Jamais le Saint-Siège n’avait connu une telle centralisation, sous la poigne de fer d’un souverain absolu. Nous en avons parlé hier sous l’angle de l’anecdote (je persiste et signe…) mais si la mesure peut sembler prolonger la tentative de rationaliser la Curie du cardinal Pell dans ses fonctions de préfet du Secrétariat à l’économie, selon Nico Spuntoni, qui a interrogé un juriste spécialiste du droit canon, cela va beaucoup plus loin, et suggère même un parallèle avec le système féodal.

Au Vatican, la propriété privée est abolie

Nico Spuntoni
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La nouvelle mesure du pape François déclare le Saint-Siège seul propriétaire des biens acquis ou utilisés par les institutions et organismes du Vatican. Il s’agit d’une mesure qui va bien au-delà des réformes économiques entreprises, dans le but d’accroître la centralisation papale.

Dans l’encyclique Laudato Si’, François avait parlé du « droit impérieux et prioritaire de la subordination de toute propriété privée à la destination universelle des biens de la terre ». Un principe mis en pratique pour le patrimoine du Siège Apostolique avec le récent motu proprio Il diritto nativo (le droit nati/ originel).

Dans la nouvelle disposition papale, le droit natif est compris comme étant celui du Saint-Siège sur les biens acquis ou utilisés par les organismes qui lui sont liés.

L'Etat c'est MOI"- Louis XIV- 13 avril 1655 - YouTube

Et le Saint-Siège, c’est lui, le pape. De fait, le texte précise que les entités qui lui sont liées n’acquièrent ou n’utilisent pas de biens meubles ou immeubles « pour leur propre compte, comme le propriétaire privé, mais, au nom et sous l’autorité du Pontife romain, pour la poursuite de leurs finalités institutionnelles, qui sont également publiques, et donc pour le bien commun et au service de l’Église universelle ». « La destination universelle des biens du Saint-Siège, lit-on dans le motu proprio, leur attribue une nature publique ecclésiastique ».

Des concepts qui renvoient, donc, à ce qui est également exprimé dans Laudato Si’.

Dans le MP Il diritto nativo, il est fait mention du « long parcours de réformes économiques et administratives », comme si l’on voulait présenter une continuité de ce dernier acte avec des décisions antérieures en la matière, comme celle de centraliser la gestion des ressources et des investissements entre les mains de l’APSA [Administration du patrimoine du siège apostolique]: ce mécanisme de rationalisation des finances fortement souhaité par le cardinal George Pell au moment de sa nomination contrariée comme préfet du Secrétariat à l’économie et qui, des années plus tard, sans lui, semblait sur le point de se concrétiser, non sans difficultés comme l’avait montré la nécessité d’un passage ad hoc pour le transfert des fonds de la Secrétairerie d’État à l’Administration du patrimoine du Siège apostolique. François lui-même avait reconnu la paternité de Pell sur les réformes dans le domaine économique de ces dernières années, admettant que c’était le cardinal australien qui avait « tracé les grandes lignes de la manière dont nous pouvions avancer ».

Mais la centralisation évoquée par le nouveau Motu proprio va bien au-delà car elle se réfère directement à la propriété exclusive du Saint-Siège, c’est-à-dire de celui qui le préside, puisqu’il prend soin de rappeler que les institutions curiales et les organismes connexes acquièrent des biens « au nom et sous l’autorité du Pontife romain ».

Le contenu du Motu proprio évoque une comparaison évocatrice pour le juriste Francesco Patruno, docteur en sciences canoniques et ecclésiastiques, selon lequel il existe une « gestion centralisée semblable au féodalisme » où il est réaffirmé que les organismes « sont des gestionnaires et non des propriétaires, avec toutes les criticités que cela comporte ». Selon Patruno, la pertinence de la mesure ne réside pas tant dans son contenu en soi que dans la manière dont elle sera mise en œuvre. En tout cas, l’universitaire rapproche ce Motu proprio de la Constitution apostolique In Ecclesiarum Communione sur la réorganisation du Vicariat de Rome et du rescriptum ex audientia sur la messe dite latine, y voyant la même tendance centralisatrice qui caractériserait le gouvernement de l’Église exercé par François.

Nous verrons comment la mesure souhaitée par le Saint-Père se traduira dans la pratique, mais sur le plan théorique, nous pouvons retrouver les convictions que le cardinal Jorge Mario Bergoglio avait déjà exprimées en 2008 « sur la fonction sociale de la propriété ou sur la destination universelle des biens comme un droit primaire, antérieur à la propriété privée, au point que celle-ci est subordonnée à celle-là » en espérant que cette « mentalité » puisse « devenir chair et pensée dans nos institutions, elle doit cesser d’être lettre morte pour prendre corps dans la réalité ».

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