Le majordome de Benoît XVI est entré dans l’histoire par la très petite porte, celle des traîtres, puisqu’il est l’homme par qui les scandales Vatileaks sont arrivés (ou plutôt, il en a été l’un des acteurs). Mais la nouvelle de sa mort me remplit de tristesse, et je suis sûre que Benoît XVI va avoir un souvenir spécial dans ses prières pour le « fils prodigue et indigne », qu’il aura sans doute soutenu aussi matériellement pendant toutes ces années – dans la discrétion, puisque la charité des Papes ne se donne pas en spectacle. Cette belle et sensible oraison funèbre de Lucetta Scaraffia tranche avec les autres articles et rappelle à juste titre le rôle des individus sans scrupule qui ont honteusement exploité la faiblesse du pauvre serviteur.

Il mérite bien l’hommage de ces quelques belles images, souvenir d’une époque où il a côtoyé de très près un grand homme (la dernière, évidemment, est à part)

Le majordome du pape (et ses mystères)

Cet homme fragile accablé par les Vatileaks…
L’homme de confiance de Ratzinger emporté par une tumeur à 54 ans. En 2012, l’arrestation pour fuite d’informations confidentielles : plus qu’un corbeau, un bouc émissaire.

Lien affectif

Il avait une vraie dévotion pour Benoît XVI, qui aimait « Paoletto » comme un fils.


Une longue maladie puis la fin aux urgences de l’hôpital Gemelli où il est arrivé dans un état critique.

Mort hier matin à Rome de Paolo Gabriele, 54 ans, qui fut longtemps le majordome du pape Benoît XVI. Avant d’être, à partir du 24 mai 2012, le jour de son arrestation retentissante pour la découverte de copies de documents confidentiels du Saint-Siège, protagoniste de la saison des Vatileaks.

La mort de Paolo Gabriele, à seulement 54 ans et après une longue maladie, permet de clarifier de nombreux aspects de son affaire complexe et embrouillée: il ne profitait pas dans un paradis fiscal du fruit empoisonné des informations secrètes qu’il avait remises à la presse, mais il se traînait dans une vie modeste, avec un travail humble, atteint d’une grave tumeur qui l’a arraché trop tôt à sa femme et à ses trois enfants.
On dirait presque qu’il est mort de douleur, pour être tombé dans un pétrin qu’il ne pouvait peut-être même pas s’expliquer.

Plus que la mort d’un corbeau, elle semble être celle d’un bouc émissaire à son insu, d’un homme fragile qui s’est retrouvé à côté de personnes importantes qui l’ont traité avec une familiarité et une affection inattendues. Benoît XVI « aimait Paoletto comme un fils » – écrit Peter Seewald dans la grande biographie qu’il a dédiée à Ratzinger – et il lui a probablement rendu la pareille avec élan: en préservant chaque témoignage de sa vie, même les analyses médicales, il semble y avoir quelque chose qui a un rapport avec la vénération.


Une vénération qui se mélangeait à l’agacement, à la souffrance, en voyant – c’est du moins ce qu’il lui semblait- déformer les intentions, les mots du Pape. Si on ne lui avait pas demandé de faire des travaux de secrétariat, s’il n’avait pas eu le privilège de manger parfois à la même table que Benoît XVI – c’est toujours Seewald qui nous le dit – peut-être que Paolo aurait tout enduré en silence. Mais il est probable que chaque signe de reconnaissance de la part du Pape le faisait se sentir plus responsable à son égard, et a fait grandir en lui le désir de l’aider.

Dans cet état psychique, le pauvre majordome était la proie toute désignée de personnes sans scrupules, qui cultivaient son amitié pour obtenir des informations de première main, et qui savaient comment tirer profit d’un homme fragile avec habileté et sans scrupules. Benoît XVI a bien compris la situation – « c’est un mélange étrange de ce qu’ils lui ont mis dans la tête ou de ce qu’il y a mis lui-même », a-t-il dit à Seewald – et il lui a pardonné.

C’est ainsi que Paolo Gbriele -fût-ce avec déshonneur – est entré dans l’histoire : son geste a en effet ouvert la porte à d’autres fuites d’informations confidentielles, et a donné lieu à une phase – dans laquelle nous sommes encore plongés – où les luttes internes, d’une certaine façon toujours liées à l’espoir d’influencer le futur conclave, enchevêtrées avec les résistances des privilèges économiques, se dévident dans les révélations. Chaque fois en prétendant enfin « faire le ménage », apporter de la transparence dans un monde où il est presque impossible de dissiper le brouillard, mais en essayant plus que tout de mettre l’opinion publique de son côté avec le choix de boucs émissaires de plus en plus autorisés.

Les émules de Paoletto sont aujourd’hui dépourvus de tensions affectives et morales – qu’il avait, bien que mal placées – et ne sont que les exécuteurs des puissants de service. Que le pauvre Paolo Gabriele, qui est mort prématurément, trouve enfin la paix qu’il mérite.

Lucetta Scaraffia

Texte en italien ici: http://www.ow2.rassegnestampa.it/Ucei/PDF/2020/2020-11-25/2020112546987840.pdf

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