C’est sa quarantième interview depuis sa nomination (c’est lui-même qui a compté) et, promis juré, c’est la dernière. Par écrit, ce qui change un peu par rapport à un vrai tête-à-tête, et lui a permis de bien préparer ses réponses. Il a apparemment bien appris sa leçon et il dit même des choses partageables. Je m’épargnerai l’outrecuidance de débattre de théologie avec lui, d’autres, bien plus savants, s’en sont déjà chargés et vont continuer à le faire. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la menace adressée à ceux qui mettent en doute la sûreté doctrinale du Pape. Avec un argument génial, vraiment: la doctrine ne change pas, mais, grâce au souffle de l’Esprit (qui figure sur son nouveau blason), le Pape a, comme successeur de Pierre, « un don vivant et actif », un charisme spécial et unique qui lui permet de changer la doctrine-qui-ne-change-pas. Donc, rien de ce qu’il dit ou fait ne peut être hérétique, alors que les critiques de ses ennemis, elles, sont hérétiques. Donc, s’il y a un schisme, les responsables, ce seront eux.

Mgr Fernandez met en garde contre les évêques qui pensent pouvoir juger de la ‘doctrine du Saint-Père’

Le nouveau « chef doctrinal du Vatican » évoque également son ouverture aux bénédictions de l’Église par des personnes de même sexe, partage ses réflexions sur la voie synodale allemande et explique son approche de la sauvegarde de la doctrine.

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Le nouveau préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi a averti que les évêques – qu’ils soient « progressistes » ou issus de « groupes traditionalistes » – qui pensent avoir un « don spécial de l’Esprit Saint pour juger la doctrine du Saint-Père » sont sur la voie de l' »hérésie » et du « schisme ».

En réponse à une question sur l’acceptation du magistère du pape François, le cardinal-archevêque désigné Víctor Manuel Fernández a déclaré à Edward Pentin, du National Catholic Register (NCR), lors d’un entretien exclusif par mail le 8 septembre, que le pape a non seulement le devoir de garder et de préserver le dépôt « statique » de la foi, mais aussi un second charisme unique, donné uniquement à Pierre et à ses successeurs, qui est « un don vivant et actif ».

« Je n’ai pas ce charisme, ni vous, ni le cardinal Burke. Aujourd’hui, seul le pape François l’a », a dit Mgr Fernández, qui succède cette semaine au préfet espagnol sortant, le cardinal Luis Ladaria Ferrer, et sera élevé au rang de cardinal lors d’un consistoire le 30 septembre. Le cardinal Burke a récemment écrit la préface d’un livre qui critiquait vivement le prochain synode sur la synodalité et a souvent exprimé des inquiétudes quant à certains enseignements de ce pontificat.

« Si vous me dites que certains évêques ont un don spécial de l’Esprit Saint pour juger la doctrine du Saint-Père, nous entrerons dans un cercle vicieux (où n’importe qui peut prétendre détenir la vraie doctrine) et ce sera de l’hérésie et du schisme », a-t-il dit.

L’archevêque argentin, qui aurait rédigé l’exhortation apostolique Amoris Laetitia de François en 2016 et contribué à plusieurs autres documents papaux majeurs, a abordé plusieurs préoccupations dans l’interview, à savoir la pratique pastorale séparée de la saine doctrine, la question de la « modernisation » de l’Église et son ouverture déclarée aux bénédictions ecclésiastiques pour les personnes de même sexe. Le cardinal désigné Fernandez, 61 ans, a dit qu’il avait déjà accordé 40 interviews aux médias depuis l’annonce de sa nomination en juillet et qu’il ne souhaitait pas en donner d’autres, mais il a aimablement donné ces brèves réponses au Register par mail.

En ce qui concerne la voie synodale allemande, il a dit que l’Église allemande « a de graves problèmes et doit évidemment réfléchir à une nouvelle évangélisation », mais il s’est distancié de cette controverse, affirmant qu’il n’en savait « pas grand-chose » [!!!] et qu’il préférait mettre en avant sa propre « formule pour faire face à l’indifférence religieuse de la société » dans la manière dont il a évangélisé en tant que prêtre et évêque en Argentine.

………….

Q: Excellence, que signifie pour vous l’expression « moderniser l’Église »? Qu’est-ce que cela implique et quelle est son importance ?

R: Je n’utiliserais jamais le terme « moderniser » pour s’appliquer à l’Église, car il s’agit d’une catégorie plus appropriée aux entreprises ou à d’autres institutions ; elle ne s’applique pas à une réalité surnaturelle telle que l’Église, qui possède des éléments éternels. Les papes récents ont utilisé le mot « réforme » parce qu’ils croient que certains aspects de l’Église peuvent changer, mais toujours sans renoncer à un humus permanent qui va au-delà du temps qui passe, des différentes époques et des aspects superficiels du monde.

L’expression « moderniser l’Église » pourrait nous conduire à l’erreur de réduire la richesse permanente et toujours nouvelle de l’Église, y compris l’Évangile, dans le cadre d’une époque donnée (dans ce cas, la modernité), qui passera elle aussi, comme toutes les autres époques. Bref, l’expression « moderniser l’Église » n’a pas de sens pour moi.

Dans une interview accordée à Crux en juillet, vous avez déclaré que vous preniez très au sérieux les paroles du pape François concernant l’acceptation du magistère récent et que les fidèles devraient laisser leur pensée « être transfigurée par ses critères », en particulier lorsqu’il s’agit de théologie morale et pastorale. Qu’est-ce que le « magistère récent » exactement ? En quoi diffère-t-il du magistère non récent, et qu’entendez-vous par « transfigurée par ses critères » en ce qui concerne la théologie morale et pastorale ? Est-il contraignant et, en tant que préfet, comment allez-vous traiter avec ceux qui, dans l’Église, en particulier les évêques et les prêtres, ne souscrivent pas au magistère du Saint-Père, car ils pourraient y voir une contradiction avec l’enseignement établi de l’Église ?

Quand nous parlons d’obéissance au magistère, nous l’entendons dans au moins deux sens, qui sont inséparables et tout aussi importants. L’un est le sens le plus statique, celui d’un « dépôt de la foi », que nous devons garder et préserver indemne. Mais d’autre part, il existe un charisme particulier pour cette sauvegarde, un charisme unique, que le Seigneur n’a donné qu’à Pierre et à ses successeurs.

Dans ce cas, il ne s’agit pas d’un dépôt, mais d’un don vivant et actif, qui est à l’œuvre dans la personne du Saint-Père. Je n’ai pas ce charisme, ni vous, ni le cardinal Burke. Aujourd’hui, seul le pape François l’a. Maintenant, si vous me dites que certains évêques ont un don spécial de l’Esprit Saint pour juger la doctrine du Saint-Père, nous entrerons dans un cercle vicieux (où n’importe qui peut prétendre détenir la vraie doctrine) et ce sera l’hérésie et le schisme. Rappelez-vous que les hérétiques pensent toujours connaître la vraie doctrine de l’Église. Malheureusement, aujourd’hui, non seulement certains progressistes tombent dans cette erreur, mais aussi, paradoxalement, certains groupes traditionalistes.

L’une des critiques souvent adressées aux dirigeants de l’Église, en particulier depuis le Concile Vatican II, est l’absence de clarté de l’enseignement de l’Église. Comment les catholiques fidèles peuvent-ils trouver la voie du salut quand l’enseignement de l’Église semble obscurci par des débats influencés par ce qu’ils pourraient considérer comme des valeurs mondaines qui ont pénétré dans l’Église et par un manque apparent de certitude qui s’en est suivi ? Que pourriez-vous faire, en tant que préfet, pour contribuer à remédier à ce manque de clarté ?

Les débats (et donc un certain manque de clarté) ont existé tout au long de l’histoire de l’Église. Il y a eu des débats acharnés entre les Pères de l’Église, des débats entre les ordres religieux, et comment ne pas se souvenir de la controverse de auxiliis, où deux groupes de théologiens et d’évêques se sont condamnés mutuellement [sur la relation entre la grâce divine et le libre arbitre] jusqu’à ce que le pape décide qu’il s’agissait d’une question ouverte et leur interdise de s’exprimer en termes condamnables ?

Cependant, même dans ces situations qui peuvent sembler scandaleuses, l’Église grandit et mûrit dans sa compréhension de certains aspects de l’Évangile qui n’avaient pas été suffisamment explicités auparavant. Je crois que ce dicastère peut être un espace qui peut accueillir ces débats et les encadrer dans la doctrine sûre de l’Église, évitant ainsi aux fidèles certains des débats médiatiques les plus agressifs, les plus confus et même les plus scandaleux.

Dans une interview accordée à InfoVaticana en juillet, vous avez semblé être ouvert aux bénédictions ecclésiales des couples de même sexe si elles peuvent être réalisées sans causer de confusion. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ? À quel type de confusion faisiez-vous référence?

Je faisais référence à la confusion entre une union homosexuelle et un mariage. À ce stade, il est clair que l’Église ne conçoit le mariage que comme une union indissoluble entre un homme et une femme qui, dans leurs différences, sont naturellement ouverts à engendrer la vie.

Vous avez dit que la doctrine ne peut pas changer, mais que notre compréhension de la doctrine peut changer. Pourtant, certains observateurs de l’Église y voient une subversion de l’enseignement immuable de l’Église sous couvert d’aider pastoralement les fidèles, créant ainsi une fausse dichotomie entre la doctrine et la praxis pastorale qui, en réalité, sont cohérentes. Considérez-vous la doctrine comme un obstacle à une véritable compassion, et si oui, pourquoi ?

La vraie doctrine ne peut être qu’une lumière, un guide pour nos pas, un chemin sûr et une joie pour le cœur. Mais il est clair que même l’Église ne saisit pas encore toute la richesse de l’Évangile. Dans certains domaines, il a fallu des siècles à l’Église pour expliciter des aspects de la doctrine qu’elle ne voyait pas aussi clairement à d’autres moments.

Aujourd’hui, l’Église condamne la torture, l’esclavage et la peine de mort, mais cela ne s’est pas fait avec la même clarté dans d’autres siècles. Les dogmes ont été nécessaires parce qu’avant eux, il y avait des questions qui n’étaient pas suffisamment claires.

La doctrine ne change pas, l’Évangile sera toujours le même, la Révélation est déjà réglée. Mais il ne fait aucun doute que l’Église sera toujours minuscule au milieu d’une telle immensité de vérité et de beauté et qu’elle devra toujours continuer à grandir dans sa compréhension.

Quelle sera votre approche de la voie synodale allemande ? Dans quelle mesure pensez-vous que votre ouverture aux bénédictions pour les personnes de même sexe et votre désir exprimé de favoriser une approche plus douce des théologiens ou des positions hérétiques pourraient aider la situation allemande ?

L’Église allemande a de sérieux problèmes et doit manifestement réfléchir à une nouvelle évangélisation. D’autre part, elle ne dispose pas aujourd’hui de théologiens du niveau de ceux qui ont été si impressionnants dans le passé [ndt: le cardinal Müller, qui n’appartient certes pas à cette mouvance progressiste, appréciera…]. Le risque de la Voie synodale est de croire qu’en permettant quelques nouveautés progressistes, l’Église en Allemagne s’épanouira. Ce n’est pas ce que proposerait le pape François, qui a mis l’accent sur un renouveau de l’action missionnaire centré sur la proclamation du Kerygma : l’amour infini de Dieu manifesté dans le Christ crucifié et ressuscité.

Je ne sais pas pourquoi certains de vos collègues m’identifient à la voie allemande, que je connais encore peu. Regardez, mon livre le plus célèbre [!!!] s’appelle Los Cinco Minutos del Espiritu Santo (Les cinq minutes de l’Esprit Saint) et contient une méditation quotidienne sur l’Esprit Saint qui s’est vendue à 150 000 exemplaires. Le saviez-vous ?

D’autre part, j’ai été curé de paroisse, et j’ai aussi été évêque diocésain. Allez demander aux fidèles de ma paroisse ce que je faisais quand j’étais curé, et vous verrez : Adoration eucharistique, cours de catéchisme, cours de Bible, missions à domicile avec la Vierge et prière pour bénir le foyer. J’avais 10 groupes de prière et 130 jeunes.

En tant qu’évêque diocésain, j’avais l’habitude de demander aux gens ce dont je parlais dans mes homélies à la cathédrale et dans mes visites aux paroisses : du Christ, de la prière, de l’Esprit Saint, de Marie, de la sanctification. L’année dernière, j’ai proposé à l’ensemble de l’archidiocèse de se concentrer sur le fait de « grandir ensemble vers la sainteté ». Quoi qu’en disent certains de vos collègues, c’était ma formule pour faire face à l’indifférence religieuse de la société. Comme le pape, je crois que sans mystique, nous n’irons nulle part.

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