Le 11 octobre marquait le 60ème anniversaire du début du concile, et lors de la messe célébrée dans la Basilique Saint-Pierre, François a prononcé une homélie dans laquelle il a fustigé symétriquement les deux partis, renvoyant dos à dos les conservateurs et les progressistes et plaidant pour l’union de tous au sein de l’Eglise. Des propos justes et nécessaires, mais qui auraient gagné en crédibilité si leur auteur ne s’employait pas à les démentir systématiquement jour après jour en actes et en paroles, contribuant lui-même à la division qu’il prétend dénoncer. Commentaires d’Andrea Gagliarducci.

Le pape demande [à être soutenu, et non critiqué] en appelant à rejeter les attitudes autoréférentielles. Ce faisant, il prouve qu’il est lui-même autoréférentiel. Et c’est cette auto-référentialité qui, avant tout, crée la division.

Pape François, la crise de l’unité

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-crisis-of-unity

C’est peut-être le destin qui fait que les papes arrivent aux anniversaires du Concile Vatican II pleins d’amertume. Il y a dix ans, Benoît XVI, regardant par la fenêtre du Palais apostolique, a prononcé un discours amer, qui attirait l’attention sur les « mauvais poissons » dans le filet de l’Église et qui regardait avec nostalgie l’enthousiasme dominant cinquante ans plus tôt. Le 11 octobre, le pape François a rappelé le 60e anniversaire de l’ouverture du Concile par un discours très dur, qui dénonçait les polarisations et demandait aux catholiques de rester unis parce qu’ « une Église amoureuse de Jésus n’a pas de temps pour les heurts, les poisons et les controverses ». « 

Les paroles du pape François sont frappantes car elles font mouche. Le pape François a dit :  » […]  » Combien de fois, après le Concile, les chrétiens ont-ils travaillé dur pour choisir une partie de l’Église, sans se rendre compte qu’ils déchiraient le cœur de leur mère ? Combien de fois avons-nous préféré être des ‘partisans de notre propre groupe’ plutôt que les serviteurs de tous, des progressistes et des conservateurs plutôt que des frères et sœurs, des ‘droitistes’ ou des ‘gauchistes’ plutôt que Jésus ; nous ériger en ‘gardiens de la vérité’ ou en ‘solistes de la nouveauté’, au lieu de nous reconnaître comme des enfants humbles et reconnaissants de la Sainte Mère l’Église. « 

Pourtant, en lisant ces mots du pape, une sensation douce-amère demeure. Le pape François fait de la réception du concile Vatican II l’un des thèmes principaux de son pontificat. Traditionis Custodes, qui supprime de facto, à quelques exceptions près, l’ancien rite de l’histoire de l’Église, se justifie précisément par la volonté de mener à bien le concile Vatican II.

Le pape François ne manque jamais de mettre en garde contre les retours en arrière, qu’il considère comme une idéologie dangereuse. Le traditionalisme tourné vers le passé est l’un des plus grands dangers pour l’Église, au même titre que le « progressisme qui s’accorde au monde », car tous deux sont une « infidélité » et un « égoïsme pélagien, qui fait passer ses goûts et ses projets avant l’amour qui plaît à Dieu. »

Tout cela est exact. Pourtant, en regardant le pontificat et les décisions du pape François, on ne peut s’empêcher de remarquer que dans plusieurs cas, le pape a oscillé entre ces deux infidélités, cherchant un équilibre qu’en réalité, il a eu du mal à trouver.

Traditionis Custodes en est le premier exemple car, avec cette décision, le pape ferme les portes à un mouvement liturgique en pleine croissance dans l’Église et qui n’est pas né en dehors de la communion avec le pape.

Le Pape François semble choisir la cohérence, en demandant à l’Eglise de rester sur la même ligne. Il crée une division. En fait, il crée plus d’une division. Certains évêques ont suivi les normes servilement, d’autres les ont interprétées librement. Il y aura des fidèles qui accepteront les nouvelles décisions et d’autres qui rejoindront le monde traditionaliste.

Benoît XVI, en ouvrant les portes au monde traditionnel, avait aussi demandé aux membres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie V de signer un préambule doctrinal pour revenir à la pleine communion avec Rome. Ce préambule prévoyait l’acceptation du Concile Vatican II.

Par ailleurs, le pape François prend la voie qui consiste à balayer toute résistance. Ce faisant, pourtant, il laisse tout le monde là où il est, sans rien perdre, mais sans rien gagner.

Le pape François appelle à éviter la polarisation et à préserver la communion, en surmontant « la nostalgie du passé, le regret de la position dominante, l’attachement au pouvoir. »

Encore une fois, c’est un message qui semble ambigu à plusieurs niveaux. Demander de surmonter le regret de la position et de la nostalgie, c’est tenir pour acquis que le monde catholique regrette encore la période où il pesait sur les affaires du monde et où il avait du pouvoir.

Pourtant, dès 2011 en Allemagne, Benoît XVI avait parlé de  » tendances séculières  » qui avaient été providentielles pour démondaniser l’Église afin qu’elle puisse revenir à Jésus.

Il ne s’agit donc pas d’un appel nouveau. Mais ensuite, le pape François a été très politique dans ses décisions, attentif à avoir du poids même dans le monde séculier. Dans de nombreux cas, les décisions du pape François ont sacrifié des personnes sur l’autel de l’hypocrisie, comme il l’a admis lorsqu’il a expliqué pourquoi il avait accepté la démission de l’archevêque de Paris, Michel Aupetit.

Même la décision d’organiser le procès d’un cardinal devant le tribunal du Vatican, comme c’est le cas actuellement, répond à une décision de montrer au monde un type particulier de gouvernement.

Le pape François veut que tout le monde soit mis sur un pied d’égalité, que les prêtres ne se sentent pas au-dessus des laïcs et que les évêques n’aient pas plus de pouvoir que les prêtres. Mais ce faisant, il déconstruit un monde, vide les symboles de leur sens et, paradoxalement, ne conduit pas l’Église vers le Concile. Au contraire, il la fait revenir à une période où seule l’autorité du pape comptait.

Et nous constatons chaque jour qu’au-delà des proclamations d’une Église synodale, seule compte l’autorité du pape.

Ainsi, les appels du pape François en faveur de l’unité de l’Église ressemblent davantage à une plainte personnelle concernant les critiques formulées à son encontre par divers secteurs de l’Église.

Le raisonnement semble être que, s’il est le pape, c’est parce que le Saint-Esprit a inspiré son élection, et qu’il doit donc être soutenu, et non critiqué.

Le pape le demande en appelant à rejeter les attitudes autoréférentielles. Ce Faisant, il prouve qu’il est lui-même autoréférentiel. Et c’est cette auto-référentialité qui, avant tout, crée la division. Ces dernières années, le débat sain dont naît la véritable unité a apparemment fait défaut au sein de l’Église.

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