Après AM Valli, Andrea Gagliarducci revient à son tour sur le sujet dans son billet hebdomadaire en anglais. Selon lui, et à gros traits, la synodalité permet à François de laisser à d’autres le soin de prendre, au niveau local, des décisions trop « gênantes », mais sans caution officielle, et ce faisant, de modifier profondément l’Eglise sans avoir l’air d’y toucher. Bref, de « faire avancer l’idée d’Eglise qu’il a en tête », cette Eglise « liquide », profondément clivante, qui désoriente les fidèles tout en satisfaisant le monde.

Pape François, les dangers d’un état permanent de synode

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-dangers-of-a-permanent-state-of-synod

Le pape François a annoncé que l’assemblée synodale sur la synodalité se tiendra sur deux sessions, en 2023 et 2024. Cela permet un plus grand discernement pour faire mûrir les fruits du processus synodal. La décision a été prise à la suite de la rencontre avec le Secrétariat général du Synode, qui a apporté les résultats d’un premier document de synthèse esquissé lors d’une réunion du comité restreint à Frascati pour l’étape continentale. Le document n’a pas encore été publié mais seulement remis au Pape, qui a décidé de prolonger l’assemblée synodale d’une autre réunion.

Depuis un certain temps, le pape François a placé l’Église dans un état permanent de synode. Le synode sur la famille s’est tenu en deux sessions, en 2014 et 2015. Après le synode sur les jeunes en 2018, il y a eu un synode spécial sur la région panamazonienne en 2019. Avec l’actuel parcours synodal, qui se poursuivra jusqu’en 2024, on peut dire que plus de la moitié des années du pontificat du pape François ont vu l’Église en état de synode.

C’est un fait frappant si l’on pense que, dans l’une des premières interviews accordées après l’élection du pape François, son auxiliaire à Buenos Aires, Mgr Garcia, déclarait que le cardinal Bergoglio n’aimait pas les synodes diocésains, et que chaque fois qu’il les proposait, il faisait remarquer qu’il valait mieux faire des travaux, qu’un synode ne produirait que des documents que personne ne lirait.

Ces synodes produisent également des documents dont, en réalité, peu de gens se souviennent, mais qui constituent la base de certaines déclarations et interprétations locales qui n’ont pas de caution officielle et créent donc la division. Il est clair, cependant, que le pape François a changé d’avis sur le sujet, estimant que la voie synodale est utile pour la discussion, ou en tout cas, un meilleur moyen de faire avancer l’idée d’Église qu’il a en tête.

Au début du pontificat, on craignait beaucoup que le pape François ne convoque un concile Vatican III. Ce synode permanent semble être un concile déguisé. La seule différence est que les questions importantes ne sont pas discutées ouvertement par des évêques et des experts dans une assemblée transparente et dynamique. Les grands thèmes surgissent dans les discussions synodales, dans des situations sans aboutissement mais seulement des pas en avant ou en arrière, qu’il appartiendra ensuite à l’autorité de définir. L’autorité, cependant, ne les détermine pas mais poursuit cette discussion permanente.

C’est peut-être justement parce que le pape ne prend pas de position tranchée que certaines conférences épiscopales ont fait un bout de chemin toutes seules, en arrivant à des propositions de changements doctrinaux substantiels. C’est le cas du parcours synodal de l’Église en Allemagne, mais pas seulement. Vous pouvez lire les rapports nationaux de ce Synode de France, d’Allemagne et de Suisse pour voir où nous allons au niveau doctrinal, sans oublier la décision des évêques de Flandre en Belgique de définir un modèle pour la bénédiction des couples homosexuels.

La situation en Flandre est emblématique parce que, dans leurs textes, les évêques ont fait très attention à rester formellement dans les limites de la doctrine, en ne donnant pas une bénédiction formelle au couple ou à l’union. Et ainsi, entre un formalisme, une position dure et, finalement, une certaine indifférence, on change le visage de l’Église sans le changer formellement.

Pendant le Concile Vatican II aussi, il y a eu plusieurs avancées et campagnes pour changer les positions doctrinales de l’Église. Pour la première fois, les médias sont entrés dans le débat et en ont profité pour l’orienter. Rien de nouveau en cela. Mais il y a un problème dans cet état de Synode permanent, qui était précisément aussi un problème lors du Concile Vatican II.

Après la première assemblée du concile Vatican II, Jean XXIII est mort. C’est son successeur, Paul VI, qui a achevé le Concile. Paul VI avait un sens de la tradition de Jean XXIII et une volonté particulière de changer sans révolutionner, ce qui a en quelque sorte permis d’avoir une transition au nom de la continuité. Paul VI a cependant énormément souffert des pressions extérieures.

Après les campagnes médiatiques qui ont suivi la publication de l’encyclique Humanae Vitae sur la contraception en 1968, Paul VI n’a plus écrit d’encycliques. A la place, il s’est limité à des documents plus légers dans un magistère devenu prophétique, itinérant, et qui, cependant, était considéré comme faible.

Que se passera-t-il si, dans cet état de synode permanent, le pape François meurt ou démissionne? Comment son successeur gérera-t-il ce processus synodal ?

Inévitablement, c’est une question qui entre dans les discussions des cardinaux et qui, en même temps, entrera dans le conclave. L’approche fluide du pape François sera-t-elle maintenue, en avançant dans cette direction ? Ou en sera-t-il autrement, avec un pape qui dirigera le processus synodal à la première personne ?

Cela pourrait être compris comme si le pape François laissait la décision à d’autres. Mais ce n’est pas le cas. Au contraire, le Pape se présente comme un décideur naturel, et aucune discussion ne l’a conduit à ne pas prendre lui-même la décision. Il suffit de penser à la réforme de la Curie, faite et promulguée presque toujours en dehors des réunions du Conseil des Cardinaux.

Le Pape, cependant, ne prend pas de positions précises dans les débats. Il laisse à chacun la possibilité d’interpréter, et ce n’est que plus tard qu’il fait comprendre quelle pourrait être, selon lui, la meilleure interprétation. Ainsi, on laisse tout en l’état, tout en changeant simultanément. Le Pape reste le point de référence central, mais surtout, dans les affaires gouvernementales. C’est un gouvernement presque laïc. Sur les questions doctrinales, tout semble suspendu, à l’exception de quelques décisions qui concernent pourtant la sphère liturgique – comme l’abolition de la libéralisation de la messe Usus Antiquior

Reste à savoir ce que fera le prochain pape. En fait, l’état de synode permanent restera pour un moment. Avec toutes ses conséquences.

Share This