Il y a deux semaines, Vatican News annonçait la participation du Pape à l’évènement organisé (demain 10 juin) Place Saint-Pierre par la fondation vaticane Fratelli tutti « pour célébrer la culture de la paix et la fraternité humaine ». L’évènement aura bien lieu, mais sans la présence physique du Pape (à moins que… Il est très capable d’apparaître en visioconférence depuis sa chambre d’hôpital!). Stefano Fontana souligne les contradictions de l’initiative, et le caractère fallacieux de la fraternité promue par l’encyclique « Fratelli Tutti »

L’Église croit convoquer le monde, mais c’est le monde qui convoque l’Église.

Quand la fraternité de l’Eglise est équivoque, l’ONU apprécie

Stefano Fontana
lanuovabq.it
9 mai 2023

La rencontre mondiale sur la fraternité voulue par le pape François et qui se tiendra samedi sur la place Saint-Pierre verra également la participation du navire « Mare Jonio » de Méditerranea, l’ONG dirigée par Luca Casarini, ex-leader des Centri sociali. C’est le signe le plus évident d’un malentendu idéologique, qui a pourtant le soutien de l’ONU.

Le samedi 10 juin se tiendra la Rencontre mondiale sur la fraternité humaine (« World Meeting on Human Fraternity – #notalone »), organisée par la Fondation du Vatican qui porte le nom de l’encyclique du pape François « Fratelli Tutti », avec d’autres dicastères de l’Oltratevere L’événement a été présenté lors d’une conférence de presse le 5 juin par le cardinal Mauro Gambetti, président de la Fondation Fratelli Tutti, et l’animateur de télévision Carlo Conti, qui présentera l’événement. L’approbation de l’ONU ne pouvait manquer et Filippo Grandi, Haut Commissaire pour les Réfugiés, a d’ailleurs apporté son salut en guise de reconnaissance.

La rencontre, que François a souhaité confirmer malgré sa récente hospitalisation, se tiendra sur la place Saint-Pierre à partir de 16 heures et sera reliée à huit sites dans le monde entier. Parmi eux, le bateau « Mare Ionio », de Mediterranea, l’ONG dirigée par Luca Casarini, l’ex-leader [un activiste d’extrême gauche, ndt] des Centri Sociali à qui François avait écrit une lettre de recommandation en 2020 en lui disant « comptez toujours sur moi ».

Le site web de Mediterranea porte même le slogan « Personne ne se sauve seul », qui réapparaît – #notalone – dans les rencontres mondiales sur la fraternité organisées par le Vatican et qui vise également à résumer le sens de « Fratelli Tutti » que le Pape François exprime avec sa phrase récurrente « nous sommes tous dans la même barque ».

Ainsi constituée, l’initiative semble dire que le message de Fratelli Tutti n’a pas de critère propre de fraternité à proposer, tant il peut s’accommoder de nombreuses entités qui traitent des droits de l’homme, y compris idéologiquement et politiquement éloignées ou opposées à la Doctrine sociale de l’Église. Même Mare Ionio, donc, et pourquoi pas, nous demandons-nous, le « See Watch 3 » de Carola Rakete [ndt: la militante écologiste allemande, connue pour avoir  forcé le blocus italien en juin 2019, aux commandes du navire humanitaire Sea-Watch 3] ?

La seule condition de conformité avec Fratelli Tutti est d’être dans la même barque, c’est-à-dire d’être des hommes. Mais les marins garde-côtes et, pour aller dans l’autre sens, les passeurs sont aussi des hommes et sont dans la même barque que l’humanité. Pourquoi la manifestation de samedi n’a-t-elle pas eu lieu sur un navire des garde-côtes ? Le point de vue de Fratelli Tutti, qui consiste à ne pas partir d’un critère de solidarité mais de la simple appartenance au genre humain – c’est-à-dire du fait d’être dans la même barque – n’est pas appliqué de manière cohérente, parce qu’il ne peut pas l’être.

Le World Meeting on Human Fraternity fait même des choix… et choisit l’anarchiste Casarini et non les marins garde-côtes, alors que les uns et les autres sauvent des vies. C’est ici que l’appel à être simplement dans la même barque se révèle idéologique, tout comme l’événement de la place Saint-Pierre apparaît idéologique et non évangélique. Car on peut être dans la même barque de bien des manières, et le simple fait d’être à côté les uns des autres ne signifie pas que nous sommes automatiquement frères. Et surtout, on peut réfléchir de multiples façons à la destination de la barque dans laequelle nous sommes tous assis les uns à côté des autres et se demander s’il y aura un véritable accostage final ou si nous continuerons à errer sur les eaux jusqu’à ce que nous sombrions.

Des événements de ce type démontrent continuellement que l’Église se positionne d’une manière différente et opposée à la manière traditionnelle. C’est une façon de se positionner qui s’est sédimentée et développée au fil du temps et qui s’est maintenant matérialisée de façon systématique et qui est aujourd’hui mise en œuvre sans réflexion. L’Église n’annonce plus à ceux qui sont dans la même barque un critère extérieur et supérieur à la barque. Elle convoque tous ceux qui sont dans la barque, se place dans la barque comme un marin parmi d’autres, et croit que les critères de la vraie fraternité et de la vraie solidarité émergent de la confrontation de tous.

Dans le passé, François avait convoqué les « Mouvements populaires » [voir le discours qu’il avait adressé à leurs leaders reçus au Vatican en octobre 2014, www.vatican.va, ndt] mais sans critère propre. Aujourd’hui, François convoque ceux qui sauvent les gens, mais sans annoncer correctement ce que signifie sauver les gens et, surtout, ce que signifie le salut. Demain, il pourra convoquer les familles, mais sans proposer une vision évangélique de la famille et, par conséquent, des « nouvelles familles » LGBT. Parce qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’Église.

Mais s’il y a de la place pour tout le monde, cela signifie que l’on entre dans l’Église sans critère et qu’il suffit d’être dans la même barque pour en faire partie sans avoir besoin d’un laissez-passer. Mais alors, il n’y a plus de différence entre l’Église et la barque dans lequel nous vivons tous. L’Église coïncide avec le monde et n’a même plus une parole propre à lui adresser. L’Église croit convoquer le monde, mais c’est le monde qui convoque l’Église. Ce sera encore le cas le samedi 10 juin sur la place Saint-Pierre.

Mais pas d’inquiétude: il y a la reconnaissance de l’ONU.

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