La semaine dernière, Nico Spuntoni, commentait le dernier motu proprio de François dans un article intitulé « Au Vatican, la propriété privée est abolie ». Et il avait trouvé la formule-choc « le Saint-Siège, c’est lui, le pape ». Une allusion au Roi Soleil que ne pouvait manquer une Française, au point que j’avais donné pour titre à ma traduction: « Le Saint-siège, c’est moi » et reproduit en miniature le célèbre portrait de Rigaux représentant le Roi en majesté, revêtu du costume du Sacre.
Le commentaire du juriste spécialiste en droit canonique Franco Patruno (dont parlait Nico Spuntoni dans son article), qui souligne le côté « féodal » de la réforme induite par le mp, passe en revue TOUTES les mesures papales allant dans le même sens, et explicite noir sur blanc la comparaison (à mon humble avis bien trop flatteuse pour le Pape) de François avec le Roi Soleil… et avec De Gaulle!

Note: J’ai volontairement omis certains passages, très techniques, et qui ne sont pas nécessaires à la compréhension du texte

« L’Eglise, c’est moi ! » (*) Parole de François

(*) en français dans le texte

Francesco Patruno [docteur en sciences canoniques et ecclésiastiques]
https://www.aldomariavalli.it/2023/02/27/leglise-cest-moi-parola-di-francesco/
27 février 2023


Portrait de Louis XIV en costume de sacre
(Musée du Louvre, Hyacinthe Rigaud, 1701).

On attribue communément à Louis XIV, le Roi Soleil, souverain de France. la célèbre formule « L’État, c’est moi ! ». Les historiens ne s’accordent pas sur le fait que le roi l’ait jamais prononcée. Qu’elle ait été prononcée ou non, elle exprime l’idée d’un fait, à savoir que l’État s’identifie à la personne du Roi. Une conviction destinée à avoir la vie dure si l’on pense qu’un De Gaulle, encore au XXe siècle, affirmait « Je suis la France ».

Maintenant, passant au niveau ecclésiastique, paraphrasant la célèbre phrase que nous avons rappelée, François peut bien dire que « L’Eglise, c’est moi ! ». Et tout cela n’en déplaise aux principes tellement claironnés de synodalité, subsidiarité et coparticipation.

Le dernier motu proprio promulgué par l’évêque de Rome le dimanche de Carnaval (20 février) et publié jeudi, intitulé Il diritto nativo, s’inscrit dans cette volonté résolue de François de centraliser toute décision entre ses mains.

Il est vrai qu’il a lui-même, déjà dans son encyclique Laudato sì, émis le projet de subordonner toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre et donc le récent motu proprio (mp) Il diritto nativo, s’inscrirait bien dans cette perspective bergoglienne. Nous lisons dans ce mp:

« La destination universelle des biens du Saint-Siège leur attribue une nature publique ecclésiastique. Les entités du Saint-Siège les acquièrent et les utilisent, non pas pour elles-mêmes, comme le propriétaire privé, mais au nom et sous l’autorité du Pontife romain, pour la poursuite de leurs objectifs institutionnels, qui sont également publics, et donc pour le bien commun et au service de l’Église universelle
.
(…) Les biens sont confiés aux institutions et aux organismes afin que, en tant qu’administrateurs publics et non pas en tant que propriétaires, ils puissent en faire usage comme le prévoit la réglementation en vigueur […], toujours pour le bien commun de l’Église » (§ 3).

Il s’agirait d’un principe au fond correct de ce point de vue, à savoir que les biens temporels sont des instruments pour la poursuite des buts de l’Église et, par conséquent, du bien commun de celle-ci.

Tout aussi correct est le principe exprimé dès le début du motu proprio, selon lequel

 » le droit natif, indépendant du pouvoir civil, du Saint-Siège d’acquérir des biens temporels (CJC/Code de droit canonique c. 1254 et 1255) est l’un des instruments qui, avec le soutien des fidèles, une gestion prudente et des contrôles opportuns, assurent au Siège apostolique la possibilité d’agir dans l’histoire, dans le temps et dans l’espace, pour les fins propres de l’Église et avec l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de sa mission « .

Ces principes sont bien connus dans l’histoire du droit de l’Église. Nous devons, en effet, au célèbre Sinibaldo de Fieschi, juriste destiné à monter sur le trône pontifical sous le nom d’Innocent IV, la conviction que les propriétaires des biens temporels de l’Église ne seraient ni les évêques ni le clergé en général, dont la tâche se limiterait à la gubernatio du patrimoine. Ni, à proprement parler, les pauvres, puisque leur propriété serait comprise comme « quo ad substentationem ». Pour Sinibaldo, le patrimoine appartiendrait au Christ, et donc à toute l’aggregatio fidelium dont il est le chef, c’est-à-dire l’Église universelle. Les élaborations ultérieures se sont développées dans cette veine.

A cet égard, donc, nihil novum sub sole.

Par contre, les points qui, plus que d’autres, manifestent la volonté centralisatrice de François et apparaissent en contradiction avec ses principes tant claironnés de synodalité, de subsidiarité, de coparticipation et de coresponsabilité sont les deux premiers paragraphes du motu proprio, qui énoncent:

« Tous les biens, meubles et immeubles, y compris les espèces et les titres, qui ont été ou seront acquis, de quelque manière que ce soit, par les institutions curiales et par les institutions rattachées au Saint-Siège, sont des biens publics ecclésiastiques et, en tant que tels, appartiennent, en titre ou autre droit réel, au Saint-Siège dans son ensemble et appartiennent donc, indépendamment du pouvoir civil, à son patrimoine unitaire, non fractionné et souverain » (§ 1).

 » Aucune Institution ou Entité ne peut donc prétendre à la propriété ou au titre privé et exclusif des biens du Saint-Siège, puisqu’elle a toujours agi et doit toujours agir au nom, pour le compte et aux fins du Saint-Siège dans son ensemble, compris comme une personne morale unitaire, ne le représentant que là où le droit civil l’exige et le permet  » (§ 2).

Ces dispositions rendent explicite ce qui avait déjà été anticipé par François lui-même dans le précédent mp. sur les personnes juridiques instrumentales de la Curie romaine du 5 décembre dernier, dans lequel il déclarait :

« Bien que ces entités aient une personnalité juridique formellement distincte et une certaine autonomie administrative, on doit reconnaître qu’elles contribuent à la réalisation des fins propres des Institutions curiales au service du ministère du Successeur de Pierre et que, par conséquent, elles sont elles aussi, sauf indication contraire des normes qui les instituent d’une certaine manière, des entités publiques du Saint-Siège. Puisque leurs biens temporels font partie du patrimoine du Siège apostolique, il est nécessaire qu’ils soient soumis non seulement à la surveillance des Institutions curiales dont ils dépendent, mais aussi au contrôle et à la supervision des organes économiques de la Curie romaine ».

Carlo Marroni explique dans Il Sole 24 Ore dans un article du 24 février :

« La question, en soi, n’aurait même pas besoin d’être clarifiée : un bâtiment ou un dépôt bancaire appartient au Saint-Siège – le gouvernement de l’Église universelle – et non à cet organisme ou à ce bureau. Si le Pape a dû intervenir, à l’évidence ce n’était pas le cas. Chaque dicastère ou organisme apparenté a conservé son trésor, avec une gestion souvent confuse ou pire… »

(…)

Il ne fait aucun doute qu’au fil du temps, les différents dicastères de la Curie, ainsi que les entités liées au Saint-Siège, bien que la propriété ait pu appartenir à ce dernier, ont souvent généré ce que le journaliste appelle des « petits trésors », dont l’administration a parfois donné lieu à une gestion opaque et peu transparente.

Toutefois, on ne peut manquer de voir le revers de la médaille.

En effet, une telle prétention centralisatrice du Saint-Siège, compte tenu de la quantité de biens, tant mobiliers qu’immobiliers, y compris les ressources financières, risque de se transformer en un véritable système de gestion qui, à y regarder de plus près, n’est pas sans rappeler celui de la féodalité au Moyen Âge. Avec tous les profils problématiques de ce système, qui ont marqué sa crise. Je rappelle à cet égard que le vassal obtenait de son seigneur le fief ou le bénéfice dont il ne devenait pas le propriétaire, mais un simple administrateur, pouvant en tirer les bénéfices que le souverain avait reconnus. Mais ce système, qui fonctionnait assez bien au début, a commencé à montrer des fissures puis s’est effondré, car il a donné lieu – à la longue – soit à des revendications de propriété vassalique, soit à un désintérêt du vassal pour la bonne administration du fief (sauf pour son intérêt particulier).

(…)

Je disais que cette mesure s’inscrit dans le sillage plus général de la centralisation poursuivie par François durant son règne.

Il suffit de penser à la récente Constitution apostolique In Ecclesiarum Communione du 6 janvier dernier, par laquelle la structure du Vicariat de Rome a été redessinée. A titre d’exemple, la précédente législation de 1998 de Jean-Paul II, Ecclesia in Urbe, établissait à l’art. 25 § 2 que

« Les directeurs de tous les offices, comme les curés du diocèse de Rome, sont nommés par le cardinal-vicaire avec mon approbation ; les directeurs adjoints et les autres personnes nommées sont nommés par le cardinal-vicaire ».

Aujourd’hui, la nouvelle Constitution franciscaine, à l’art. 19 § 2, indique un processus complexe pour la nomination des curés couronné par la circonstance que

« le cardinal-vicaire, après avoir terminé la procédure, me soumettra les candidats à la charge de curé et nommera les vice-prêtres ».

Si, pour la nomination des curés d’une paroisse de la banlieue romaine, l’évêque de Rome doit intervenir directement, alors qu’auparavant cette opération était effectuée par le cardinal-vicaire après approbation papale, on perçoit clairement cette centralisation mentionnée ici.

Toujours sur la même voie centralisatrice, on peut lire le récent rescrit ex audientia du 21 février sur la célébration de la Messe en forme extraordinaire.
Alors que dans la Lettre Apostolique Traditionis Custodes de 2021, l’art. 2 renvoyait à la « compétence exclusive » de l’évêque diocésain, en tant que « modérateur, promoteur et gardien de toute la vie liturgique dans l’Église particulière qui lui est confiée », le fait d’ « autoriser l’usage du Missale Romanum de 1962 dans le diocèse, en suivant les directives du Siège Apostolique » et réservait au Saint-Siège le pouvoir de s’exprimer sur la faculté des presbytres ordonnés après la publication de la Lettre Apostolique de pouvoir célébrer la Messe en forme extraordinaire, le nouveau rescrit établit qu’il s’agit d’une « dispense réservée au Siège Apostolique » :

En résumé, la célébration de la Messe selon le Missel romain de 1962 devient, par suite du rescrit, une affaire réservée du Saint-Siège, comme s’il s’agissait de décider d’un cas de violation du sceau sacramentel ou de profanation des espèces eucharistiques ou de quelque autre crime grave. Ainsi, par exemple, si le curé d’une paroisse de la périphérie du Royaume, comme Tombouctou, demandait à son évêque la permission de célébrer dans une forme extraordinaire, le Saint-Siège devrait s’en occuper (comme si le Saint-Siège n’avait rien de plus important à faire que de décider de la célébration d’une messe), considérant qu’il s’agit – évidemment – d’une affaire de foi ou de coutumes et, donc, du bien même de l’Église !

Ou, enfin, pensez aussi à la Lettre apostolique Authenticum Charismatis de 2020, par laquelle l’avis – auparavant consultatif – du Siège Apostolique dans la reconnaissance de nouvelles communautés de vie consacrée dans la sphère diocésaine a été rendu contraignant.

Toutes ces mesures illustrent la façon dont François, tout en insistant sur la synodalité, la coparticipation, la subsidiarité, etc., ne tient en fait pas compte de ces mêmes indications, adoptant au contraire des mesures clairement centralisatrices.

J’ai illustré certaines des mesures de ces dernières années, mais je pourrais également en mentionner d’autres, étant donné qu’il s’agit désormais d’une orientation claire du règne de François.

On peut finalement dire que l’évêque de Rome est, de ce point de vue, plutôt traditionaliste, pour ne pas dire indietriste : quand il s’agit de centraliser des pouvoirs et des décisions, il n’hésite pas à exhumer des formes et des instruments du passé.

Chapeau. [en français dans le texte]

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