Formidable analyse d’Andrea Gagliarducci, qui donne corps à ce nous avons évoqué précédemment sur L’Eglise à la veille. Nous voyons un peu mieux que nous sommes à la veille de quelque chose d’important, de grave, mais nous ne savons pas quoi. En tout cas, c’est la fin d’un monde. Ce que l’auteur résume parfaitement dans sa conclusion:

peut-être que le mur de Berlin est tombé et que nous parlons tous de quelque chose qui n’existe plus. En réalité, à présent, les analyses du Vatican ne peuvent plus utiliser les anciennes catégories parce que le pape François ne les utilise pas. Le problème, cependant, c’est qu’il n’y a pas de nouvelles catégories. Tout est incertain.

Le Pape François, vers le Consistoire et le Synode

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com
210 août 2023

Certains comparent le pontificat du pape François à un changement d’époque qu’une « bulle » d’observateurs [a “bubble” of observers : des observateurs vivant dans une bulle] ne parvient pas à percevoir. Il est vrai que le pape François, au cours de ces dix années de pontificat, a révolutionné beaucoup de choses, principalement grâce à son sens pratique et à sa façon de voir les choses. Mais il n’est pas vrai que l’on n’ait pas immédiatement perçu que le pape François voulait mettre en œuvre un changement d’époque. En effet, c’est précisément sur cela que se sont immédiatement concentrées les critiques et les alarmes, même si peu de personnes ont osé [!!!] les lancer.

Au début du pontificat, accorder un « vote de sympathie préalable » était une obligation et toute critique était considérée comme un préjugé. Ce même blog a écrit à ce sujet, en 2013, et a été fortement attaqué à l’époque pour des choses qui, aujourd’hui, avec le recul, semblent légères [ndt: Andrea G. parle sans doute de critiques tout à fait soft qu’il a dû émettre, je trouvais personnellement ses articles du début étonnamment (trop) bienveillants, comme quoi… Avec le recul, on comprend en effet mieux].

La question, à ce stade, est de savoir où ira le Pape François ? Quel est son plan final ? La semaine qui vient de s’écouler a été sans histoire, sans rendez-vous majeurs ni décisions importantes. Le pape a repris son activité publique et prépare le voyage en Mongolie qui débutera le 31 août. Ensuite, il y aura deux événements cruciaux.

Le premier sera le Consistoire du 30 septembre. Le pape n’a pas encore annoncé si un autre consistoire, une réunion, accompagnera le Consistoire pour la création de nouveaux cardinaux. Cette réunion a eu lieu l’année dernière et ce n’était pas arrivé depuis 2014. Toutefois, la rencontre de l’année dernière a été divisée en groupes de travail avec des orateurs et peu de possibilités d’intervention. De nombreux cardinaux ont mis de côté les discours qu’ils auraient voulu prononcer. La plupart d’entre eux ont fini par être déçus de la situation.

Le pape n’a pas permis aux cardinaux de se réunir. Cependant, en dix ans de pontificat, il a déjà célébré neuf consistoires, changeant en pratique la majorité du collège des cardinaux et mettant en œuvre un changement de génération qui n’a probablement pas eu de précédent dans l’histoire de l’Église – l’exception étant le consistoire de Jean-Paul II en 2002, qui incluait également Jorge Mario Bergoglio lui-même dans une longue liste de cardinaux.

Dans le cas présent, cependant, une rencontre pourrait être cruciale. Le pape adresse son discours à l’Église, comme en témoignent les lettres avec lesquelles il accompagne les dernières nominations (le préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi, le nouveau recteur de l’Université pontificale du Latran, un auxiliaire du diocèse de Rome et un recteur de son séminaire). Une rencontre permettrait donc au Pape de donner des directives aux cardinaux ou au moins d’orienter certaines lignes programmatiques.

Il n’en est pas question pour l’instant car le pape François a toujours préféré ne pas dévoiler ses intentions. Les dernières modalités suggèrent toutefois que quelque chose pourrait se passer au Consistoire.

Ne serait-ce que parce que le Consistoire est inextricablement lié à l’autre événement important, qui est la première étape du Synode sur la vie de l’Église – connu sous le nom de Synode sur la synodalité, une expression qui n’est toutefois pas appréciée par les membres du Secrétariat général du Synode.

Il s’agira d’un synode d’un type nouveau. Il faudra voir le nouveau règlement pour comprendre comment fonctionneront les groupes de travail et comment sera élaboré le texte final remis au Pape. Et même, si un texte final est remis au Pape, ou si nous faudra attendre la deuxième étape l’année prochaine.

Nous savons que le nombre de participants a augmenté, qu’ils seront dans la salle Paul VI, et que la discussion sera facilitée par les groupes qui se réuniront en tables rondes pour favoriser le dialogue.

Mais à quoi ressemblera la discussion ? En dehors des discours préparés, une possibilité est que le dialogue prenne la direction de l’animateur des petits cercles [« circoli minori »] ou, en tout cas, de ses participants les plus charismatiques. C’est une éventualité que la plupart des délégués n’apprécieraient guère.

Par conséquent, le prochain Synode ne portera pas sur des idées mais sur des réactions. Il y aura des progressistes et des partisans du Synode qui seront mécontents du processus, tout comme il y aura des conservateurs qui pourront obtenir des résultats positifs et s’en réjouir. C’est un pari.

Un pari qui reflète le pontificat. De même qu’il ne semble pas y avoir de certitude quant à la conduite du débat – mais le règlement du Synode l’infirmera ou le confirmera – il ne semble pas y avoir de point ferme de la part du pontificat. Le droit canonique semble être mis de côté ou soumis à des décisions ponctuelles ou personnelles. En même temps, le Dicastère pour les textes législatifs, qui est crucial en ce sens, semble également être mis de côté.

Le pape François intervient sur le droit au point de changer les règles d’un procès civil en cours, et l’impression est que pour le pape, le droit est au service du pontificat et non du peuple. Mais la loi, en réalité, est faite pour protéger les personnes ; elle n’est pas faite pour aider le pontificat à élaborer de nouvelles règles.

Dans cette situation d’incertitude, on ne sait même pas qui sera retenu et qui ne le sera pas. Il y a même une rumeur selon laquelle le néo-cardinal Americo Aguiar, auxiliaire de Lisbonne, sera appelé au Vatican en tant que préfet du dicastère des laïcs, de la famille et de la vie pour succéder au cardinal Kevin Farrell. Farrell, également camerlingue, était considéré comme l’une des personnes de confiance de François. Mais le pape François veut changer tout le monde tous les cinq ans, à quelques exceptions près.

Et les exceptions concernent des amis de longue date, comme l’archevêque Victor Fernandez, qui deviendra également cardinal, que le pape voulait à Rome et avec qui il interagit en permanence et avec diligence, contrairement à personne d’autre à Rome, à l’exception d’un vieil ami, une femme.

Le Consistoire et le Synode marqueront le rythme du changement d’ère de ce pontificat. Peut-être que ce que le pape a fait ces dernières années n’a pas été compris, peut-être que le mur de Berlin est tombé et que nous parlons tous de quelque chose qui n’existe plus. En réalité, à présent, les analyses du Vatican ne peuvent plus utiliser les anciennes catégories parce que le pape François ne les utilise pas. Le problème, cependant, c’est qu’il n’y a pas de nouvelles catégories. Tout est incertain.

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