Le dernier article du blog argentin The Wanderer relie les attaques récentes contre Benoît XVI à la fameuse « prophétie » du professeur Ratzinger, en 1969, où il imaginait l’Eglise qui émergerait de la crise actuelle (déjà à l’époque!): une Eglise qui perdrait beaucoup sur le plan matériel et dans son rôle social, mais ressortirait purifiée; une Eglise plus spirituelle, réduite à un petit troupeau et (paradoxalement) plus forte, qui remettrait la foi, et non les structures, au centre de l’expérience.

(*) Nous en avons parlé à plusieurs reprises dans ces pages, et tout récemment ici: La « prophétie de Ratzinger »

Ce magnifique et majestueux portrait par le peintre andalou Raul Berzosa (voir sur mon site ICI) est l’image choisie (certainement pas par hasard) par The Wanderer pour illustrer son billet

L’attaque contre Ratzinger et sa prophétie de 1969 sur une « Église de la foi » et « un petit troupeau de croyants ».

The Wanderer, d’après la traduction en italien sur Duc in Altum (AM Valli)

La semaine dernière, nous avons assisté au processus de lapidation du pape Benoît XVI, non seulement par les médias mais aussi, et c’est le plus triste, par les évêques allemands, avec le consentement du Vatican et le silence de la grande majorité des évêques du monde. Ils ne lui ont jamais pardonné que lui, le plus brillant théologien que l’Allemagne ait donné au XXe siècle, était un conservateur, critiquait la réforme liturgique et était un homme pieux de foi catholique. Ils auraient préféré Rahner, Küng ou Lehmann, mais celui qui a brillé était Ratzinger et maintenant qu’il est vieux et malade, ils le lui font payer. Un bon résumé de ce qui s’est passé se trouve dans le compte-rendu du père Santiago Martín (https://youtu.be/n62uIO00hlI).

Ce qui a retenu toute mon attention, c’est la virulence particulière de la presse contre le pape Benoît, depuis Google, qui ne l’appelle plus « pape émérite » mais « ex-pape », jusqu’aux chaînes de télévision censées être plus sérieuses. Un bon exemple peut être vu dans ce court reportage préparé par la Deutsche Welle. C’est peut-être mon imagination, mais la haine qui se cache derrière n’est pas humaine ; c’est une haine plus profonde, ancestrale. Sans complexe, ces représentants de Mordor [allusion au « Seigneur des Anneaux »] se mettent au service du cardinal Marx – presque un nouveau Saroumane – qui exige un changement profond des structures de l’Église, un changement contre lequel Benoît XVI – presque un autre Gandalf – malgré ses années, reste la principale digue de retenue.

J’ai l’impression que nous sommes à la veille d’une très forte persécution de l’Église, dans laquelle ses institutions souffriront beaucoup, et beaucoup d’entre elles disparaîtront sûrement. L’Église en tant qu’institution, telle que nous l’avons connue et telle qu’elle a existé pendant plus d’un millénaire, est en cours de dissolution et ne tardera pas à être réduite à presque rien. Certes, l’Église demeurera en tant que corps mystique du Christ ; les croyants qui parviennent à garder la foi et qui ne veulent jamais voir leur espérance détruite par ceux dont la tâche serait de la nourrir demeureront également.

C’est le moment de revenir sur la prophétie prononcée en 1969, lors de cinq conférences radiophoniques, par le Dr Joseph Ratzinger, professeur à l’université de Ratisbonne, ville où lui et tous ses ennemis croyaient que ses jours allaient se terminer :

Nous n’avons pas besoin d’une Église qui célèbre le culte de l’action dans les prières politiques. Elle est entièrement superflue. Et donc elle se détruira. Ce qui restera sera l’Église de Jésus-Christ, l’Église qui croit au Dieu qui s’est fait homme et nous promet la vie après la mort. Le prêtre qui n’est qu’un travailleur social peut être remplacé par le psychothérapeute et d’autres spécialistes, mais le prêtre qui n’est pas un spécialiste, qui ne reste pas dans les tribunes à regarder le match, à donner des conseils officiels, mais qui se met au nom de Dieu à la disposition de l’homme, qui l’accompagne dans ses peines, dans ses joies, dans ses espoirs et dans ses craintes, un tel prêtre sera certainement nécessaire à l’avenir.

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Faisons un pas de plus. De la crise d’aujourd’hui émergera une Église qui aura beaucoup perdu. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins depuis le début. Elle ne pourra plus habiter nombre des bâtiments qu’elle avait construits dans la prospérité. Le nombre de ses fidèles diminuant, elle perdra également la plupart de ses privilèges sociaux. Contrairement à une période antérieure, elle sera perçue beaucoup plus comme une société volontaire, dans laquelle on n’entre que par libre décision. En tant que petite société, elle exigera beaucoup plus de l’initiative de ses membres individuels.

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Elle découvrira sans doute de nouvelles formes de ministère et ordonnera au sacerdoce des chrétiens qui exercent une profession. Dans de nombreuses petites congrégations ou groupes sociaux autosuffisants, le service pastoral sera normalement assuré de cette manière. Parallèlement, le ministère sacerdotal à plein temps sera indispensable, comme auparavant. Mais malgré tous ces changements que l’on peut supposer, l’Église retrouvera, avec toute son énergie, ce qui lui est essentiel, ce qui a toujours été son centre : la foi dans le Dieu trinitaire, en Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, dans l’assistance de l’Esprit, qui durera jusqu’à la fin. Elle repartira de petits groupes, de mouvements et d’une minorité qui remettra la foi et la prière au centre de l’expérience et qui revivra les sacrements comme un service divin et non comme un problème de structure liturgique.

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Ce sera une Église plus spirituelle, qui ne s’arrogera pas un mandat politique en flirtant tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. Elle le fera avec difficulté. Le processus de cristallisation et de clarification la rendra pauvre, il en fera une Église des petits, le processus sera long et ardu, car il faudra éliminer l’étroitesse d’esprit sectaire et l’obstination pompeuse. On peut prédire que tout cela prendra du temps.

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Le processus sera long et ardu, comme l’a été le chemin du faux progressisme à la veille de la Révolution française – où un évêque pouvait être considéré comme intelligent s’il se moquait du dogme et insinuait même que l’existence de Dieu n’était nullement certaine – au renouveau du 19e siècle. Mais après l’épreuve de ces divisions, une grande force émergera d’une Église internalisée et simplifiée. Les personnes qui vivent dans un monde totalement programmé connaîtront une solitude indescriptible. S’ils ont complètement perdu le sens de Dieu, ils ressentiront toute l’horreur de leur pauvreté. Et ils découvriront alors la petite communauté des croyants comme quelque chose de totalement nouveau : ils la découvriront comme une espérance pour eux-mêmes, la réponse qu’ils avaient toujours cherchée en secret.

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Il me semble certain que des temps très difficiles sont à venir pour l’Église. Sa véritable crise ne fait que commencer. Elle doit faire face à de grands bouleversements. Mais je suis aussi très certain de ce qui restera à la fin : non pas l’Église du culte politique, qui est déjà morte, mais l’Église de la foi. Il est certain qu’elle ne sera plus la force sociale dominante dans la mesure où elle l’était encore récemment. Mais l’Église connaîtra une nouvelle floraison et apparaîtra comme la maison de l’homme, où il pourra trouver la vie et l’espérance au-delà de la mort.

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Joseph Ratzinger, Glaube und Zukunft, Kösel-Verlag, 1970.
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