Encore un bel article d’Andrea Gagliarducci, qui célèbre à sa façon le 96e anniversaire du Saint-Père. C’est une leçon (de haute volée) de l’ « Ecole Ratzinger », s’appuyant sur une méditation de Benoît XVI devant les participants au Synode de 2012 sur la Parole de Dieu. On retrouve la méthode de travail qu’il pratiquait déjà lorsqu’il dirigeait la CDF ou rencontrait les membres de son Schülerkreis (cf. Création et évolution), celle du professeur d’université savant et bienveillant, super partes, qui explique, anime, « modère », recadre les débats avant de proposer une synthèse des arguments des différents participants.
Ici, il fait un commentaire de texte trapu mais accessible autour du mot « evangelium » (il n’y a donc pas de « débats », ou plutôt il veut les orienter).
Bref, sans parler du contenu, l’antithèse absolue de la synodalité bergoglienne.

Benoît XVI, et ce feu qui est langue, qui est raison

Andrea Gagliarducci
vaticanreporting.blogspot.com
16 avril 2023

Aujourd’hui, Benoît XVI aurait eu 96 ans, et comme exercice de mémoire, je suis allé relire certains de ses écrits. En particulier, j’ai cherché des réflexions que Benoît XVI a faites pendant les synodes, pour un travail que je fais et par curiosité personnelle. Je me suis demandé : comment les synodes étaient-ils compris avant cette poussée de synodalité ? Et qu’est-ce qui a changé depuis ?

Et, parmi les premiers résultats de mes recherches, je suis tombé sur une réflexion que Benoît XVI avait faite lors du Synode de 2012 sur la Parole de Dieu.

Clic!

Ma méditation se réfère au mot « evangelium » « euangelisasthai » (cf. Lc 4, 18). Dans ce synode, nous voulons connaître davantage ce que nous dit le Seigneur et ce que nous pouvons ou devons faire. Ma méditation est divisée en deux parties: une première réflexion sur la signification de ces mots, et puis après je voudrais tenter d’interpréter l’hymne de l’heure tierce : « Nunc, Sancte, nobis Spiritus », qui se trouve à la page 5 du livre des prières.
Le mot « evangelium » « euangelisasthai » a une longue histoire. Il apparaît dans Homère : c’est l’annonce d’une victoire et donc une annonce de bien, de joie, de bonheur. Il apparaît ensuite dans le Second Isaïe (cf. Is 40, 9) comme une voix qui annonce la joie venant de Dieu, comme une voix qui fait comprendre que Dieu n’a pas oublié son peuple, que Dieu, qui s’était apparemment retiré de l’histoire, existe, qu’Il est présent. Et Dieu a le pouvoir, Dieu donne la joie, Il ouvre les portes de l’exil. Après la longue nuit de l’exil, sa lumière apparaît et donne la possibilité de revenir à son peuple, il rénove l’histoire du bien, l’histoire de son amour. Dans ce contexte de l’évangélisation, trois mots apparaissent surtout : dikaiosyne, eirene, soteria — justice, paix, salut. Jésus lui-même a repris les paroles d’Isaïe à Nazareth, en parlant de cet « Évangile » qu’Il apporte maintenant justement aux exclus, aux prisonniers, à ceux qui souffrent et aux pauvres.
Mais pour la signification du mot « evangelium » dans le Nouveau Testament, au-delà de cette dernière — le Deutéro-Isaïe qui ouvre la porte — est d’égale importance l’emploi du mot sous l’empire romain, en commençant par l’empereur Auguste. Ici le terme « evangelium » indique un mot, un message qui vient de l’empereur. Le message de l’empereur donc, en tant que tel, fait du bien: c’est un renouveau du monde, c’est le salut. Le message impérial est, en tant que tel, un message de puissance et de pouvoir ; c’est un message de salut, de renouvellement et de santé. 
(…)

………………..

Benoît XVI assistait généralement aux synodes en silence, sauf pour prendre la parole et faire quelques réflexions sur des points qui lui tenaient à cœur. Mais, et c’est ce qui est intéressant, Benoît XVI n’est pas entré dans le débat du Synode. Il essayait plutôt de donner un sens à ce qu’il avait entendu, de rassembler le tout dans une ligne commune.

Il est resté, en cela, un professeur d’université qui, face à une série d’idées bonnes mais désordonnées, indique un point de vue commun, une piste de réflexion, une manière de transformer des pensées éparses en un livre plus qu’un ensemble d’aphorismes.

Cela aussi, c’était de la communication.

Mais il s’agissait d’une communication à long terme, raffinée, qui allait au-delà du contingent.

La réflexion que j’ai devant moi m’a cependant demandé de faire un pas supplémentaire dans la compréhension de Benoît XVI. Parce qu’elle m’a fait réaliser à quel point ce pas supplémentaire, Benoît XVI l’a toujours fait au nom de la foi. Non pas d’une foi abstraite, mais d’une rencontre personnelle avec Jésus-Christ et son Évangile.

En somme, rien ne pouvait être compris sans le regard du Christ. Toute l’étude, la curiosité et l’amour de Benoît XVI pour ce qu’il disait et enseignait provenaient d’un amour profond et total pour Dieu, qui a fait que ses derniers mots étaient précisément « Jésus, je t’aime ». Il n’y avait pas seulement un enthousiasme intellectuel dans ce qu’écrivait Benoît XVI. Il y avait plutôt une curiosité qui vient de l’amour.

La méditation de Benoît XVI part précisément du mot « evangelium », qui « a une longue histoire », apparaît chez Homère, puis dans le Second-Isaïe, lié aux mots dikaiosyne, eirene, soteria – justice, paix, salut, et qui est ensuite repris par Jésus dans l’Évangile.

Le mot indique la joie d’une victoire, mais dans l’Empire romain, evangelium indique une parole qui vient de l’empereur, explique Benoît XVI, qui

en tant que telle – apporte le bien : c’est le renouveau du monde, c’est le salut. C’est un message impérial et, en tant que tel, un message de pouvoir et de puissance ; c’est un message de salut, de renouveau et de santé.

Et le Nouveau Testament accepte cette lecture, car

Saint Luc compare explicitement l’empereur Auguste à l’enfant né à Bethléem : « evangelium » – dit-il – oui, c’est une parole de l’empereur, du véritable empereur du monde. Le véritable empereur du monde s’est fait entendre, il nous parle.

Benoît XVI notait que

Et ce fait, en tant que tel, est une rédemption parce que la grande souffrance de l’homme — à cette époque, tout comme aujourd’hui — est justement celle-ci: derrière le silence de l’univers, derrière les nuages de l’histoire, y a-t-il ou n’y a-t-il pas un Dieu ? Et, si ce Dieu existe, nous connaît-il, a-t-il quelque chose à voir avec nous ?

Ce Dieu est-il bon, et la réalité de la bonté a-t-elle un pouvoir dans le monde ou non ? C’est une question qui est encore d’actualité aujourd’hui, quand on se demande si Dieu n’est qu’une hypothèse, et qui montre au contraire que Dieu « a rompu son silence, il a parlé », et ce fait même

en tant que tel est salut : Dieu nous connaît, Dieu nous aime, il est entré dans l’histoire. Jésus est son Verbe, le Dieu avec nous, le Dieu qui nous montre qu’il nous aime, qui souffre avec nous jusqu’à la mort et qui ressuscite. C’est l’Évangile lui-même. Dieu a parlé, il n’est plus le grand inconnu, il s’est montré et c’est le salut.

La question qui se pose aujourd’hui, selon Benoît XVI, est de savoir comment l’homme peut savoir que Dieu a parlé. On répond à cette question en priant, comme le dit l’hymne de la troisième heure, « pour que l’Esprit Saint vienne, qu’il soit en nous et avec nous ».

Benoît XVI ajoutait :

En d’autres termes, nous ne pouvons pas faire l’Église, nous pouvons seulement faire connaître ce que Lui a fait. L’Église ne commence pas par notre « faire », mais par le « faire » et le « dire » de Dieu.

En effet, les apôtres

n’ont pas dit, après quelques assemblées : « maintenant nous voulons créer une Église », et avec la forme d’une constituante ils auraient élaboré une constitution.

Mais ils ont prié et dans la prière

ils ont attendu, parce qu’ils savaient que seul Dieu lui-même peut créer son Église, que Dieu est le premier agent : si Dieu n’agit pas, nos choses ne sont que les nôtres et sont insuffisantes ; seul Dieu peut témoigner que c’est Lui qui parle et qui a parlé.

La Pentecôte montre que « c’est seulement parce que Dieu a agi le premier que les apôtres peuvent agir avec lui », car

le parfait de Dieu n’est pas simplement un passé, parce que c’est un passé véritable qui porte toujours en soi le présent et le futur. Dieu a parlé, cela veut dire : « il parle ». Et comme à cette époque, c’est seulement grâce à l’initiative de Dieu que pouvait naître l’Église, que pouvait être connu l’Évangile, le fait que Dieu a parlé et parle, ainsi aujourd’hui aussi c’est seulement Dieu qui peut commencer, nous ne pouvons que coopérer, et le début doit venir de Dieu.

En bref, tout part de la prière, car

lorsque nous faisons la nouvelle évangélisation, il s’agit toujours d’une coopération avec Dieu, basée sur la prière et sa présence réelle.

L’hymne de l’heure tierce souligne également que Dieu nous implique dans la confessio et la Caritas.

La confessio est impersonnelle, car « la foi a un contenu », et celui-ci doit entrer en nous et se répandre en nous. Une confession qui

doit être dans les profondeurs du cœur, mais qui doit aussi être publique ; la foi portée dans le cœur doit être proclamée : elle n’est jamais seulement une réalité dans le cœur, mais elle tend à être communiquée, à être vraiment confessée devant les yeux du monde.

Et puis, elle doit entrer dans l’esprit, mais pénétrer aussi les sens de notre vie.

La Caritas est le deuxième pilier, c’est-à-dire l’amour, qui « est ardeur, il est flamme, il enflamme les autres ». Benoît XVI explique :

Saint Luc nous dit qu’à la Pentecôte, dans cette fondation de l’Église par Dieu, l’Esprit Saint était un feu qui transformait le monde, mais un feu sous forme de langue, à savoir un feu qui est toutefois raisonnable, qui est esprit, qui est aussi compréhension; un feu qui est uni à la pensée, à la « mens ».

Ce feu intelligent, cette « sobre ébriété », est « caractéristique du christianisme ». En effet,

le feu est à l’origine de la culture humaine ; le feu est lumière, il est chaleur, il est force de transformation. La culture humaine commence au moment où l’homme a le pouvoir de créer du feu : avec le feu, il peut détruire, mais avec le feu, il peut transformer, renouveler. Le feu de Dieu est un feu transformateur, un feu de passion – certes – qui détruit aussi tant de choses en nous, qui conduit à Dieu, mais un feu surtout qui transforme, renouvelle et crée une nouveauté de l’homme, qui devient lumière en Dieu.

Et il concluait:

Ainsi, à la fin, nous ne pouvons que prier le Seigneur pour que la ‘confessio‘ soit profondément enracinée en nous et qu’elle devienne un feu qui enflamme les autres ; ainsi le feu de sa présence, la nouveauté de son être avec nous, devient vraiment visible et une force pour le présent et l’avenir.

Ces mots représentent un lourd héritage, un avertissement pour l’Église. Il ne suffit pas de penser aux structures, il ne suffit pas de parler de la nouvelle évangélisation, même les constructions théoriques ne suffisent pas. Il faut pouvoir vivre et ressentir ce que l’on dit. Être crédible dans la foi signifie être profond dans ce que l’on croit. Les slogans, au fond, attirent l’opinion publique, mais ils ne restent pas éternellement. Il en va de même pour les organisations de choses qui ne partent pas d’une connaissance profonde de l’histoire, du sens, de la réflexion sur le surnaturel qui existait auparavant. Rien ne vient de rien, car tout renaît et se comprend dans le Christ, nous enseigne le pape Benoît.

Une pensée, celle de Benoît XVI, plus que jamais d’actualité. A réfléchir et à méditer encore.

Merci, Benoît XVI !

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