Selon Andrea Gagliarducci, la disparition du malheureux majordome (*), loin d’avoir clos un chapitre, en a ouvert un nouveau, et les personnages qui lui ont soutiré des informations confidentielles (dont le pauvre homme n’a pas tiré profit!) à l’origine des scandales dits « Vatileaks » œuvrent encore dans les coulisses sulfureuses du Vatican, et continuent en douce leur sale besogne dans l’entourage du Pape (mais celui-ci n’est-il pas complice, consciemment ou pas?) et utilisent le Vatican à leur profit – et contre l’Eglise. « Le vrai pouvoir est celui qui est invisible. Et il existe une Église profonde qui fonctionne comme l’État profond, composé de prélats ayant une influence spécifique dans les affaires du monde », admet Gagliarducci.

(*) Voir: Mort de Paolo « Paoletto » Gabriele

Le pape François et le demi-monde vatican dont il ne s’est pas débarrassé

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
30 novembre 2020
Ma traduction

La mort de Paolo Gabriele aurait pu clore un chapitre du monde du Vatican. Il n’en a rien été. Au contraire, elle en a ouvert un autre, et celui-ci aussi a plus de questions que de réponses.

Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, Paolo Gabriele était le majordome de Benoît XVI qui a ensuite trahi la confiance du Pape et a remis des documents confidentiels à des journalistes, qui en ont tiré des livres, des best-sellers et des attaques contre l’Église. Jugé pour vol aggravé et condamné, il a été pardonné par Benoît XVI et est resté employé par le Vatican parce qu’il a été engagé par une coopérative qui travaillait au Bambino Gesù, l’hôpital pédiatrique géré par la Secrétairerie d’État.

Gabriele est décédé le 24 novembre, à l’âge de 54 ans, après une longue maladie, et ses funérailles ont vu la présence de nombreuses personnes qui l’aimaient et qui travaillaient avec lui. L’archevêque Georg Gaenswein, secrétaire personnel de Benoît XVI, a témoigné que l’affection de l’entourage du pape émérite était restée inchangée malgré tout. Le cardinal James Michael Harvey, à l’époque préfet de la maison pontificale, a toujours été proche de Gabriele. Il y avait l’archevêque Paolo De Nicolò, qui a été pendant longtemps « reggente » de la Maison pontificale. Le cardinal Konrad Krajewski, qui, à l’époque du service de Paolo Gabriele, était l’un des maîtres de cérémonie de la maison pontificale, était également présent.

Malgré tout, le Vatican n’avait pas oublié Paolo Gabriele. Il l’avait jugé et condamné, mais il a toujours pris en considération avant tout la personne et pas seulement ce qu’il faisait. C’était un acte d’humanité, mais c’était également un acte de justice. Aussi parce que tous ceux qui connaissaient Paolo Gabriele savaient bien qu’il n’aurait jamais trahi le pape de son plein gré, il n’avait ni la mentalité ni les compétences pour le faire.

Huit ans après le vol de documents, qui a donné naissance aux premiers Vatileaks, on est confrontés aux mêmes problèmes. On aurait pu penser que le départ de Paolo Gabriele représenterait la fin de tout. Ce n’était que le début. Les Vatileaks ne sont pas terminés. Il y a eu une autre fuite de documents, qui a culminé avec un autre procès vatican en 2014. Et ce n’est pas tout. De nombreux protagonistes de la saison des Vatileaks sont toujours là, se déplaçant dans les replis du demi-monde du Vatican et utilisant ce demi-monde selon leur bon plaisir.

Le problème n’est pas la fuite d’informations, ni le flair journalistique qui conduit à anticiper l’information. Ce n’est pas du tout cela. Il s’agit plutôt d’un flux d’informations particulièrement sélectif, géré de manière à mettre telle ou telle personne en mauvaise posture et surtout à attaquer l’Église.

Il s’agit d’un monde maléfique, qui s’est dangereusement exposé lors du récent scandale financier qui a frappé le Saint-Siège. Ce scandale concernait l’achat par la Secrétairerie d’État d’un immeuble de luxe à Londres. Un monde qui n’a aucun intérêt pour le Saint-Siège mais qui l’utilise comme un moyen de réaliser ses objectifs.

À l’époque des premiers Vatileaks, on parlait beaucoup des possibles « maîtres » de Paolo Gabriele. À l’époque, il semblait évident que ces maîtres provenaient de la vieille garde curiale, et en particulier de la vieille garde diplomatique, déçue par le manque d’attention de la part de Benoît XVI et du cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’État du Vatican.

Cela pourrait être en partie vrai. Mais les Vatileaks ultérieurs ont montré que le cercle d’intérêts allait au-delà du profil de la vieille garde diplomatique du Vatican, qui est en fait revenue au début du pontificat du pape François.

Entre autres choses, le pape François avait immédiatement veillé à donner plus d’importance aux nonces, en choisissant un diplomate de longue date comme le cardinal Parolin comme secrétaire d’État et en créant même cardinal Josef Rauber, qui en tant que nonce en Belgique a vu ses suggestions ignorées et qui a ensuite été élevé au rang de cardinal par le pape François, dans une sorte de compensation posthume.

Malgré ce regain d’attention pour le monde diplomatique du Saint-Siège, les fuites se poursuivent. Là encore, il faut comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une banale succession d’informations. Des informations anticipées sur les événements du Vatican, y compris scandaleuses, il y en a toujours eu. Ici, il est apparu clairement que l’information était plus professionnelle et ciblée, presque comme celle des services secrets. Elle était surtout basée sur le vol et la publication de documents complets, souvent décontextualisés, et non sur l’utilisation et l’interprétation de documents lus en avant-première.

Peu à peu, il est également apparu clairement que l’information ne concernait pas le monde du Vatican. Tout est devenu la prérogative des journalistes judiciaires, qui se sont souvent nourris des enquêtes sur les affaires du Vatican et les ont magnifiées, racontées et exaltées, rendant ainsi l’image d’une possible énorme corruption au Vatican.

Le deuxième procès Vatileaks a cependant évité d’aborder la question du vol de documents et a donc laissé un grand point d’interrogation sur la situation. Qui fait fuir les documents et les procès-verbaux à publier? Et pour quelle raison?

Huit ans après, la figure de Paolo Gabriele est apparue brouillée dans le monde du Vatican. Contrairement à ceux qui se sont nourris de ses informations, il ne s’est pas enrichi ; il n’a pas vendu de livres, il n’a même pas écrit de mémoires. Il était un instrument, et en tant que tel, il a été condamné puis pardonné.

Sa mort, cependant, n’a pas clos un chapitre, tout comme le pardon papal qui lui a été accordé n’avait pas achevé la saison des Vatileaks. C’est une tendance actuelle, et il n’est même pas possible de penser le journalisme différemment. Les Vatileaks ne sont pas terminés, et il se peut qu’elles ne se terminent jamais.

L’affaire de Paolo Gabriele a été la première, mais sans doute pas la plus importante. Les questions brûlantes sont toutes restées sans réponse. Il n’a trahi aucun de ses amis, et il ne s’est jamais trahi lui-même. Mais pourquoi un homme aurait-il risqué un emploi prestigieux, un foyer, un traitement préférentiel, des privilèges, juste pour travailler avec des gens à qui on ne peut pas faire confiance ?

C’est la question la plus mystérieuse de l’histoire de Paolo Gabriele. Et c’est une question qui devrait également être posée à de nombreux personnages qui gravitent dans l’orbite du Saint-Siège et à ceux qui gravitent autour du pape François, car ceux qui ont instrumentalisé Paolo Gabriele continuent à le faire avec à travers d’autres personnes, ou personnellement.

Le vrai pouvoir est celui qui est invisible. Et il existe en effet une Église profonde qui fonctionne comme un État profond, composé de prélats ayant une influence spécifique dans les affaires du monde. Paolo Gabriele ne faisait partie de rien. C’était juste un homme qui aimait Benoît XVI, convaincu que faire ce qu’il faisait aiderait le pontificat. Tous ceux qui connaissent les choses du monde savent que cela peut arriver. Et savent aussi qu’après tout, selon lui, Paolo Gabriele l’a fait pour l’Église. Il est difficile de voir dans tous les consultants passés (et grassement payés) au Vatican ces dernières années la même conception de la poursuite du bien de l’Église.

S’il y a une chose que la mort de Paolo Gabriele clôt, c’est bien l’ère des personnes fidèles à l’Église au point de sacrifier quelque chose d’elles-mêmes pour l’aider, même en se trompant. Aujourd’hui, ceux qui se disent proches de l’Église le font avant tout pour en tirer des avantages. C’est la corruption la plus difficile à éradiquer. Il y a beaucoup de travail à faire.

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