Selon Austen Ivereigh (qualifié ici de « courtisan du pape »), auteur en 2017 d’une biographie « autorisée » (lire: de commande) de François traduite en français sous le titre François le réformateur : De Buenos Aires à Rome, le pape aurait cherché à « transformer la vie interne et la culture de l’Église catholique, au cœur de laquelle se trouve une conversion de pouvoir« . Il est compréhensible qu’en ces moments de célébrations d’une décennie de papauté, les thuriféraires de François cherchent à transmettre à la postérité l’image la plus attirante possible, mais ce n’est pas une raison pour réécrire l’histoire.
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Le père Raymond de Souza, un prêtre canadien que mes lecteurs connaissent, lui répond dans une tribune du National Catholic Register (preuves à l’appui, toutes exposées en détail dans ces pages): non, en 2013, on n’est pas passés de l’ombre à la lumière, ce pontificat est bien un pontificat de pouvoir et le Pape gouverne d’une poigne de fer, non pas comme un péroniste (comme cela a souvent été dit) mais plutôt à la manière d’un jésuite, qui consulte à droite et à gauche, mais finalement décide seul. Sauf que, dans les grandes crises « l’échec est spectaculaire »: l’exemple de l’Allemagne, n’est pas le seul.

Un pontificat de pouvoir

www.ncregister.com/commentaries/a-pontificate-of-power

Contrairement au scénario mis en avant par un courtisan du pape, Austen Ivereigh, et par d’autres, le pape François exerce son autorité à la manière d’un supérieur jésuite qui, après avoir entendu ceux qu’il choisit d’entendre, prend sa propre décision.

Austen Ivereigh a écrit deux biographies très utiles du Saint-Père et un autre livre avec lui [1]. Il serait malséant de lui refuser de prendre part à la célébration du 10e anniversaire du pape François.

Toutefois, ce n’est pas une raison pour formuler des affirmations douteuses et, malheureusement, c’est ce qu’a fait Ivereigh [dans la revue des Jésuites America] en écrivant que le pape François a « cherché à transformer la vie interne et la culture de l’Église catholique, au cœur de laquelle se trouve une conversion de pouvoir ».

Ivereigh affirme qu’ « il n’y a pas si longtemps, le Vatican était connu pour ses manières altières, son centralisme et son autoritarisme ». Le changement de climat a depuis lors atteint le Vatican, laisse entendre Ivereigh, les vents glacés de Jean-Paul et de Benoît ayant été remplacés par la brise douce et chaleureuse du pape François.

Ivereigh est un homme intelligent. Il sait que, contrairement à ce scénario approuvé, ce pontificat a été un pontificat de pouvoir. Il a écrit une défense préventive.

Les opposants au style de gouvernement du Saint-Père ont parfois recours à l’explication selon laquelle le pape François exerce un pouvoir brutal à la manière d’un péroniste argentin. Il s’agit plutôt d’une autorité exercée à la manière d’un supérieur jésuite qui, après avoir entendu les personnes qu’il choisit d’entendre, prend ses propres décisions.

Le pape François a mis en œuvre le modèle jésuite dès son élection, en convoquant son propre « conseil des cardinaux » qui avait un accès privilégié à lui, contournant toutes les structures habituelles de consultation. Il les a écoutés et a ensuite décidé de ce qu’il ferait.

Rappelez-vous Les deux papes, un film à la gloire du pape François. Il s’ouvre sur une scène charmante où le Saint-Père tente de réserver un vol pour Lampedusa pour son premier voyage (peut-être la seule scène vraie dans un scénario entièrement imaginé). C’était assez innocent, mais le modus operandi était déjà clair : aucune question – y compris la logistique du voyage – n’était trop triviale pour que le Saint-Père n’en prenne pas personnellement le contrôle.

Les canonisations ne sont pas anodines, elles impliquent l’exercice le plus solennel de l’autorité papale, un acte infaillible de fait. C’est pourquoi les causes de sainteté font l’objet d’une procédure aussi rigoureuse.

Peu après son élection, le pape François a décidé de renoncer à l’exigence d’un miracle pour la canonisation du bienheureux Jean XXIII, peut-être pour que le bienheureux Jean-Paul II ne soit pas canonisé seul. Il fera de même pour son jésuite préféré, le bienheureux Pierre Fabre, puis pour les bienheureux Junípero Serra, Joseph Vaz, François de Laval, Marie de l’Incarnation, Margaret Costello et d’autres encore.

Plus de saints est une bénédiction, mais le fait que le pape François ait si tôt fait usage de son autorité suprême de manière aussi fréquente et extraordinaire était un signe important de la manière dont il exercerait son autorité.

Le pape François a retiré aux évêques locaux le pouvoir d’approuver de nouvelles communautés religieuses dans leurs diocèses, il a modifié le droit canonique afin d’avoir le pouvoir de renvoyer les évêques et, ce qui est célèbre concernant la messe traditionnelle en latin, il a retiré à un évêque le pouvoir de déterminer ce qui se passe dans ses églises paroissiales – y compris la façon dont leurs bulletins sont rédigés. Désormais, au lieu de la vieille pratique du Vatican consistant à cajoler les évêques locaux pour qu’ils démissionnent volontairement, le pape François peut simplement les démettre de leurs fonctions, comme il l’a fait au Paraguay, à Porto Rico et à Memphis, dans le Tennessee.

Plus près de nous, dans une nouvelle constitution pour le diocèse de Rome, le pape François a mis sur la touche le cardinal vicaire et a exigé qu’un nouveau conseil pastoral se réunisse trois fois par mois en sa présence, l’ordre du jour étant envoyé à l’avance. Il est difficile de croire que le souverain pontife assistera réellement à de telles réunions, mais la loi prévoit que c’est la position par défaut. Les nouveaux curés de Rome ne peuvent plus être nommés par le cardinal vicaire ; le pape le fera désormais lui-même, de même qu’il approuvera l’ordination des séminaristes.

Plus généralement, en Italie, le pape François a réorganisé tous les tribunaux matrimoniaux du pays. Il a nommé des commissaires spéciaux pour gouverner les maisons religieuses. Après des années pendant lesquelles les évêques italiens ont clairement indiqué qu’ils ne voyaient pas l’utilité d’un processus synodal national – comme en Allemagne ou en Australie – le pape François les a forcés à le faire quand même.

Au sein de la Curie romaine, il a rétrogradé ou démis de leurs fonctions, sans cérémonie, pas moins de cinq cardinaux de la Curie : Les cardinaux Raymond Burke, Gerhard Müller, Angelo Becciu, Fernando Filoni et Peter Turkson. Ils plaisantent entre eux en disant qu’ils font partie de la « Curie jetable » [en référence au concept cher au pape de « culture du jetable »/scarto].

Le pouvoir papal s’est abattu férocement pour affaiblir l’Académie pontificale pour la vie et l’ancien Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille. L’Ordre de Malte – l’Ordre Souverain de Malte – a été complètement repris en main par le Pape François, qui lui a imposé une nouvelle constitution et de nouveaux dirigeants.

La Curie romaine elle-même est entièrement contournée dans la plupart des initiatives du Saint-Père, émises motu proprio – de « sa propre initiative ». Il est arrivé plus d’une fois que des changements majeurs de juridiction soient découverts par les chefs de service concernés en lisant le bulletin de presse quotidien du Saint-Siège.

C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la réforme financière.

Quand le Saint-Père a créé le Secrétariat pour l’économie en 2014, le cardinal Pietro Parolin a été mis devant le fait accompli. Deux ans plus tard, quand le département de l’économie a été dépouillé de compétences clés, le cardinal George Pell a été lui aussi pris au dépourvu. L’audit que le dicastère du cardinal Pell avait ordonné a été suspendu par le pape et, plus tard, le Saint-Père a renvoyé le premier auditeur général du Vatican.

Récemment, le pape François a décrété que tous les actifs de toutes les entités du Vatican appartiennent au Saint-Siège, et non aux différents départements, dont certains ont contrôlé les fonds pendant des siècles. En théorie, chaque euro est désormais soumis au contrôle direct du pape.

Quand le personnel et l’argent sont en jeu, la longue pratique de l’Église est que, si une réforme est nécessaire, Rome centralise souvent. Mais la doctrine est une autre affaire et, dans son exaltation du pouvoir papal, François a décidé de mettre de côté l’enseignement du concile Vatican II.

La nouvelle constitution de la Curie romaine, Praedicate Evangelium, permet à n’importe qui de diriger un dicastère du Vatican, exerçant ainsi un pouvoir de gouvernement dans l’Église. Qu’en est-il alors de l’enseignement de Vatican II selon lequel les évêques gouvernent en vertu de leur ordination et sont des « vicaires du Christ » à part entière ?

Lors de la conférence de presse qui a suivi la promulgation de Praedicate Evangelium, l’un de ses rédacteurs, le jésuite Gianfranco Ghirlanda (aujourd’hui cardinal), spécialiste du droit canonique, a déclaré sans ambages une position contraire à celle de Vatican II :

« Le pouvoir de gouvernement dans l’Église ne vient pas du sacrement de l’ordre, mais de la mission canonique ».

Le message : Le pouvoir n’est pas sacramentel, mais papal. Le pouvoir vient d’un mandat papal, pas des sacrements.

Cette remise en cause directe de Vatican II est une question grave, sur laquelle les théologiens et les juristes canoniques se penchent depuis des décennies. Le pape François a tenté de régler la question par des affirmations, étayées par une simple conférence de presse. Il n’est pas surprenant que lors du consistoire des cardinaux en août 2022, il y ait eu une forte réaction [??? peu médiatisée, apparemment], de nombreux cardinaux affirmant que le pape n’avait pas le pouvoir de faire ce qu’il venait de faire.

Le paradoxe de ce pontificat est que, bien que le pouvoir soit affirmé toujours et partout, dans les grandes crises, l’échec est spectaculaire.

Le Saint-Père est ouvertement défié dans l’Église syro-malabare en Inde, où ses directives liturgiques n’ont pas apporté de solution. Au Nigeria, il a menacé tous les prêtres d’un diocèse de suspension s’ils n’acceptaient pas un nouvel évêque. Il a reculé et transféré l’évêque. Et en Allemagne, avec la Voie synodale, malgré les initiatives répétées du Saint-Père pour y mettre fin, des évêques rebelles ont provoqué une crise qui consumera probablement tout ce qui reste du pontificat.

Le pontificat de pouvoir s’est révélé étrangement impuissant dans les grandes affaires.

[1] Ndt

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