En 2018, il avait été question dans ces pages (*) de l’histoire de cet enfant juif enlevé à ses parents à la suite d’un baptême « précipité » reçu alors qu’il était in articolo mortis, sur ordre de Pie IX, le dernier « pape-roi », associé aux évènement encore sensibles en Italie du Risorgimento. A l’époque, Spielberg devait tourner un film qui devait s’intituler The kidnapping of Edgardo Mortara , mais il avait renoncé à son projet à cause des polémiques nées de la parution concomitante des mémoires d’Edgardo Mortara (devenu par la suite prêtre catholique dans l’ordre des Augustins) préfacées par Vittorio Messori. Cette fois, c’est l’ex (?) maoïste Marco Bellocchio (le réalisteur de Esterno Notte) qui reprend le flambeau, son film « Rapito » est dans la sélection officielle à Cannes, et sortira en salle en France demain sous le titre « L’enlèvement ». Ce sera une occasion de plus d’écumer les plateaux télé pour cracher sur l’Eglise (indépendamment bien sûr des qualités cinématographiques éventuelles du film, encore à découvrir).
Sur la NBQ, Ermes Dovico rétablit quelques faits passés sous silence…

(*) Voir aussi

L’affaire Mortara, des vérités tues pour frapper l’Eglise

Ermes Dovico
lanuovabq.it
23 mai 2023

A Cannes, c’est le jour du film de Bellocchio Rapito [« L’Enlèvement »] sur l’affaire Mortara, l’enfant juif baptisé in articulo mortis puis séparé de ses parents. Dès la bande-annonce, la mystification des faits est évidente. Des faits qu’Edgardo Mortara lui-même, mort en odeur de sainteté, a effectivement reconstitués dans un mémoire indigeste pour les ennemis de la vérité.

Au Festival de Cannes, c’est aujourd’hui la journée de Rapito, le film de Marco Bellocchio consacré à l’affaire Mortara, l’enfant qui, en 1858, a été séparé de sa famille juive d’origine à la suite d’un baptême qui s’est déroulé dans des circonstances exceptionnelles. Le film est librement inspiré d’un livre de Daniele Scalise (Il caso Mortara, 1996), qui a contribué à relancer la légende noire contre l’Église catholique. Au-delà du titre du film, la bande-annonce permet déjà de deviner le type de mystifications qui seront montrées sur les écrans.

Dans la bande-annonce, on voit un messager ecclésiastique qui se rend en pleine nuit, accompagné de quelques gardes, à la maison des Mortara pour leur annoncer pour la première fois que leur petit Edgardo a été baptisé et qu’il y a un ordre de « l’emmener ». On voit alors le père prendre brusquement l’enfant dans ses bras et se diriger vers la fenêtre en criant « Ils veulent nous l’enlever ». On dira qu’il s’agit d’une version romancée, mais la distorsion flagrante des faits – pour un film qui prétend pourtant se référer à une histoire vraie – demeure. Comme restera le conditionnement dans l’esprit de ceux qui verront des scènes similaires, ignorant précisément les nombreuses vérités non dites, au détriment de l’Église.

Il suffirait pourtant de lire les mémoires exhaustives que le protagoniste de l’affaire, Edgardo Mortara, a écrites en pleine maturité, en 1888, à de 37 ans. Des mémoires rédigés en castillan pendant son apostolat en Espagne et conservés ensuite dans les archives romaines des chanoines réguliers du Très Saint Sauveur de Latran, l’ordre dans lequel don Pio Maria Mortara, son nom en religion, avait librement et fermement souhaité entrer dès que son âge le lui avait permis. Traduit en italien, le mémorial a été publié intégralement en 2005 dans un livre présenté par Vittorio Messori («Io, il bambino ebreo rapito da Pio IX». Il memoriale inedito del protagonista del «caso Mortara»), qui démonte pièce par pièce la légende noire et rend compte de manière exemplaire des raisons de la foi. Il est donc curieux que certaines élites culturelles continuent à privilégier les reconstructions partielles pour propager leur idéologie. Regardons donc les faits.

Nous sommes à Bologne, alors dans les États pontificaux.

Edgardo, neuvième des douze enfants de Marianna et Salomone Mortara, a un peu plus d’un an lorsqu’il est frappé par une terrible maladie accompagnée de violentes fièvres. La maladie évolue avec de tels symptômes qu’en quelques jours les médecins le donnent pour mort. La mort semble imminente. C’est dans ces circonstances que la jeune Anna Morisi, la servante catholique des Mortara, se souvient de ce que l’Eglise enseigne sur le baptême de nécessité, c’est-à-dire in articulo mortis. Secrètement, un verre d’eau à la main, elle baptise l’enfant par aspersion, pensant que ce geste donnera bientôt le Paradis au petit Edgardo. Seulement, la mort attendue ne vient pas. Peu à peu, en effet, l’enfant se rétablit complètement. Anna panique, réalisant les conséquences possibles de sa révélation. Et elle décide de se taire.

Environ cinq ans s’écoulent. Cette fois, c’est le petit frère d’Edgardo, Aristide, qui tombe malade. Lui aussi est en danger de mort. Les amis d’Anna la supplient de le baptiser, mais elle refuse et finit par confier ce qui s’est passé cinq ans plus tôt avec Edgardo. Pendant ce temps, le petit Aristide meurt sans avoir été baptisé.

Sur les conseils de ses amis, Anna révèle l’histoire d’Edgardo à son confesseur et, peu après, la chaîne de communication, avec l’accord de la jeune fille, parvient au pape. Le bienheureux Pie IX ne perd pas de temps. Il donne l’ordre de faire toutes les tentatives de conciliation possibles, de faire comprendre aux parents que l’Eglise a le devoir – Edgardo ayant été exceptionnellement mais validement baptisé – de donner à l’enfant une éducation chrétienne. Le pape lui-même assura qu’il garderait l’enfant à ses frais dans un internat catholique à Bologne, où il resterait jusqu’à sa majorité et où les parents pourraient lui rendre visite à leur guise.

Il faut ajouter que dans les territoires pontificaux, il existait alors des lois interdisant aux juifs d’avoir des serviteurs chrétiens à leur service : des lois destinées à protéger la communauté juive elle-même, en évitant des situations compliquées dès le départ, comme cela s’était déjà produit sous d’autres papes. Bref, les parents d’Edgardo connaissaient le « risque » qu’ils couraient en accueillant un catholique chez eux.

Mais malgré tout, les Mortara, en proie à un mélange de douleur et de colère, refusent les différentes tentatives de conciliation qui se succèdent dans le temps, même lorsqu’ils sont informés par le bon Père Pier Gaetano Feletti (chargé de traiter l’affaire) que l’Église sera contrainte – avec regret – de procéder à l’enlèvement forcé de l’enfant en cas de nouveau refus. Ce qui se produisit, après d’autres préparatifs, le 24 juin 1858. L’enlèvement soudain mis en scène par Bellocchio est donc un faux historique.

L’enlèvement était cependant nécessaire en raison du danger qu’Edgardo soit poussé à une apostasie forcée et en raison du climat passionné que la large faction opposée à l’Église avait créé, au point de menacer d’affrontements sanglants. Dans cette affaire, sous prétexte de défendre la communauté juive mais en réalité pour humilier l’Eglise, les gouvernements, la presse, les loges maçonniques et les politiciens du monde entier se sont précipités. A la tête de l’opposition, comme l’explique don Pio Mortara lui-même, se trouve Napoléon III, manœuvré par les loges mentionnées plus haut et agacé par une attitude ecclésiastique qu’il juge anachronique. Il est suivi de près par Cavour et d’autres, qui voient dans l’affaire de cet enfant – comme il ressort des lettres de ces mêmes personnages – une occasion unique de mettre fin au pouvoir temporel de l’Église. En effet, l’affaire Mortara a contribué à accélérer la « question romaine » qui a culminé avec la brèche de Porta Pia [ndt: La prise de Rome, alias brèche de Porta Pia, par les troupes italiennes, le 20 septembre 1870, sous le pontificat de Pie IX, met fin à l’existence des États pontificaux et au pouvoir temporel des papes]. Mais cette attaque visait avant tout la mission spirituelle de l’Église.

Ce que les laïcs et même les catholiques libéraux de l’époque refusaient d’accepter, c’était la signification du sacrement du baptême, qui était pourtant bien connue de Pie IX et qui sera expliquée plus tard avec une efficacité extraordinaire par notre Edgardo. Bien que pendant les sept premières années de sa vie il ait été éduqué dans la plus stricte observance du judaïsme et qu’il n’ait jamais entendu parler de Jésus, don Pio Mortara témoigne, avec de nombreux exemples, comment l’action invisible de la Grâce était à l’œuvre en lui avant même l’enlèvement, suscitant chez lui, dès son enfance, une attirance surnaturelle pour les églises et les services chrétiens.

Même la docilité dont il a fait preuve dès les premières heures qui ont suivi l’enlèvement, même au milieu d’une rébellion compréhensible pour avoir été séparé de ses parents, est inexplicable pour une logique purement humaine. Pendant le voyage vers Rome, on lui avait enseigné le Notre Père et l’Ave Maria, ainsi que les premiers rudiments de la foi chrétienne. L’action de la grâce dans l’âme du petit Mortara était telle que lorsque ses parents arrivèrent à Rome peu de temps après, pour lui rendre visite pendant au moins un mois dans l’espoir de le ramener à la maison, c’est l’enfant lui-même qui regarda cette perspective avec horreur. Et ce, bien qu’il ait éprouvé et continue d’éprouver un grand amour pour ses parents tout au long de sa vie. Mais déjà, à l’âge de sept ans, il priait pour qu’ils acceptent Jésus. Edgardo était et se sentait déjà chrétien dans tous les sens du terme, et dès lors, jusqu’à la fin de sa vie terrestre, à l’âge de 88 ans et demi, il essayera de gagner des âmes au Christ, en mourant en odeur de sainteté.

Tout cela après une vie vécue dans une profonde gratitude envers les hommes et les femmes qui ont fait de lui un fils de l’Église, d’Anna Morisi à Pie IX. Un pape qui – pour citer l’un des nombreux éloges contenus dans le mémorial de Mortara – « reporte tout, oublie tout, pour s’occuper de l’avenir d’un pauvre enfant qu’une jeune fille a fait enfant de Dieu, frère du Christ, héritier de la gloire éternelle au sein d’une famille israélite. Pour sauver l’âme de cet enfant, le grand pontife supporte tout, s’expose à tout, sacrifie tout, met même ses états en péril, devant la fureur, l’acharnement infernal des ennemis de Dieu ». Un pape donc, mû par une seule conscience : même le monde entier ne vaut pas une seule âme.

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