Lors de l’Angelus de ce dimanche 20 août, François a relu à sa façon l’évangile du jour (nous en avons parlé ici: Le Pape (ré)interprète l’évangile: Jésus a changé). Curieusement, dans Il Fatto Quotidiano, feuille notoirement de gauche, le même jour, le père Spadaro sj, directeur de La Civiltà Cattolica, commentait à peu près dans les même termes les même évangile. Qui a eu l’idée? Les explications du blog italien « La testa del Serpente ».


Il Fatto Quotidiano,
dimanche 20 août 2023

Le Jésus indietriste converti par une femme. Et voilà comment je te lis l’Évangile

Il était une fois une théologie dissidente qui en voulait à Jean-Paul II, à son plus proche collaborateur le cardinal Joseph Ratzinger (redouté préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi de l’époque) et, en général, aux décisions de Rome. Une théologie qui se considère à l’avant-garde, interprète de l’esprit du temps, fruit du Concile Vatican II et promoteur des innovations et des révolutions que Rome craignait et freinait pour défendre le dépôt de la foi et distinguer l’actualisation saine des extravagances du moment et des tromperies idéologiques.

Les protagonistes de ces théologies « périphériques » se trouvaient dans les périphéries du monde. Dans l’Amérique du Sud profonde, ou dans l’Europe continentale, où Luther a réussi à dresser des nations entières contre Rome (considérée comme un cloaque et une prostituée). Ils écrivaient dans des revues inconnues, publiaient leurs réflexions de manière semi-clandestine et enseignaient dans des séminaires ou des instituts loin des projecteurs. Ceux qui osaient lever la tête ou la voix savaient à quoi ils s’exposaient.

De temps en temps, en effet, Rome rappelait à l’ordre tel théologien ou telle théologie, car certaines choses peuvent être pensées et proposées, mais l’enseignement de certaines doctrines peut être trompeur et nuisible à la foi, surtout s’il est le fait de prêtres et de théologiens de la Sainte Église romaine ou – pire encore – s’il est le fait d’universités qui se disent « catholiques » ou « pontificales ».

Aujourd’hui, les choses ont changé et ceux qui proposent une pensée théologique « dissidente », qui contestent la doctrine (qui voudrait des femmes prêtres, des prêtres mariés, des mariages homosexuels, des extravagances liturgiques, du Dieu-mère, du catho-féminisme, de la démocratisation de l’Église, de l’Église pauvre et autres accommodements) et accusent l’Église de rigidité et d’inadaptation à son temps, ont pris place dans la cathèdre.

Ils ne se cachent plus, mais au contraire s’affichent et se font connaître, ils sont invités à des congrès, à des conférences, à donner des cours. On les trouve à la une des revues de théologie et des magazines de prestige, mais aussi dans les journaux séculiers, ils enseignent dans les universités pontificales de Rome, ils dialoguent avec le monde de la culture en se faisant les représentants de la théologie catholique, ils publient dans les maisons d’édition les plus importantes, ils dirigent des revues comme Civiltà Cattolica, ils sont interviewés, recherchés, cités. Ils occupent même des postes de pouvoir au Vatican, comme celui de préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi ou de responsable de l’Académie pontificale pour la vie et des Instituts de théologie morale (comme des renards dans le poulailler).

Le résultat est la confusion, le désarroi de ceux qui se croyaient simplement catholiques. Et qui, sans un minimum de connaissances dans les domaines théologique et biblique ou sans un minimum de foi, ne sont plus en mesure de distinguer facilement quand l’intention est de transmettre la foi et quand il s’agit plutôt de colporter des idées personnelles ou, pire encore, des positions idéologiques.

En effet, il arrive de plus en plus souvent que la Bible et l’Évangile eux-mêmes soient utilisés pour promouvoir des idées qui font pour le moins grincer des dents. Nous savons qu’au nom de la miséricorde, l’Église semble aujourd’hui encline à tout accepter. Et l’on sait combien l’Évangile a été brandi (y compris par des hommes politiques) pour faire taire toute velléité de débat, par exemple sur l’immigration ou l’homosexualité, au nom de la miséricorde qui accueille tout et bénit tout. Tandis que tous ceux qui se distinguent sont accusés de ne pas connaître et de ne pas appliquer l’Évangile. Sur la base de ce principe, ces dernières années, les athées anticléricaux ont été loués pour leurs combats (Bonino ou Pannella) tandis que les catholiques ont été traités de rigides, de bigots et d’inhumains parce qu’ils sont incapables de miséricorde.
(…)

Mais jusqu’à présent, on n’était pas encore allé jusqu’à réinterpréter Jésus lui-même ou à l’accuser de rigidité, d’intolérance, de nationalisme, de se comporter en théologien (terme qui, depuis 2013, n’est plus un compliment) ou – pour reprendre une expression chère au pape François – d’ « indiétrisme ».

L’Évangile de dimanche dernier (20e du temps ordinaire, Mt 15:21-28), cependant, a donné l’occasion à un prêtre très en vue (et très proche du Pape) [il s’agit du père Spadaro] d’expliquer sa version des faits [cf. www.ilfattoquotidiano.it]. Et il l’a fait, non pas dans le journal paroissial, mais dans un journal national radicalement à gauche (note peut-être inutile, mais utile pour confirmer ce qui précède).

Le récit, nous le connaissons: il s’agit du passage de Jésus à Tyr et Sidon, localités païennes. Interrogé par une païenne, Jésus refuse d’abord (et durement) de faire le miracle car, dit-il, « je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». Mais il finit par céder devant l’insistance, la ténacité et la foi de la femme désespérée qui lui demande de l’aide : « Femme, ta foi est grande, lui répondit Jésus, qu’il t’arrive ce que tu veux. « .

Le passage raconte la miséricorde de Jésus qui offre une ouverture universelle au salut, même en dehors du peuple élu, et qui – une fois de plus – ne fait pas de miracles là où il ne trouve pas la foi de ceux qui lui demandent de l’aide.

Mais pour le prêtre jésuite, il y a quelque chose de plus. Jésus n’accepte pas la demande de la femme à cause de sa propre rigidité, de sa dureté, de son statut de « théologien ». Mais à la fin, il guérit lui-même de sa maladie.

C’est ainsi que l’Évangile nous est expliqué dans la nouvelle version jésuite, corrigée: Jésus reste d’abord « indifférent » ; puis il répond de manière « irritée et insensible » ; « il répond de manière moqueuse et irrespectueuse » ; il prétend « être théologien » ; il refuse la miséricorde ; c’est une « chute de ton, de style d’humanité » ; Jésus apparaît comme « aveuglé par le rigorisme et le nationalisme théologique ». Mais les paroles de la femme « bouleversent la rigidité de Jésus », elles le convertissent. Jésus apparaît « guéri » : « libéré de la rigidité des éléments théologiques, politiques et culturels de son temps ».

Selon la version des Jésuites, Jésus serait donc un « indietriste«  qui convertit et est miraculeusement guéri par la femme païenne. Une image plastique de ce que nous vivons aujourd’hui : des catholiques encore tenaillés par la doctrine et le catéchisme, nationalistes, théologiens, bigots et jugeurs, incapables de se mettre à jour, malades d’indietrisme et de rigorisme, qui ont besoin de se convertir et de se guérir en écoutant la païenne, en écoutant les athées, les distants, les anticléricaux qui font de belles batailles, en un mot, en écoutant et en suivant le monde. C’est – pour le jésuite – le début d’une révolution.

Dans ses sermons, saint Augustin affirme :

 » Le Christ s’est montré indifférent à son égard, non pour lui refuser sa miséricorde, mais pour enflammer son désir « .

Personnellement, je trouve que la première lecture de ce dimanche, tirée du prophète Isaïe, éclaire le passage de l’Évangile : Dieu offre la possibilité d’accéder aux promesses faites à Israël à tous ceux qui se convertissent à Lui. À ceux qui sont prêts à l’adorer, à changer de vie et à respecter ses commandements. La conversion est donc une condition sine qua non pour bénéficier pleinement de la miséricorde et des grâces réservées par Dieu aux hommes qui, dans leur liberté, peuvent rejeter la conversion et la grâce.

L’idée que c’est Jésus qui doit se convertir apparaît pour le moins forcée et dictée – comme l’a dit un prêtre – par une forme de « miséricordieusement correct ». Un besoin d’utiliser l’Évangile pour pousser à une conversion au monde, qui trahit une passion malsaine pour ce qui est loin de Dieu et de ses commandements.

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