Elle est datée du 4 mai 2020, et a été présentée quelques jours plus tard au Palais archiépiscopal de Cracovie, dont Karol Wojtyla avait été le métropolite. J’en avais parlé dans ces pages (voir ci-dessous) et elle figure dans le recueil posthume de textes de Benoît XVI « Ce qu’est le christianisme » . Il me semble important de relire aujourd’hui, alors que le saint pape polonais est dans la bourrasque médiatique, le témoignage de son successeur et grand ami (*). J’ai relu et un peu corrigé la traduction « automatique » du FC.

(*) Une petite note personnelle (pour autant que cela intéresse quelqu’un…)

Je veux être sincère, Jean Paul II ne m’a jamais inspiré, et de loin, la vénération que j’ai immédiatement ressentie pour Benoît XVI. Mais, pardon si cela paraît grandiloquent, je perçois aujourd’hui comme une sorte de devoir sacré envers le second de défendre la mémoire du premier lorsqu’il est traîné injustement dans la boue. Ce que lui-même aurait fait, s’il était encore en vie.

15 mai 2020

Il y a 100 ans, le 18 mai 2020, le pape Jean-Paul II naissait dans la petite ville polonaise de Wadowice.

Après avoir été divisée pendant plus de 100 ans par trois grandes puissances voisines, la Prusse, la Russie et l’Autriche, la Pologne a retrouvé son indépendance à la fin de la Première Guerre mondiale. Ce fut un événement historique qui a donné naissance à un grand espoir; mais qui aa aussi exigé beaucoup d’efforts, car le nouvel État, dans le processus de sa réorganisation, continuait de ressentir la pression des deux puissances allemande et russe.

C’est dans cette situation d’oppression, mais surtout dans cette situation marquée par l’espoir que le jeune Karol Wojtyła a grandi. Il a perdu sa mère et son frère assez tôt, puis aussi son père, dont il a acquis une piété profonde et chaleureuse. Le jeune Karol a été particulièrement attiré par la littérature et le théâtre. Après avoir réussi son examen final du secondaire, il a choisi d’étudier ces matières.

«Afin d’éviter la déportation, à l’automne 1940, il est allé travailler dans une carrière de l’usine chimique de Solvay.» (cf. Don et Mystère).

«À l’automne 1942, il a pris la décision finale d’entrer au séminaire de Cracovie, que l’archevêque de Cracovie Sapieha avait secrètement établi dans sa résidence. En tant qu’ouvrier d’usine, Karol a déjà commencé à étudier la théologie dans de vieux manuels; et ainsi, le 1er novembre 1946, il pouvait être ordonné prêtre. » (Ibid.)

Bien sûr, Karol a non seulement étudié la théologie dans les livres, mais aussi à travers son expérience de la situation difficile dans laquelle lui et son pays se sont trouvés. C’est en quelque sorte une caractéristique de toute sa vie et de son activité. Il a étudié dans les livres mais les questions qu’ils posaient sont devenues la réalité qu’il a profondément vécue.

Comme jeune évêque – en tant qu’évêque auxiliaire depuis 1958 puis archevêque de Cracovie à partir de 1964 – le Concile Vatican II est devenu l’école de toute sa vie et de son action. Les questions importantes qui se sont posées, en particulier en rapport avec le « Schéma 13 » qui allait devenir par la suite la Constitution Gaudium et Spes, étaient également les siennes. Les réponses développées par le Concile allaient ouvrirt la voie à sa mission d’évêque et, plus tard, de Pape.

Quand le cardinal Wojtyła a été élu successeur de saint Pierre le 16 octobre 1978, l’Église était dans une situation dramatique.

Les délibérations du Concile avaient été présentées au public comme une dispute sur la foi elle-même, ce qui semblait priver le Concile de sa sûreté infaillible et inébranlable. Un curé bavarois, par exemple, a commenté la situation en disant: «En fin de compte, nous sommes tombés dans la mauvaise foi.» Ce sentiment que rien n’était plus certain, que tout était remis en question, était encore plus enflammé par le mode de mise en œuvre de la réforme liturgique. Au final, il semblait presque que la liturgie pouvait se créer d’elle-même.

Paul VI a mis fin au Concile avec énergie et détermination, mais après sa conclusion, il a été confronté à des problèmes de plus en plus pressants qui ont fini par remettre en question l’existence même de l’Église. À cette époque, les sociologues comparaient la situation de l’Église à la situation de l’Union soviétique sous le règne de Gorbatchev, quand la puissante structure de l’État soviétique s’est effondrée au cours du processus de sa réforme.

En conséquence, une tâche presque impossible attendait le nouveau pape.

Pourtant, dès le premier instant, Jean-Paul II a suscité un nouvel enthousiasme pour le Christ et son Église, [avec] ses paroles de l’homélie lors de l’inauguration de son pontificat: «N’ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez grand les portes du Christ! » Cet appel et ce ton caractériseraient tout son pontificat et feraient de lui un restaurateur libérateur de l’Église. Cela parce que le nouveau pape venait d’un pays où l’accueil du Concile avait été positif: un renouveau joyeux de tout plutôt qu’une attitude de doute et d’incertitude.

Le Pape a parcouru le monde, ayant fait 104 voyages pastoraux, proclamant l’Évangile partout où il allait comme un message de joie, expliquant ainsi l’obligation de défendre ce qui est bon et d’être avec le Christ.

Dans ses 14 encycliques, il a présenté de manière globale la foi de l’Église et son enseignement de manière humaine. Ce faisant, il a inévitablement déclenché une contradiction dans l’Église de l’Occident, assombrie par le doute et l’incertitude.

Il semble important aujourd’hui de définir le véritable centre, dans la perspective duquel on peut lire le message contenu dans les différents textes. On aurait pu le remarquer à l’heure de sa mort. Le pape Jean-Paul II est mort dans les premiers moments de la nouvelle fête de la Divine Miséricorde

Qu’on me permette d’abord d’ajouter une brève remarque personnelle qui semble être un aspect important de la nature et du travail du Pape.

Dès le début, Jean-Paul II a été profondément touché par le message de Faustine Kowalska, une religieuse de Cracovie, qui avait souligné la miséricorde divine comme un centre essentiel de la foi chrétienne. Elle avait espéré la mise en place d’une telle fête. Après consultation, le Pape a choisi le deuxième dimanche de Pâques. Cependant, avant que la décision finale ne soit prise, il a demandé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’exprimer son point de vue sur l’opportunité de cette date. Nous avons répondu négativement parce qu’une date aussi ancienne, traditionnelle et significative que le dimanche «in Albis» concluant l’octave de Pâques ne devrait pas être chargée d’idées modernes. Il n’a certainement pas été facile pour le Saint-Père d’accepter notre réponse. Pourtant, il l’a fait avec beaucoup d’humilité et a accepté notre réponse négative une deuxième fois.

Enfin, il a formulé une proposition qui laissait le deuxième dimanche de Pâques dans sa forme historique mais incluait la Divine Miséricorde dans son message d’origine. Il y a souvent eu des cas similaires dans lesquels j’ai été impressionné par l’humilité de ce grand pape, qui a abandonné les idées qu’il chérissait parce qu’il n’a pas pu trouver l’approbation des organes officiels qui doivent être sollicités selon les normes établies.

Quand Jean-Paul II a rendu son dernier souffle dans ce monde, la prière des premières vêpres de la fête de la Divine Miséricorde venait de se terminer. Elle a illuminé l’heure de sa mort: la lumière de la miséricorde de Dieu est un message réconfortant sur sa mort.

Dans son dernier livre Mémoire et identité, publié à la veille de sa mort, le Pape résumait une fois de plus le message de la Divine Miséricorde. Il soulignait que sœur Faustine était morte avant les horreurs de la Seconde Guerre mondiale mais avait déjà donné la réponse du Seigneur à toutes ces luttes insupportables. C’était comme si le Christ voulait dire à travers Faustine: «Le mal n’obtiendra pas la victoire finale. Le mystère de Pâques affirme que le bien finira par l’emporter, que la vie triomphera de la mort et que l’amour triomphera de la haine ».

Tout au long de sa vie, le Pape a cherché à faire sien subjectivement le centre objectif de la foi chrétienne, la doctrine du salut, et à aider les autres à se l’approprier. À travers le Christ ressuscité, la miséricorde de Dieu est destinée à chaque individu. Bien que ce centre de l’existence chrétienne ne nous soit donné que dans la foi, il est également important sur le plan philosophique, car si la miséricorde de Dieu n’était pas un fait, nous devrions alors trouver notre chemin dans un monde où la puissance ultime du bien contre le mal n’est pas reconnaissable. Il est enfin, au-delà de cette signification historique objective, indispensable à chacun de savoir qu’au bout que la miséricorde de Dieu est plus forte que notre faiblesse. 

De plus, à ce stade, l’unité intérieure du message de Jean-Paul II et les intentions fondamentales du pape François peuvent également être trouvées: Jean-Paul II n’est pas le rigoriste moral comme certains l’ont partiellement décrit. Avec la centralité de la miséricorde divine, il nous donne l’opportunité d’accepter l’exigence morale de l’homme, même si nous ne pouvons jamais la satisfaire pleinement. En outre, nos efforts moraux sont faits à la lumière de la miséricorde divine, qui se révèle être une force qui guérit de notre faiblesse.

Tandis que le pape Jean-Paul II se mourait, la place Saint-Pierre était remplie de gens, en particulier de nombreux jeunes, qui voulaient rencontrer leur pape une dernière fois. Je ne peux pas oublier le moment où Mgr Sandri a annoncé le message du départ du Pape. Surtout, le moment où la grande cloche de Saint-Pierre a repris ce message reste inoubliable. Le jour de ses funérailles, il y avait de nombreuses affiches avec les mots « Santo subito! » C’était un cri, né de la rencontre avec Jean-Paul II, qui s’élevait de tous côtés. En outre, non seulement depuis la place mais aussi dans différents milieux intellectuels, l’idée de donner à Jean-Paul II le titre de «Grand» était discutée.

Le mot «saint» indique la sphère de Dieu et le mot «grand» la dimension humaine.

Selon les normes de l’Église, la sainteté peut être reconnue par deux critères: les vertus héroïques et le miracle. Ces deux normes sont étroitement liées.

Le mot «vertu héroïque» ne signifie pas une sorte d’accomplissement olympique mais plutôt que quelque chose devient visible dans et par une personne, qui n’est pas à elle, mais l’œuvre de Dieu, qui devient reconnaissable en et par elle. Ce n’est pas une sorte de compétition morale, mais le résultat du renoncement à sa propre grandeur. Le fait qu’une personne laisse Dieu travailler sur lui, et donc le travail et la puissance de Dieu deviennent visibles à travers lui.

Il en va de même pour le critère du miracle: ici aussi, ce qui compte, ce n’est pas que quelque chose de sensationnel se passe, mais la révélation visible de la bonté de guérison de Dieu, qui transcende toutes les possibilités simplement humaines. Un saint est une personne ouverte à Dieu, imprégnée de Dieu. Le but des procès de canonisation et de béatification est justement d’examiner cela autant que possible selon des normes juridiques. Dans le cas de Jean Paul II, les deux procès se sont déroulés dans le strict respect de la loi. Il se tient maintenant devant nous comme un père qui nous montre la bonté et la miséricorde de Dieu.

Il est plus difficile de définir correctement le terme «grand». Au cours des près de 2 000 ans d’histoire de la papauté, le titre «le Grand» n’a été conservé que pour deux papes: Léon Ier (440 – 461) et Grégoire Ier (590 – 604). Dans le cas des deux, le mot «grand» a une connotation politique, mais précisément parce que quelque chose du mystère de Dieu lui-même devient visible à travers leur succès politique.

Grâce au dialogue, Léon le Grand a réussi à convaincre Attila, le roi des Huns, d’épargner Rome – la ville des princes apostoliques Pierre et Paul. Sans armes, sans pouvoir militaire ou politique, grâce au pouvoir de sa conviction pour sa foi, il a réussi à convaincre le tyran redouté d’épargner Rome. Dans la lutte entre l’esprit et le pouvoir, l’esprit s’est révélé plus fort.

Le succès de Grégoire Ier n’a pas été aussi spectaculaire, mais il a pu à plusieurs reprises protéger Rome contre les Lombards – ici aussi, en opposant l’esprit au pouvoir et en remportant la victoire de l’esprit.

Si nous comparons les deux histoires avec celle de Jean-Paul II, la similitude est indubitable. Jean-Paul II n’avait lui non plus aucun pouvoir militaire ou politique. Lors de la discussion sur la forme future de l’Europe et de l’Allemagne en février 1945, il a été dit que la réaction du Pape devait également être prise en compte. Staline a alors demandé: « Combien de divisions a le Pape? » Eh bien, il n’avait pas de division disponible.

Cependant, le pouvoir de la foi s’est avéré être une force qui a finalement détruit le système soviétique en 1989 et a permis un nouveau départ. Incontestablement, la foi du Pape a été un élément essentiel de l’effondrement des pouvoirs. Et donc, la grandeur qui est apparue dans Leon Ier et Gregoire Ier est certainement également visible ici.

Laissons ouverte la question de savoir si l’épithète «le Grand» prévaudra ou non. Il est vrai que la puissance et la bonté de Dieu sont devenues visibles pour nous tous en Jean-Paul II. À une époque où l’Église souffre à nouveau de l’oppression du mal, il est pour nous un signe d’espérance et de confiance.

Cher Saint Jean-Paul II, priez pour nous!

Benoît XVI

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