alors je plonge dans le vide, dans les ténèbres».
Quand les choses s'écroulent, dans le monde et dans l'Église, c'est le signe clair que nous nous sommes éloignés de Dieu, que nous avons invité Dieu à s'installer dans la salle d'attente d'un monde qui se vante de son propre laïcisme et d'une Église qui fait étalage de sa condition d'adulte et d'émancipé. C'est seulement dans cette perspective que l'on peut comprendre toute la gravité d'une affirmation que les moralistes de nos salles de presse seront prêts à qualifier de réductrice et simpliste: «Comment la pédophilie a-t-elle pu atteindre une telle dimensio ? En dernière analyse, la raison en est l'absence de Dieu. Nous, chrétiens et prêtres, nous préférons aussi ne pas parler de Dieu, parce que c'est un discours qui ne semble pas avoir une utilité pratique».
Voilà pourquoi penser à sortir de cette crise en s'agitant pour construire une Église faite par nous, une Église qui n'a qu'un horizon social et politique «ne peut représenter aucune espérance» et est «en vérité une proposition du diable avec laquelle il veut nous éloigner du Dieu vivant». Et voilà pourquoi Benoît XVI concentre tout sur ce que l'on appelle aujourd'hui «l'option bénédictine»: «Créer des espaces de vie pour la foi», en s'inspirant du catéchuménat antique comme "un espace d'existence où était enseigné et aussi sauvegardé par rapport au mode de vie commun ce qui était spécifique et nouveau dans le mode de vie chrétien». Il faut repartir de là, «commencer à nouveau, de nous-mêmes, à vivre de Dieu (...) tout change si nous ne présupposons pas Dieu mais si nous le plaçons au premier plan. Si nous ne Le laissons pas d'une manière ou d'une autre à l'arrière-plan, mais que nous le reconnaissons comme le centre de notre pensée, de notre parole et de notre action.
On comprend alors pourquoi Benoît XVI dénonce avec douleur une attitude «largement dominante» envers l'Eucharistie, «une manière de traiter avec Lui qui détruit la grandeur du mystère»; la référence est surtout à la banalisation de la Communion, qui est maintenant donnée à tous, comme un geste de politesse pour leur présence.
Et c'est aussi cette mise à l'écart de Dieu qui nous permet de comprendre l'effondrement de la vie et de la théologie morale. Benoît XVI relie la vérité, qu'il rappelle bien trois fois, de l'existence d'«actions qui doivent toujours et en toutes circonstances être considérées comme mauvaises» à la primauté de Dieu: «Il y a des valeurs qu'il n'est jamais permis de sacrifier au nom d'une valeur encore plus grande et qui sont au-dessus même de la préservation de la vie physique. Dieu est plus que la survie physique. Une vie qui a été achetée au prix du déni de Dieu, une vie basée sur un mensonge final, est une non-vie. Le martyre est une catégorie fondamentale de l'existence chrétienne. Qu'il ne soit plus moralement nécessaire, dans la théorie soutenue par Böckle et beaucoup d'autres, montre que l'essence même du christianisme est en jeu ici».
Il faudra revenir encore et encore sur le contenu de cette intervention de Benoît XVI. En attendant, je pense qu'il est fondamental d'en tirer au moins trois conséquences.
La première. L'affirmation concrète de la primauté de Dieu, de Jésus-Christ, dans la vie des individus, des sociétés et de l'Église est la seule solution pour vraiment sortir de la crise historique que nous vivons. Le reste est lié à cette primauté: la vie morale, la profession de la foi juste, la vie liturgique, l'action apostolique. Le point important est que, s'il est vrai que toutes ces dimensions de la chrétienté sont falsifiées lorsqu'elles ne sont plus centrées en Dieu, il est également vrai que la primauté de Dieu ne se réalise pas autrement dans la vie chrétienne que dans toutes ces dimensions. Ce document est un grand appel à l'unité des forces saines présentes dans l'Église et dans le monde: agir pour que soit reconnue la primauté de Dieu sur la vie humaine, travailler pour que, dans nos liturgies, Dieu soit à nouveau le centre, enseigner la doctrine juste aux petits et aux grands, tout cela contribue au bien des âmes et à la guérison de l'Église. Se perdre derrière des considérations sur qui est le plus grand (cf. Lc 22, 24), sur ce qui est le plus important, etc., finit par affaiblir l'énergie du corps mystique.
La seconde. L'Église est l'Épouse du Christ et c'est le Christ qui la conduit, la purifie et la sauve. Et l'essence profonde de l'Église est d'être ouverte à la vie et au salut qui provient de son Époux. Quand il y a une crise dans la vie de l'Église, c'est parce qu'elle a été confiée à une idole "œuvre des mains de l'homme" (Ps. 115, 4), qu'on a suivi des "maris adultères" par qui nous nous sommes laissé séduire. Alors, s'il vous plaît, moins de projets pastoraux, et plus de vie de grâce.
Enfin, quand on lit et médite sur ce genre d'interventions, il est impossible de ne pas ressentir un peu de peur. Si vous lisez bien le texte, vous comprendrez que Benoît XVI a répondu clairement aux fameux Dubia des quatre cardinaux et a rejeté l'idée que certaines circonstances pouvaient changer la malignité intrinsèque d'un acte; il a pris position sur la concession de l'Eucharistie aux divorcés remariés et aux protestants ; il a clairement mis le doigt sur la plaie du "pastoralisme" en vogue ; il s'est prononcé sur le caractère exclusif du garantisme au criminel, au détriment de la protection de la foi. Il a dit clairement que nous sommes en train de finir dans l'abîme.
C'est peut-être le dernier appel du Ciel pour donner un véritable tournant à cette "saison ecclésiale"? Sera-t-il entendu? Ou peut-être, comme cela se fait déjà pour les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, allons-nous continuer à prétendre qu'ils sont aujourd'hui dépassés?
« j’ai envoyé vers vous, inlassablement, tous mes serviteurs les prophètes. Mais ils ne m’ont pas écouté, ils n’ont pas prêté l’oreille, ils ont raidi leur nuque, ils ont été pires que leurs pères. Tu leur diras toutes ces paroles, et ils ne t’écouteront pas. Tu les appelleras, et ils ne te répondront pas. Alors, tu leur diras : Voilà bien la nation qui n’a pas écouté la voix du Seigneur son Dieu, et n’a pas accepté de leçon ! La vérité s’est perdue, elle a disparu de leur bouche.» (Jr 7, 25-28).
Pour comprendre ce qui arrive à ceux qui n'écoutent pas les appels extrêmes de Dieu, allez lire le chapitre 8 de Jérémie. Nous, nous n'avons pas le courage de le rapporter.
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