Sortie imminente (prévue le 27 janvier) d’un livre-interview avec la vaticaniste du Messagero, Franca Giansoldati (a priori insoupçonnable, du moins du point de vue bergoglien), sous le titre « In buona fede. La religione nel XXI secolo ». Précisons qu’il ne circule pas de « pages volées », comme pour le livre de Georg Gänswein, au moins pour le moment (mais évidemment, Müller, ce n’est pas Gänswein), et que c’est l’éditeur lui-même qui rend disponibles sur internet, sous une forme électronique pas facile à partager, quelques pages du livre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que François n’en sort pas vraiment avec une belle figure.
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On pourra discuter à l’infini sur les conséquences de la disparition du père (en la personne de Benoît XVI), son rôle de verrou, et sur l’opportunité pour l’Eglise d’étaler ses dissensions en public – mais ceux qui critiquent l’étalage sont évidemment ceux qui ont tout intérêt à garder la poussière cachée sous le tapis. En tout cas, la continuité affichée vole chaque jour davantage en éclats
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A noter, le cardinal Müller semble par moments souffrir de dédoublement de la personnalité, puisqu’il fait avec ce livre ce qu’il a toujours condamné, au nom du principe sacro-saint « le bien supérieur de l’Eglise passe avant tout ».
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A noter aussi le rôle ahurissant de Tornielli, il faut dire que lui non plus n’est pas à son coup d’essai, lui qui avait eu l’insolence d’écrire à Benoît XVI pour lui demander de confirmer qu’il était bien émérite, et que sa renonciation était valide (et qui s’était fait envoyer poliment sur les roses, avec une réponse subtilement ironique du Saint-Père).

Voici quelques extraits, traduits par mes soins (Source)

Franca Giansoldati: Vous avez travaillé à la CDF et puis, inexplicablement, en 2017, vous avez été éloigné de votre charge par anticipation de 5 ans. Sur la décision du Pape François, quel a été le poids de vos réserves théologiques sur Amoris Laetitia, l’exhortation post-synodale qui a ouvert la voie à la communion des couples divorcés et remariés?

Cardinal Gerhard Müller: Ma sortie est advenue en 2017. Ce fut un éclair dans un ciel serein. La veille, c’était le 29 juin, fête solennelle de Pierre et Paul, et je me souviens que le Pape François m’a embrassé sur le parvis de la basilique devant tout le monde, à la fin de la messe, me disant qu’il avait toute confiance en moi. C’est exactement ce qu’il m’a dit. Le lendemain, je me suis rendu ponctuellement à l’audience au Palais ampostolique, pour lui soumettre une série de questions restées en suspens, il s’agissait d’un rendez-vous de routine pour le préfet de la CDF. Au terme de la brève rencontre, il me dit, en synthèse: « Tu as terminé ton mandat. Merci pour ton travail », sans me fournir aucun motif. Il se limita à ajouter seulement qu’après l’été, il me trouverait quelque mission. Depuis lors, il ne s’est rien passé. Ce moment, je l’ai encore bien imprimé, parce que ce fut un moment inattendu.

Bien que surpris, je lui répondis que quand j’étais venu à Rome en 2012, j’avais quitté une Chaire que j’aimais beaucoup, et que je n’ambitionnais pas de faire carrière à la curie.au Vatican, j’étais seulement venu pour obéir à l’appel de Benoît XVI, qui me voulait à ses côtés pour ma compétence théologique, comme je le lui avais répété plusieurs fois. J’ajoutai que pour moi, cela restait un service, et que si son désir était de m’éloigner, je le ferais immédiatement. Je lui dis que je m’occuperais d’autre chose, et de ne pas s’inquiéter pour moi.

Le Pape François était-il mal à l’aise en vous communiquant cette décision?

Mal à l’aise, je ne dirais pas cela. Plutôt, ce qui m’a frappé, c’est son visage réjoui. Plus tard, j’appris que tout de suite après notre entretien, à peine avais-je quitté la pièce que le Pape prit son téléphone pour appeler le jésuite Luis Francisco Ladaria, le cardinal qui par la suite devait être nommé préfet de la CDF, à ma place . Il lui dit qu’il allait être content de la façon, dont il avait su gérer l’affaire pour obtenir ma démission, et ajouta que la voie était désormais libre pour le poste à Ladaria. Je me suis convaincu qu’il avait pensé à ce pas au moins deux semaines plus tôt, tandis que j’étais dans l’ignorance. Personne n’avait fait allusion à quelque chose de semblable. Et pourtant, tout était déjà prêt, même le communiqué de presse, qui fut diffusé tambour battant.

J’ai beaucoup réfléchi à cette hâte, et peut-être n’étais-je pas totalement surpris, parce qu’il y avait eu des précédents. A la Congrégation pour la Doctrine de la foi, par exemple, quelque temps auparavant, des prêtres avaient été éloignés par le pape de manière analogue. Licenciés sans justification du jour au lendemain. Je me souviens de les avoir défendus, et je suis même allé plaider leur cause à Ste Marthe, pour faire changer d’avis à François, mais cela n’a servi à rien. Il resta inflexible, et il ne voulut pas entendre raison.

Malheureusement, ce modus operandi a causé pas mal d’inquiétude au Vatican, ces dernières années. J’ai eu l’occasion de discuter avec quelques-uns qui ont été démis de leur charge de la même façon. Je leur ai expliqué que personne ne peut mettre en question le pontificat, et je me suis même employé à raisonner ceux qui manifestaient une certaine colère et alimentaient le fil d’une opposition interne. Le bien de l’Eglise, à mon avis, doit toujours prévaloir, il doit rester un principe absolu.

Dans le cas de mon éloignement, j’ai su qu’à la base, il y avait eu une série de plaintes pour ma rigueur en fait de doctrine, et puis parce que je suis un théologien, et par surcroît, allemand. Ils me voyaient comme le professeur allemand rigide, qui veut donner des leçons même au Pape. Mais tout était faux, c’était un coup monté, je ne faisais que défendre les règles. Plus simplement, je suppose que le Pape a cultivé, au fil du temps, une forme de méfiance envers les théologiens, les universitaires allemands. Je me suis convaincu que c’est quelque chose qui doit remonter à l’époque où, jeune jésuite, il séjourna en Allemagne pour étudier et compléter son parcours [ndt: en vain! voir à ce sujet Sandro Magister, dès 2013: benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/bergoglio-doctorant-mais-pas-docteur].

(…)

Je me souviens d’une autre fois où j’avais publié sur l’Osservatore Romano un article détaillé sur l’indissolubilité du mariage. Je reçus très vite un coup de téléphone d’Andrea Tornielli, un journaliste italien ami du Pape. A l’époque, il n’était pas encore entré au Dicastère vatican pour la communication. Il me contacta pour me faire savoir que la ligne théologique que j’avais exprimée dans le texte publié sur Amoris Laetitia n’était à l’évidence pas la même que celle du Pape François. Il voulait savoir de moi si le Pontife m’avait ou pas donné la permission d’écrire. En pratique, il me demandait si j’étais autorisé à publier dans l’OR. J’étais stupéfait de ces questions mal posées, parce que n’importe qui pouvait comprendre qu’il s’agissait d’une contribution à insérer au débat en cours, et que le préfet de la CDF avait le devoir de faire des analyses et de développer la ligne théologique du Magistère. Mais pour les théologiens du cercle papal, je restais dangereusement proche de la ligne de Ratzinger.

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