Un mois après sa disparition, la renonciation, moment clé de l’histoire de l’Eglise de ce début de millénaire, continue à faire beaucoup parler, et il est plus que probable que, si énigme il y a, nous n’en connaîtrons jamais la clé.
Americo Mascarucci, une des plumes récurrentes du blog de Marco Tosatti, fait le point, et donne ses propres hypothèses – qui ne feront certainement plaisir ni aux « complotistes » (comme Andrea Cionci) ni à ceux qui aimaient et admiraient le Pape mais qui, à l’instar de The Wanderer ou d’AM Valli, ne lui ont pas pardonné d’avoir « quitté la Croix » (c’est ce qu’ils disent), ouvrant ainsi toute grande la porte à la catastrophe Bergoglio.

Pour ma part, j’ai repensé à ce que j’écrivais il y a presque dix ans jour pour jour, après le coup de massue de l’annonce du 11 février 2013, et je me permets de me citer. Depuis, il me faut confesser que j’ai lu énormément de choses (trop de choses), et que, dans ma soif de comprendre, j’ai plusieurs fois changé d’avis.
Mais je me dis aujourd’hui qu’à chaud, j’avais peut-être vu juste…

J’ai mis en exergue de la dernière version de ce site une phrase extraite de son autobiographie.

Quant à moi j’ai fait mes valises pour Rome et depuis longtemps je marche, mes valises à la main, dans les rues de la Ville Éternelle. J’ignore quand on me donnera congé

Eh bien, je crois qu’il a demandé – une fois de plus – son congé au Seigneur. Et que Celui-ci le lui a enfin accordé, sur cette terre, après soixante deux ans de service (il a été ordonné en 1951), dont 32 passés à faire ce qu’il ne voulait peut-être pas faire, à la CDF, puis sur le Trône de Pierre.


Et il nous a rappelé que rien sur cette terre ne nous appartient définitivement. C’est le Seigneur qui dispose.

*

https://benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/huit-ans-avec-lui.php

Benoît XVI et l’insomnie: et si ce n’était pas que du complotisme?

www.stilumcuriae.com
Americo Mascarucci
2 février 2023

Benoît XVI fait plus de bruit mort que vivant, ôtant de ses souliers ces cailloux qu’il a évité de lancer de son vivant.

La semaine dernière ont été publiés ses écrits posthumes, rendus publics, par sa volonté, après sa mort. Ils révèlent l’amertume et la souffrance que ce grand théologien, futur pape et premier pape émérite de l’histoire de l’Église, a dû endurer à cause de cette « rumeur meurtrière » qui ne l’a jamais épargné.

Puis on a eu la révélation de son biographe Peter Seewald, qui a fait connaître le contenu d’une lettre que Ratzinger lui avait envoyée quelques jours avant sa mort, dans laquelle il révélait qu’il avait renoncé à la papauté à cause d’une insomnie qui le tourmentait et l’empêchait d’avoir la force nécessaire pour continuer.

Mais allons dans l’ordre.

Des écrits posthumes rassemblés dans le livre “Cos’è il Cristianesimo” il ressort clairement que les modernistes ont toujours considéré Ratzinger comme l’obstacle à abattre, depuis qu’il était à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en particulier dans les dernières années du pontificat de Wojtyla, quand saint Jean-Paul II s’appuyait presque exclusivement sur lui. Ils le craignaient, pour ne pas dire qu’ils le haïssaient, à tel point qu’ils ont ressenti le besoin de se regrouper et de créer ce parti progressiste appelé la « Mafia de Saint-Gall » où ils discutaient justement de la manière de contrer son pouvoir et de le neutraliser. Et c’est précisément dans ces années-là que les modernistes ont décidé d’affûter leurs armes, dans la perspective de la mort imminente du pape polonais, pour tenter l’assaut contre l’Église.

Un assaut qui avait déjà été annoncé au début du nouveau millénaire, à partir des États-Unis, où les journaux d’orientation liberal ont commencé à construire la candidature à la succession de Carlo Maria Martini, le pape progressiste en puissance adoré outre-Atlantique et dans les salons de la gauche démocrate. Et qui sait, s’il n’avait pas déjà été atteint de la maladie de Parkinson, l’ancien archevêque de Milan, lors du conclave de 2005, aurait vraiment joué sa carte contre Ratzinger, étant donné qu’il était le plus influent des candidats du groupe de Saint-Gall.

Le pape Benoît savait très bien à quoi il allait être confronté, il l’a clairement indiqué, lorsqu’il a demandé de prier afin qu’il ne s’enfuie pas devant les loups. Déjà conscient du climat qui allait se créer contre lui, il a tenté la voie du dialogue avec ses ennemis en leur tendant la main.

Il a rencontré Hans Kung pour tenter peut-être de trouver en lui un allié capable d’endiguer les attaques et les manœuvres perturbatrices des modernistes qui l’accusaient d’avoir été l’inspirateur de la politique réactionnaire de Wojtyla qui avait touché le théologien suisse ; il a créé cardinal Reinhard Marx, le plus agressif des évêques réformateurs allemands, comme un signe clair de son désir de créer une Église plurielle, une Église inclusive et dialoguante, sans discriminer personne ; il a toléré des séminaires progressistes dans lesquels ses livres étaient interdits et où les séminaristes qui appréciaient sa théologie étaient empêchés de devenir prêtres. Il n’a puni ou marginalisé aucun de ses adversaires, comme Bergoglio le fera après lui, en évinçant les conservateurs à la tête des dicastères, en nommant des commissions pour les séminaires et des ordres religieux d’obédience traditionaliste, en créant des cardinaux de rupture par rapport aux conférences épiscopales non alignées, comme cela s’est produit en Amérique avec le choix du controversé McElroy, contesté pour ses positions pro-LGBT et pour avoir défendu le droit des avorteurs à recevoir la communion.

L’esprit de dialogue de Benoît XVI n’a pas suffi, et les huit années de son pontificat ont été un Vietnam d’attaques médiatiques et de campagnes de haine, qui ont vu les médias se retourner contre le Vicaire du Christ comme jamais auparavant ; en s’appuyant sur les scandales de pédophilie et les scandales financiers liés à l’IOR, sur l’accusation de vouloir revenir aux croisades après le discours de Ratisbonne, sur l’excommunication révoquée de l’évêque lefebvriste antisémite: pour terminer avec le scandale Vatileaks et la divulgation de documents confidentiels du pape et du Saint-Siège.

Benoît XVI était un grand théologien, dont le rôle en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi a été fondamental dans les années du pontificat de Wojtyla pour ramener l’Église sur la voie de l’orthodoxie après l’épopée de la grande ivresse post-conciliaire et les grandes erreurs nées de l’interprétation ultra-moderniste du Concile Vatican II par Karl Rahner et ses nombreux disciples.

Mais peut-être qu’à un moment donné, Ratzinger a réalisé qu’être pape était quelque chose de trop grand pour lui [?], homme d’étude, de réflexion, d’écriture, mais pas d’action. Benoît XVI s’est rendu compte qu’il n’avait pas réellement la force physique et la volonté d’affronter une guerre éprouvante avec ses ennemis, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église, et il a voulu se retirer pour retourner à ses études [ndt: en réalité, il a dit lui-même en prenant congé qu’il n’aurait plus la force d’écrire, il n’a pas tout a fait tenu parole, mais sa production littéraire s’est limités à des textes isolés, même d’une grande densité, mais d’une ampleur sans comparaison avec ses travaux d’avant] et à ses travaux.

L’erreur réside peut-être dans le fait de ne pas vouloir accepter que la renonciation de Benoît XVI ait été en réalité le produit d’une faiblesse humaine, du découragement de ne pas pouvoir diriger l’Église dans la mer des tempêtes et de se sentir la cible d’attaques et d’incompréhension de la part de quantité de personnes qui semblent avoir attendu aujourd’hui pour le réévaluer. Une forme extrême de sacrifice, consentie en sachant que le manque de confiance en lui-même et en ses propres capacités aurait risqué de compromettre le bien même de l’Église.

Au contraire, chez de nombreux Ratzingeriens, il semble y avoir une réticence à accepter la possibilité d’un Benoît XVI victime de la faiblesse humaine qui a choisi de se sacrifier pour épargner des souffrances à l’Église, à coups de rumeurs meurtrières, conspirations et campagnes de délégitimation internationale.

Et voilà alors les thèses alternatives, la fausse démission, le plan B, le Siège empêché, toutes théories légitimes mais qui même après la mort de l’émérite ne semblent pas trouver de confirmation, contrairement à la réalité d’une renonciation volontaire qui au contraire, même avec la publication des écrits posthumes, apparaît comme la seule explication plausible. Un renoncement volontaire mais certainement déterminé par le climat et les événements contingents qui ont fait perdre à Ratzinger la foi de pouvoir continuer à être pape.

Et pourquoi ne pas croire à la possibilité que l’insomnie puisse aussi avoir joué un rôle ? Pourquoi Seewald aurait-il inventé une telle chose ? Pourquoi exclure la possibilité que Ratzinger, déjà contesté, ait pris le conseil de son médecin comme prétexte pour décider de faire le grand saut ? On ne veut pas accepter que Benoît XVI était un homme avant d’être un pape [je ne sais pas si la formule est heureuse, encore moins si elle correspond à la réalité] et qu’il a peut-être mûri en sachant qu’il n’était plus à la hauteur de la tâche.

Il nous échappe peut-être que la sainteté de Ratzinger réside finalement surtout dans sa renonciation à la papauté, non par lâcheté mais comme une grande preuve d’amour et de sacrifice pour l’Église.

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