L’analyse d’Andrea Gagliarducci dans son billet hebdomadaire du lundi empreint d’une ironie subtile inhabituelle, est inédite: s’il dédramatise le prétendu complot (cf Confidences aux jésuites slovaques: le pape dénonce un complot contre lui.), ne prenant pas au sérieux les menaces contre la sécurité de François, comme l’ont fait certains « initiés », il voit dans les mots prononcés off the record devant un parterre de jésuites tout acquis à sa cause, la volonté d’un pape isolé de s’approprier, ou de reprendre en main la « narration » de son pontificat, s’occupant personnellement de ses ennemis et faisant savoir à tous que c’était lui le patron et qu’il contrôlait directement toutes les informations (une attitude bien peu pastorale, oublieuse de sa mission et peu digne d’un Pape…).

Le Pape François et ces rumeurs de Conclave

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
27 septembre 2021
Ma traduction

Les propos du pape François sur le fait que certains avaient déjà pensé à sa succession à l’annonce de son opération ont représenté une sorte de coup de poing dans l’estomac. Pas tant pour les rumeurs sur un éventuel successeur, car elles ont toujours existé, et pas seulement lorsque le Pape en charge est malade. C’est plutôt le fait que le pape s’exprime en ces termes qui a été frappant. Parce que le pape François a montré ce qu’il ne veut pas faire : il ne veut pas prendre de coups, se tenir à l’écart, ni défendre l’institution de l’Église derrière l’idée que l’on ne montre pas son propre linge sale. Il a décidé de se protéger et de protéger son pontificat. Et ce sera la ligne de conduite.

Bien entendu, les propos du pape François doivent être replacés dans leur contexte. Le pape s’exprimait dans un forum privé, avec des jésuites, dans un moment de détente où il était peut-être autorisé à faire une blague. Le fait est, cependant, qu’il n’y a pas de moments de détente pour un Pape. Surtout lorsque ses paroles sont enregistrées et ensuite republiées intégralement sur La Civiltà Cattolica. Les jésuites participant à la rencontre le savent aussi, toutefois, La Civiltà Cattolica résume les questions, sans les transcrire.

On pourrait même soupçonner que les paroles du Pape sont elles aussi paraphrasées, choisies, rassemblées de telle sorte que l’on fasse dire au Pape ce que l’on veut lui faire dire. C’est un soupçon stupide, et nous devons l’écarter immédiatement. Personne ne peut douter de la bonne foi du Père Antonio Spadaro qui a rapporté les questions-réponses entre le Pape et ses confrères. Bien sûr, si un enregistrement complet était publié, cela permettrait de contextualiser la rencontre et les paroles du Pape.

Mais en supposant que le Pape ait fait une blague, il s’agissait sans aucun doute d’une blague malheureuse. Même le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a voulu prendre ses distances par rapport aux propos du pape. Il s’est limité à dire que le Pape a peut-être des informations qu’il n’a pas, soulignant qu’il ne ressentait pas de climat de tension particulier. Des mots diplomatiques, sans doute. Des mots qui, cependant, montrent aussi une volonté de se distancier des déclarations du Pape, avec pour résultat que le Pape apparaît de plus en plus isolé.

Tout cela crée une sorte de cercle vicieux. Le Pape s’isole parce qu’il prend des décisions seul, sans les consultations officielles habituelles et sans faire totalement confiance à ses collaborateurs. Les collaborateurs se sentent floués, mais surtout, ils ont peur de prendre des initiatives face à un Pape seul aux commandes. Le Pape souffre parce que ses collaborateurs ne prennent pas d’initiative et le critiquent ensuite. Au fond, ils ont peur de lui. Il se plaint donc publiquement lorsqu’ils commencent à penser à une éventuelle succession.

Le pape François, cependant, doit être rassuré. En supposant que ses informations soient exactes, ce n’est ni la première ni la dernière fois que les cardinaux commencent à préparer un conclave ou éventuellement à organiser des consortiums alors que le pape est encore en fonction. Les dix dernières années du pontificat de Jean-Paul II, par exemple, avaient été un conclave virtuel permanent, la liste des candidats étant mise à jour à chaque hospitalisation ou rechute du pape. Par conséquent, il aurait pu y avoir dix papes virtuels au cours de ces années et de nombreux consortiums en faveur de ce qui semblait être des candidats.

Par exemple, on compte dans ces années-là le premier article sur le cardinal Jorge Mario Bergoglio, présenté à ses lecteurs par Sandro Magister dès 2002.

Même pendant le pontificat de Benoît XVI, beaucoup ont pensé à la succession. En fait, la première affaire Vatileaks a été anticipée par la nouvelle d’un possible complot pour tuer le pape émérite lui-même, un Mordkomplott – “Plot of death” – comme le mentionnent les papiers publiés par Il Fatto Quotidiano [ndt: cela a été oublié dans les analyses récentes, mais cela vaut la peine d’être rappelé, en effet!]. C’est aussi cette situation d’attaques contre l’Église qui conduit aujourd’hui beaucoup de personnes à s’interroger sur la validité de la démission de Benoît XVI.

Le pape François, cependant, ne veut pas se contenter d’encaisser et de faire son travail. Il montre qu’il veut tenir en échec ceux qu’il considère comme ses ennemis. Dans la même conversation, il s’est plaint de la critique d’une grande chaîne de télévision [il s’agit de EWTN, voir ici le commentaire de Phil Lawler, ndt] et a souligné que, même s’il peut être critiqué parce qu’il est pécheur, attaquer le pape de cette manière signifie attaquer l’Église, et c’est « l’œuvre du diable. »

Ce sont des mots qui laissent divers doutes. Le pape François a déclaré que quiconque n’était pas d’accord avec lui pouvait travailler pour le diable. Donc, il ne peut y avoir aucune critique de l’œuvre du Pape, et rien ne peut être contesté. Et puis, il reste à comprendre qui a dit au Pape qu’une chaîne de télévision catholique dit du mal de lui, étant donné que le Pape ne regarde pas la télévision de son propre aveu. Donc si le Pape parlait sur la base de choses qui lui ont été rapportées, cela ne signifierait-il pas qu’il s’est en quelque sorte laissé impliquer dans le terrorisme des ragots ?

Cependant, ce que le pape François veut démontrer semble être simplement que personne ne peut l’attaquer sans qu’il s’en aperçoive et réagisse. Après l’opération, dans l’interview accordée à COPE, il avait voulu reprendre le récit de sa santé. Maintenant, le Pape François a simplement voulu faire savoir qu’il était toujours aux commandes et qu’il était bien conscient de ses ennemis.

Mais quel pape, dans son effort de réforme, n’avait pas d’ennemis ? Combien de guerres silencieuses ont été menées au cours des dernières décennies ? Le pape François n’est cependant pas du genre à encaisser et à passer à autre chose. Ainsi, chaque prochaine étape sera destinée à reprendre le contrôle.

Quelque chose s’est déjà produit si l’on pense à la promotion de l’archevêque Fernando Vergez Alzaga à la présidence du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican. Vergez est un fidèle du pape François. Il reste à déterminer combien de fidèles le Pape mettra dans les dicastères suite à la réforme de la Curie, et surtout combien de personnes qui ont une langue commune avec le Pape (l’hebdomadaire italien Panorama a noté cette prédominance d’hispanophones qui se crée dans la Curie).

Bien sûr, le pape François ne peut pas arrêter la machine à spéculer sur qui sera le prochain pape. Il peut cependant essayer de créer un mécanisme par lequel il prend le contrôle direct de toutes les informations. Et c’est ce qu’il est en train de faire.

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