L’article que j’ai publié hier à propos de la consécration de la Russie au Cœur immaculé de Marie (La Russie et le message de Fatima) a suscité quelques réactions de lecteurs. Ceux qui sont intéressés trouveront sur mon site un grand nombre d’articles sur le message de Fatima (voir le moteur de recherche Google interne), mais en vrac. J’ai bien conscience qu’un travail de synthèse serait bienvenu. Et c’est ce à quoi se livre AM Valli qui fait aujourd’hui le point, liens à l’appui – je ne les ai pas reproduits, on les trouvera sur le site de l’auteur.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la question de la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, selon la demande de la Vierge à Fatima, est redevenue d’actualité. Une consécration que la Conférence épiscopale ukrainienne a explicitement demandée à François, tant pour la Russie que pour l’Ukraine.
Il y a eu diverses consécrations dans le passé, mais la question est la suivante : ont-elles répondu aux exigences de la consécration de la Russie, comme l’a demandé la Vierge à Sœur Lucie ?
Voyons cela de plus près.
Dans l’apparition du 13 juillet 1917, la Vierge a demandé la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis, ajoutant que si ses demandes étaient accordées, la Russie serait convertie et il y aurait la paix. Sinon, la Russie répandrait ses erreurs dans le monde entier, entraînant des guerres, des persécutions et l’anéantissement de diverses nations. Douze ans plus tard, le 13 juin 1929, alors qu’elle vivait à Tuy, en Espagne, Sœur Lucie a eu une nouvelle vision, au cours de laquelle la Vierge a dit :
Le temps est venu où Dieu demande au Saint-Père de faire, en union avec tous les évêques du monde, la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé, promettant de la sauver par ce moyen.
En 1930, dans une lettre adressée à son confesseur, le père José Bernardo Gonçalves, elle écrivit :
Si je ne me trompe pas, le Bon Dieu promet de mettre fin à la persécution en Russie si le Saint-Père daigne faire, et ordonne aux évêques du monde catholique de faire, un acte solennel et public de réparation et de consécration de la Russie aux Cœurs très sacrés de Jésus et de Marie.
Sœur Lucie a alors reçu un avertissement de Notre Seigneur selon lequel, puisque la demande de consécration de la Russie n’avait pas été accordée, il y aurait lieu de se repentir. Peut-être, dit Jésus, la consécration se fera-t-elle, mais il sera alors trop tard et la Russie aura déjà répandu ses erreurs dans le monde entier.
Dans une lettre à son confesseur, le 18 mai 1936, Sœur Lucie écrit :
J’ai parlé intimement à Notre Seigneur de cette question ; et il y a peu, je lui ai demandé pourquoi il n’a pas converti la Russie sans que Sa Sainteté ait fait cette consécration.
Et voici la réponse que Sœur Lucie dit avoir reçue de Jésus :
Parce que je veux que toute mon Église reconnaisse cette consécration comme un triomphe du Cœur Immaculé de Marie, et qu’ensuite elle étende son culte et place, à côté de la dévotion de mon Divin Cœur, la dévotion de ce Cœur Immaculé.
Après le début de la Seconde Guerre mondiale, Sœur Lucie s’est adressée directement au nouveau pape, Pie XII, expliquant que Notre Seigneur avait demandé par son intermédiaire que le pontife consacre le monde au Cœur Immaculé de Marie en union avec tous les évêques et « avec une mention spéciale pour la Russie ». Tout cela devait abréger les jours de tribulation, c’est-à-dire les guerres, les famines et les persécutions contre l’Église et le pape lui-même. Et en effet, en 1942, à l’occasion de la clôture de l’année jubilaire des apparitions de Fatima, Pie XII a consacré l’Église et l’humanité au Cœur Immaculé de Marie, acte qu’il a renouvelé le 8 décembre. Mais le texte ne fait qu’une allusion voilée à la Russie, sans la mentionner explicitement. Par la suite, dans une lettre du 4 mai 1943 adressée au Père Gonçalves, Sœur Lucie affirme avoir eu une autre révélation dans laquelle Notre Seigneur, « en considération de l’acte que Sa Sainteté a daigné accomplir », promet la fin de la guerre mais, en même temps, signale que la consécration a été incomplète et que, par conséquent, la conversion de la Russie est encore loin.
En juillet 1952, Pie XII consacra les peuples de Russie au Cœur très pur de Marie et en novembre 1964, Paul VI confia le genre humain au Cœur immaculé de Marie. Par la suite, deux consécrations ont été faites par Jean-Paul II : l’une à Fatima le 13 mai 1982 et l’autre à Rome le 25 mars 1984, mais la Russie n’était pas explicitement mentionnée. À tel point que le pape a ressenti le besoin de sortir du texte officiel pour ajouter une invocation impromptue.
En 2015, l’exorciste Père Gabriele Amorth déclara:
Il [le pape] aurait voulu consacrer Moscou, la Russie, au Cœur Immaculé de Marie ; c’était son désir parce que c’était la demande de la Vierge, une demande précise. Mais son entourage s’y opposait : « Non, car cela irriterait le patriarche de Moscou » ; « Là, nous nous dressons contre les Soviétiques… ». Après plusieurs tentatives pour convaincre ses conseillers, le pape Jean-Paul II décida de les écouter et de ne pas mentionner la Russie lors de la consécration. Il rendit toutefois un service à Notre-Dame de Fatima en faisant savoir publiquement qu’il ne procéderait pas ce jour-là à la consécration que Notre-Dame de Fatima avait demandée. Le Pape l’a souligné par deux fois ce jour-là : la première le matin, pendant la cérémonie de consécration elle-même, et la seconde trois heures plus tard, à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre. Le texte de la cérémonie de consécration avait été préparé plusieurs mois à l’avance et avait été envoyé à tous les évêques dans une lettre datée du 8 décembre 1983 (publiée dans L’Osservatore Romano le 17 février 1984). Le matin du 25 mars 1984, cependant, après avoir prononcé la partie de l’acte de consécration par laquelle il consacrait le monde à la Sainte Vierge – sept paragraphes plus loin, pour être précis – le pape Jean-Paul II s’est écarté de manière inattendue du texte préparé. Après les mots « Mère de l’Église », il a ajouté : « Éclaire surtout les peuples dont tu attends notre consécration et l’acte de confiance en toi« . C’est le seul changement que le pape a apporté au texte de la cérémonie. Ses paroles indiquent clairement qu’il savait que la consécration de la Russie demandée par Notre Dame de Fatima ne serait pas accomplie par la consécration de ce jour. Ses paroles, en effet, imploraient la Vierge d’éclairer des peuples particuliers dont la Vierge attendait encore la consécration. Le seul pays ou peuple que Notre-Dame de Fatima avait demandé de consacrer était la Russie.
Selon le Père Amorth:
Pour rendre le concept encore plus clair le pape Jean-Paul II a répété le même message quelques heures plus tard, à 16 heures, à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre et devant dix mille fidèles, à l’occasion de l’adieu à la statue de la Vierge pèlerine. De nouveau, quelques heures après la cérémonie de consécration du matin, le pape a reconnu, lors d’une cérémonie publique, que la consécration demandée par Notre-Dame de Fatima n’était pas encore achevée. Dans sa prière à la Vierge, il attire l’attention sur certains peuples (le peuple russe) qui ont particulièrement besoin d’être consacrés : « Ces peuples pour lesquels Tu attends toi-même notre acte de consécration et de confiance. Tout cela, nous avons pu le faire selon nos pauvres possibilités humaines, dans la dimension de notre faiblesse humaine« .
Lors du centenaire de la première apparition, dans la cathédrale de Notre-Dame de Fatima, à Karaganda, au Kazakhstan, une messe solennelle fut célébrée à l’issue du Congrès marial international et, dans son homélie, le cardinal allemand Paul Josef Cordes, longtemps président du Conseil pontifical Cor Unum, a expliqué ainsi l’attitude de Jean-Paul II en 1984 :
Il s’est abstenu de mentionner explicitement la Russie parce que les diplomates du Vatican avaient insisté pour qu’il ne mentionne pas ce pays, sinon des conflits politiques pourraient survenir […]. Peu de temps après, il m’a invité à déjeuner. Dans notre cercle restreint, il a évoqué le désir qu’il ressentait en lui de mentionner la Russie lors de cette consécration plutôt que de céder à ses conseillers. Puis il nous a dit, le visage rayonnant, que ce qu’il avait renoncé à faire par lui-même avait néanmoins été accompli. Par l’intermédiaire de ses amis, il avait appris quelque chose d’important et de réconfortant pour lui : que certains évêques orthodoxes russes avaient utilisé leur propre consécration du monde à la Mère de Dieu comme une occasion de consacrer la Russie d’une manière très spéciale à Marie.
Une fois de plus, cependant, la demande de Marie n’avait pas été accordée : la Vierge avait demandé la consécration par le pape en communion avec tous les évêques catholiques du monde, et non par les évêques orthodoxes.
Depuis 1984, et jusqu’à la chute du mur de Berlin, Sœur Lucie a toujours soutenu qu’aucune des consécrations effectuées jusqu’alors n’était valide, car elles ne remplissaient pas les conditions requises par la Vierge. En ce qui concerne les consécrations de 1982 et 1984, elle a déclaré catégoriquement dans une interview accordée au magazine Sol de Fátima en 1985 : « Tous les évêques n’ont pas participé, et la Russie n’a pas été mentionnée ».
Plus tard, le cardinal Tarcisio Bertone, dans l’introduction d’un document sur le message de Fatima, a déclaré que Sœur Lucie avait dit le 8 novembre 1989 : « Oui [la consécration] est faite comme Notre Dame l’a demandé depuis le 25 mars 1984 ». Puis, lors d’une conversation avec lui, la voyante aurait déclaré : « J’ai déjà dit que la consécration souhaitée par la Vierge a été faite en 1984, et a été acceptée au Ciel ». Selon le cardinal, cette acceptation a été exprimée à Sœur Lucie directement par la Vierge lors d’une apparition.
En 2016, l’archevêque Athanasius Schneider, évêque auxiliaire d’Astana, au Kazakhstan, a déclaré : » Nous devons prier pour que le pape consacre bientôt explicitement la Russie au Cœur Immaculé de Marie, afin qu’elle puisse triompher. «
À l’occasion du centenaire des apparitions (2017), dans une conférence sur le message de Fatima prononcée au Rome Life Forum, le cardinal Raymond Leo Burke exhorta les participants à se consacrer au Cœur Immaculé de Marie et à « œuvrer pour la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie ». En effet, a-t-il ajouté, « aujourd’hui, une fois de plus, nous entendons l’appel de Notre Dame de Fatima à consacrer la Russie à son Cœur Immaculé, selon ses instructions explicites. »
Interrogé par The Wanderer sur le fait de savoir si cette demande allait au-delà de la simple mention explicite de la Russie par le pape, le cardinal américain a répondu qu’il pensait que Jean-Paul II voulait se conformer à la demande de la Vierge, car il était conscient de la gravité de la situation et de la nécessité de consacrer la Russie au Cœur Immaculé de Marie, mais qu’à l’époque, on avait fait valoir que le nom de la Russie ne devait pas être mentionné afin de promouvoir des relations plus amicales avec les pays du bloc de l’Est : « Je crois que l’intention du Saint-Père était de consacrer la Russie. Cependant, je crois aussi que, étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, la consécration de la Russie doit se faire explicitement, exactement comme la Vierge l’a demandé (ce qui ne veut pas dire nier l’intention de Jean-Paul II d’inclure la Russie lorsqu’il a consacré le monde à son Cœur Immaculé…) Mon intention n’est pas de porter des accusations contre qui que ce soit, mais d’insister sur la nécessité d’accomplir ce que la Vierge a demandé, exactement comme elle l’a demandé, en réponse à la situation actuelle, qui est si grave. »
Dans son rapport intitulé Fatima : la réponse du Ciel à un monde en crise, le cardinal Burke affirme:
La consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie est plus nécessaire aujourd’hui que jamais. Quand nous voyons comment le mal du matérialisme athée, dont les racines sont en Russie, dirige radicalement le gouvernement de la République populaire de Chine, nous reconnaissons que le grand mal du communisme doit être guéri à sa racine par la consécration de la Russie, comme l’a ordonné la Vierge. Reconnaissant la nécessité d’une conversion totale du matérialisme athée et du communisme au Christ, l’appel de Notre Dame de Fatima pour que la Russie soit consacrée à son Cœur Immaculé, selon ses instructions explicites, reste urgent.
Concernant les déclarations du cardinal Bertone, le père Gabriele Amorth a abordé le sujet en 2011 dans une interview avec le journaliste José María Zavala [ndt: Carlota avait traduit cette interview ici: Fatima : la non-consécration de la Russie]. En voici quelques passages.
« Avez-vous vu la lettre ? » demanda le père Amorth.
« Non, jamais », répondit Zavala d’une voix étouffée.
« Et je pense que vous ne la verrez jamais », répondit Amorth, « car je suis convaincu que Sœur Lucie ne l’a jamais écrite ».
« Comment pouvez-vous en être si sûr ? », insista Zavala.
Et le père Amorth : » Pourquoi le cardinal Bertone n’a-t-il pas montré cette lettre – alors qu’il aurait dû le faire – lorsqu’il a annoncé le troisième secret de Fatima ? Une simple photocopie du manuscrit inclus dans le dossier officiel du Vatican aurait suffi à dissiper tout doute. Si le Vatican a toujours été scrupuleux dans la fourniture de preuves documentaires pour authentifier les informations de Sœur Lucie, même sur des questions d’importance mineure, quelle raison y aurait-il d’économiser sur les seules preuves documentaires qui, selon Bertone, ont validé un fait indubitablement de la plus grande importance, comme la Consécration effectuée par Jean-Paul II ? »
« Oui, c’est étrange », admit Zavala.
« Pensez-vous vraiment qu’il a fallu cinq ans à Sœur Lucie pour dire que la consécration avait bien été acceptée et que Bertone attendrait pas moins de seize ans pour annoncer la validité d’une chose aussi cruciale que la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie ? ».
« Tout ceci est en fait très étrange », dit encore Zavala.
En outre, ajouta le père Amorth, si la consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie faite par Pie XII en 1942 n’a été que partiellement acceptée, parce qu’il n’a pas mentionné spécifiquement la Russie et que Jésus a dit qu’en raison de cette consécration la guerre serait seulement écourtée mais ne prendrait pas fin immédiatement, pourquoi changerait-il maintenant d’avis avec Jean-Paul II si la Russie n’était pas mentionnée là non plus ? Ce serait une incongruité ».
« En effet, c’est le cas », répondit Zavala. « Et alors ? »
« Je n’ai aucun doute sur le fait que la consécration n’a pas été réalisée dans les termes requis par la Vierge Marie. Mais nous ne devons pas perdre de vue ce qu’Elle-même a voulu nous dire par l’intermédiaire de Sœur Lucie: ‘A la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie et un temps de paix sera accordé au monde‘ « .
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