Lettre de Benoît XVI, réactions (III)
Celle, incontournable, d'Aldo Maria Valli, après le premier commentaire à chaud d'hier. Il évoque les polémiques, tout en suggérant de s'en tenir à l'écart et de se concentrer sur ce que le Saint-Père a dit (12/4/2019)
étrange: François s'agenouille jusqu'à terre pour baiser les pieds de dirigeants soudanais...
Pope Francis gets down on his knees to kiss the feet of Salva Kiir Mayardit, President of South Sudan, and other opposition leaders who have just completed a spiritual retreat at the Vatican looking for peace in the country pic.twitter.com/u9yWyeOqh4
— Catholic Sat (@CatholicSat) 11 avril 2019
Cela ne saute pas aux yeux, mais c'est lié à ce qui suit.
Voir ci-dessous
"L'Eglise meurt dans les âmes". L'appel de Benoît XVI à la lutte contre le mensonge et les demi-vérités
Aldo Maria Valli
12 avril 2019
Ma traduction
* * *
Il est juste de revenir aux paroles écrites par Benoît XVI sur les abus sexuels dans l'Église.
Joseph Ratzinger fait remonter les causes de la situation non pas à la catégorie fumeuse du "cléricalisme" (au centre du récent sommet vatican), mais à une certaine conduite morale qui s'est répandue dans l'Église dans les deux décennies entre 1960 et 1980. Et à ce propos, Benoît XVI n'hésite pas à faire référence à l'homosexualité, question qu'au contraire le sommet actuel de l'Église ne prend jamais en considération lorsqu'il traite du drame des abus.
«Des clubs homosexuels se sont formés dans de nombreux séminaires», écrit Ratzinger dans le mensuel allemand Klerusblatt. Et il ajoute qu'en ces funestes vingt années de "libération" sexuelle dans l'Église, s'est ouverte une longue période de garantisme, à tel point que les condamnations sont devenues presque impossibles.
Soixante-huit entra dans l'Église (et le théologien Ratzinger en sait quelque chose, car, en tant qu'enseignant, il a vécu à la première personne les conséquences de cette irruption) et provoqua un "effondrement moral" qui frappa la théologie et rendit l'Église "impuissante" face à certains processus qui convulsèrent la société toute entière.
Le mal de Ratzinger réside dans la crise de la foi. L'homme a été mis à la place de Dieu et, comme conséquence, la Sainte Eucharistie a été dévaluée. Donc, si l'on veut reconstruire, il faut partir de là: de la foi en Dieu et de l'Eucharistie.
Des mots qui contrastent avec les interprétations les plus répandues, marqués par l'analyse sociologique et indifférentes à la foi. Des mots qui frappent parce que si Ratzinger a ressenti le besoin de les mettre noir sur blanc, cela signifie qu'il n'a pas eu le coeur de partager silencieusement les résultats du sommet du Vatican de février dernier.
Mais la portée de sa réflexion va au-delà de la question, bien que dramatique, des abus sexuels. Entre les lignes, on perçoit la douleur de Benoît XVI pour une crise de la foi qui, même au sein de l'Église, a largement dépassé tous les niveaux d'alerte. «L'Église meurt dans les âmes» est la phrase que Ratzinger nous confie.
L'analyse a des tonalités littéralement apocalyptiques parce que «l'actualité de ce que dit l'Apocalypse est flagrante. Le diable a lancé son offensive pour montrer que Dieu n'est pas bon et pour éloigner les créatures du Créateur. «Aujourd'hui, l'accusation contre Dieu se concentre surtout sur le discrédit de l'Église dans son ensemble et donc sur l'éloignement d'elle». De cette manière peut naître «l'idée d'une Église meilleure créée par nous-mêmes», mais c'est «en vérité une proposition du diable», avec laquelle le Malin «veut nous éloigner du Dieu vivant, selon une logique mensongère dans laquelle nous tombons trop facilement»".
Il est donc très important d'opposer aux mensonges et aux demi-vérités du diable toute la vérité», dit Benoît XVI, rappelant que dans l'Église, à côté du péché et du mal, il y a aussi les témoins authentiques (martyrs) de Dieu.
Etre des témoins fidèles de Dieu, ne pas vouloir faire de compromis, implique le martyre. Nous l'avions peut-être oublié. Benoît XVI nous le rappelle.
Sur Onepeterfive (*), Steve Skojec est dur avec Benoît XVI et écrit que l'intervention, en partie lacunaire et en partie escomptée, ne dit rien de nouveau, ne propose pas de solutions et est entièrement tournée vers l'arrière, pas vers l'avant. «Il essaie, dans un certain sens, de clarifier les choses, mais il n'y parvient pas. Le seul résultat, dit Skojec, c'est que cette lettre a alimenté le feu de la nostalgie chez certains des conservateurs affamés de leadership qui se languissent de revenir aux jours d'une papauté bénédictine».
J'admets sans problème que je souffre d'une nostalgie aiguë, mais je ne suis pas d'accord sur le fait que l'intervention de Ratzinger est escomptée. Il me semble au contraire qu'affrontant la question de la foi en Dieu et de l'Eucharistie, elle touche aux vrais enjeux. L'analyse de Benoît XVI peut sembler insignifiante seulement pour ceux qui ont cessé de regarder les fondements de la vie chrétienne.
Au milieu de tous ces commentaires, les polémiques vont maintenant commencer (en fait, elles ont déjà commencé) sur l'opportunité de l'intervention de Benoît XVI. Il serait bon de ne pas s'en mêler et de se concentrer sur ce que Joseph Ratzinger voulait nous dire.
Au Vatican, rapporte Gian Guido Vecchi dans Il Corriere, il y aurait de l'embarras à cause du texte de Benoît
«Hier après-midi, François s'est agenouillé pour baiser les pieds des dirigeants du Sud Soudan qui se combattent depuis cinq ans, à l'issue de la "retraite spirituelle" convoquée au Vatican pour parvenir à un accord de paix: "J'implore que le feu de la guerre s'éteigne une fois pour toutes".
Mais dans l'Église, arrivés à la septième année du pontificat de Bergoglio, la situation n'est pas beaucoup plus tranquille, comme le démontre l'affaire des "notes" de Benoît XVI sur la pédophilie dans le clergé et les réactions qui ont suivi. Le texte, publié en Italie par le Corriere della Sera, a été publié simultanément dans plusieurs langues et pays du monde, déclenchant les humeurs des fans souvent opposés des "deux papes": ceux qui se réjouissent du "retour" de Ratzinger et ceux qui ne cachent pas leur agacement pour la sortie publique de l'émérite. Au Vatican, ils n'étaient pas au courant et ne s'attendaient pas au "lancement" planétaire de l'intervention, destinée à être publiée dans le mensuel allemand Klerusblatt "à la suite de contacts avec le Secrétaire d'Etat et avec le Saint-Père lui-même", comme l'écrit Benoît XVI. A la surprise s'est ajoutée un certain embarras face aux réactions possibles. On a donc choisi de faire profil bas: L'Osservatore Romano publie en bas de l'avant-dernière page un article résumant les points saillants - le même que celui qui a été publié sur le site web de Vatican News - sans "chapeau" et sous l'article d'ouverture consacré à une conférence organisée par la Civiltà Cattolica. On craint que le texte de Benoît XVI ne soit utilisé par la réaction conservatrice à François pour opposer le "magistère" de l'émérite à celui du Pape. Que l'on veuille créer la "confusion" parmi les fidèles - il n'y a qu'un Pape - dans la tentative de mettre Bergoglio en difficulté».
(www.corriere.it)
Tel est le cadre. Dans lequel, comme on le voit, l'attention s'est déjà déplacée de ce que Ratzinger a dit à pourquoi il l'aurait dit.
Il sera donc bon de s'en tenir à ce qu'il a dit.
(*) NDT
Lire ici: onepeterfive.com .
Je dois dire que le lecture de cet article, ce matin, m'a mise particulièrement mal à l'aise. Dans sa détestation du Concile, Steve Skojec, à qui il arrive d'être très bon, fait malheureusement partie de ces catholiques proches de la tradition, sinon traditionalistes (et parmi eux, certains que j'apprécie, comme Alessandro Gnocchi, ou Maurizio Blondet, ou Hilary White) qui ne perdent pas une occasion de critiquer Benoît XVI parce qu'ils le considèrent comme un Pape conciliaire. C'est dommage. On ne peut que leur conseiller de ne pas se laisser aveugler par leurs préjugés, et de mieux cibler leurs véritables adversaires.
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