Un article important du blog « Cronache di Papa Francesco » (repris par AM Valli, chez qui je l’ai trouvé…) qui permet de mieux comprendre la hâte du Pape à réaliser ses réformes. A vue humaine (c’est-à-dire en faisant abstraction du « plan de Dieu », que nous ne connaissons pas), le pontificat de François n’est pas le résultat d’une erreur de l’Esprit Saint, ou d’un « errement » du collège des cardinaux, mais l’issue naturelle et inévitable d’un chemin commencé il y a deux siècles, balisé par les « progressistes », et qui trouva chez les jésuites leur « caisse de résonnance » privilégiée, et avec le Concile l’occasion d’une exposition mondiale. François n’en est qu’un instrument. Et le Synode sur la synodalité devrait en constituer le point d’orgue. C’est du moins ce qu’espèrent les progressistes.

C’est le basque Pedro Arrupe, prévôt général [des Jésuites] de 1965 à 1981 – mais aussi grand mentor de Jorge Mario Bergoglio – qui a été le diffuseur le plus efficace de « l’esprit de Vatican II ».

Voilà pourquoi seul un pape jésuite pouvait mener à bien les réformes révolutionnaires au nom de l' »esprit de Vatican II ».

François est le premier pape à ne pas avoir participé à Vatican II, mais il est le premier à avoir fait l’expérience de l’Église qui en est issue. Il ne s’intéresse pas à son herméneutique, car son intention est de débloquer le ralentissement de ces processus d’ouverture et de changement qui ont eu lieu pendant les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

Tout comme saint Pie V a été le grand réalisateur du Concile de Trente, François est le grand réalisateur de Vatican II.

Il est important de bien le comprendre, car il faut accepter que ce pontificat n’est pas un accident sur le chemin de la réforme, mais qu’il en est le fruit mûr.

Le prochain synode et le « nouveau Jésus » de la « nouvelle église » des Jésuites

Les réflexions qui suivent tentent de mettre en évidence le modernisme qui a donné à la Compagnie fondée par saint Ignace une nouvelle connotation, concrétisée par Pedro Arrupe dans la XXXIIe Congrégation des années 1970.

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Le grand théologien argentin Julio Meinvielle (1905-1973), dans son petit ouvrage de 1964 Sur le progressisme chrétien, raconte que dans les années 1950, le jésuite Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), célébrait une « messe » bien à lui. Il n’utilisait pas d’autel, mais une table, et ne consacrait pas le pain et le vin, mais offrait le monde, la matière, au Dieu « cosmique » [1] .

L’écrasante majorité des jésuites a soutenu ses innovations, sans tenir compte des rappels constants du prévôt général de l’époque, le père Jean-Baptiste Janssens (1889-1964), parce qu’ils savaient que bientôt, très bientôt, un concile œcuménique approuverait toutes les « réformes » qu’ils appelaient de leurs vœux.

Et arriva ce concile œcuménique, Vatican II (1962-1965), dont les principaux protagonistes furent deux jésuites, le Français Henri de Lubac (1896-1991) et l’Allemand Karl Rahner (1904-1984), représentants de cette nouvelle théologie condamnée par Pie XII dans l’encyclique Humani generis de 1950. Les autres progressistes se rangeaient soit du côté de Lubac, dont le courant était modéré, soit du côté de Rahner, qui était radical.

À Vatican II, c’est le courant de Lubac qui l’emporte, puisque Jean XXIII et Paul VI ne veulent pas changer le depositum fidei, ni renier le passé, mais renouveler, « rajeunir » l’Église, considérant que la théologie romaine, c’est-à-dire la scolastique thomiste, n’est pas adaptée au monde moderne qui s’éloigne de plus en plus du christianisme.

Jean-Paul II et Benoît XVI ont suivi cette ligne, dénonçant les abus et les excès, certes, mais ne condamnant pas les erreurs, parce qu’ils ne pouvaient pas accepter que ces mêmes erreurs proviennent du Concile auquel ils avaient participé et auquel ils croyaient si fort. Le problème, pour eux, n’était donc pas Vatican II, mais son interprétation erronée, propagée par son fameux « esprit ».

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Mais sommes-nous vraiment sûrs qu’il ne s’agissait que d’un problème d’herméneutique ? Paul VI a appliqué une herméneutique de la réforme dans la continuité : en témoignent toutes ses audiences du mercredi de 1968 à 1978, où il dénonçait la pensée non-catholique qui devenait majoritaire dans l’Église catholique.

Pourtant, une enquête menée en 1972 auprès des universités et écoles catholiques faisait apparaître que le plus grand théologien de tous les temps n’était autre que le jésuite Rahner, âgé de 68 ans. Dix ans à peine s’étaient écoulés depuis l’ouverture de Vatican II et sept depuis sa clôture, et non seulement saint Thomas d’Aquin, le Docteur commun des théologiens, avait déjà été oublié, mais même le jésuite de Lubac, âgé de soixante-seize ans, était passé de mode.

Tout cela parce qu’on était pressé, très pressé. Les innovateurs attendaient ces changements depuis quelque deux cents ans et ne pouvaient plus attendre pour procéder à ces « réformes » que la Compagnie de Jésus avait embrassées depuis le début du XXe siècle et qu’elle pouvait enfin appliquer à l’ensemble de l’Église.

C’est le basque Pedro Arrupe, prévôt général de 1965 à 1981 – mais aussi grand mentor de Jorge Mario Bergoglio – qui a été le diffuseur le plus efficace de « l’esprit de Vatican II ». Voilà pourquoi seul un pape jésuite pouvait mener à bien les réformes révolutionnaires au nom de l' »esprit de Vatican II ».

François est le premier pape à ne pas avoir participé à Vatican II, mais il est le premier à avoir fait l’expérience de l’Église qui en est issue. Il ne s’intéresse pas à son herméneutique, car son intention est de débloquer le ralentissement de ces processus d’ouverture et de changement qui ont eu lieu pendant les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

« Vous êtes pour moi le pape dont je rêvais après le concile Vatican II », a dit un confrère portugais au pape [rencontre avec les jésuites portugais au terme des récentes JMJ le 5 août 2023, ndt]. Tout comme saint Pie V a été le grand réalisateur du Concile de Trente, François est le grand réalisateur de Vatican II.

Il est important de bien le comprendre, car il faut accepter que ce pontificat n’est pas un accident sur le chemin de la réforme, mais qu’il en est le fruit mûr.

Tout ce que le pape François a dit récemment lors de son voyage à Lisbonne (« inclure » tout le monde sans demander de conversion, une Église aux portes ouvertes, etc.) n’est pas nouveau, car il en a déjà parlé auparavant, mais il est pressé d’achever le changement de l’Église avec le synode sur la synodalité, car les années passent, le temps passe vite, et il veut être sûr que son successeur poursuivra sur cette voie.

Mais à quoi ressemblera cette nouvelle Église synodale et non catholique ?

La Civiltà Cattolica du 17 juin a écrit qu’il est nécessaire de « reconfigurer la Trinité » parce que, dans le passé, on a trop mis l’accent sur le Christ au détriment de l’Esprit Saint.

Et Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica, dans un commentaire sur l’Évangile du 20 août, publié par Il Fatto quotidiano, affirme que Jésus, avec la Cananéenne, a « péché » par rigidité, en restant ferme sur la doctrine, mais qu’il s’est ensuite « converti », en réalisant que les personnes sont plus importantes que la théologie [cf. Le blasphème du père Spadaro (et l’aval implicite du Pape)].

À ses frères portugais, le pape a répété : étant donné que peu de gens peuvent vivre le Décalogue, la loi divine, dans sa plénitude, l’Église doit en prendre note et inclure ceux qui vivent selon leurs possibilités, sans les accuser d’être des pécheurs. Comme le Jésus humanisé de Spadaro & Co.

Ndt

[1] François a évoqué cette messe et rendu un « vibrant hommage »… pour le moins surprenant au théologien controversé le 2 septembre à Oulan Bator lors de son voyage en Mongolie:

(…) En remerciant les fidèles et les autorités religieuses et publiques pour l’accueil qu’il a reçu en Mongolie, le pape a noté que le mot «messe», «eucharistie», signifie «action de grâce», expliquant alors : «la célébrer sur cette terre m’a rappelé la prière du père jésuite Pierre Teilhard de Chardin, adressée à Dieu il y a exactement 100 ans, dans le désert d’Ordos, non loin d’ici.»

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De fait, en 1923, le jésuite français qui venait de soutenir un doctorat en sciences naturelles accomplit une mission en Mongolie-Intérieure, c’est-à-dire dans la province mongole appartenant toujours à la Chine au nord de ce pays, pour le compte du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Il s’était notamment rendu dans le désert d’Ordos sur des gisements de fossiles où il découvrit des fossiles importants d’époque paléolithiques. C’est aussi lors de cette expérience que ce scientifique et théologien, acheva la composition de sa fameuse « messe sur le monde », texte de méditation, majeur et controversé, qui célébrait la nature et la création. Document dont il avait commencé la rédaction dans les tranchées de la première guerre mondiale où il était engagé comme brancardier.

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Dimanche, François a cité explicitement son confrère jésuite : «Il dit ainsi : ‘Je me prosterne, ô Seigneur, devant votre Présence dans l’Univers devenu ardent et, sous les traits de tout ce que je rencontrerai, et de tout ce qui m’arrivera, et de tout ce que je réaliserai en ce jour, je vous désire et je vous attends».

Et d’expliquer : «Le Père Teilhard était engagé dans des recherches géologiques. Il désirait ardemment célébrer la Messe, mais il n’avait ni pain ni vin avec lui. C’est alors qu’il composa sa “Messe sur le monde”, exprimant ainsi son offrande : “Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par votre attrait, vous présente à l’aube nouvelle.” Une prière similaire était déjà née en lui alors qu’il se trouvait au front pendant la Première Guerre mondiale, où il travaillait comme brancardier. »

Le pape revenant sur la polémique soulevée par ce texte à l’époque l’a justifié : «Ce prêtre, souvent incompris, avait l’intuition que “l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde” et qu’elle est “le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables” (Enc. Laudato si’, n. 236), même à notre époque de tensions et de guerres.»

Le pape a alors conclu : «Prions donc aujourd’hui avec les paroles du père Teilhard : “Verbe étincelant, Puissance ardente, Vous qui pétrissez le Multiple pour lui insuffler votre vie, abaissez, je vous prie, sur nous, vos mains puissantes, vos mains prévenantes, vos mains omniprésentes” ».

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JM Guénois, 3/9/2023, extrait.
www.lefigaro.fr]
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