Marcello Veneziani commente la visite du Pape au Sénat italien, pour honorer la dépouille mortelle de Giorgio Napolitano. Et d’autres faits analogues, qui vont tous dans le même sens. Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’une affaire interne italienne (et même pas de soupçon d’appartenance maçonnique, comme on l’a dit à juste titre), mais d’un fait très significatif, et inquiétant, sur la désacralisation de la papauté opérée par Jorge Mario Bergoglio. Marcello Veneziani a une proposition qui résonne un peu comme une provocation… mais finalement, pas tant que ça.

(*) Contrairement au français, l’italien fait la distinction entre « fare » et « esssere ». Un distinction cruciale, quand il s’est agi par exemple de la renonciation de Benoît XVI (distinction munus/ministerium)

Vous avez fait beaucoup d’innovations, brisé beaucoup de rites, de liturgies et de traditions, pourquoi n’introduisez-vous pas un nouveau changement dans vos vêtements ?

(…) Quand vous êtes un petit homme ordinaire, et non le pape, habillez-vous comme un petit homme ordinaire.

Votre Sainteté, quand vous ne faites pas le pape, portez des vêtements civils

Marcello Veneziani
30 septembre 2023

Egregio Pape,

[ndt: egregio, formule de politesse en italien, qu’on pourrait aussi traduire par « insigne » et qui étymologiquement vient du latin ex-gregis, littéralement « hors du troupeau ». Voir plus bas]

cette lettre avec un appel sincère veut faire entendre la souffrance de nombreux fidèles qui ont été attristés lundi dernier, et ne peuvent toujours pas s’en remettre, par votre visite au corps de Giorgio Napolitano en tant que pape laïc, si ce n’est en tant que citoyen Bergoglio.

L’absence de signe de croix devant un défunt, un pape qui, pour respecter les souhaits d’un athée, ne respecte pas la foi dont il est le Saint-Père, ont découragé ces fidèles.

Il ne s’agissait pas d’imposer des funérailles religieuses, de forcer la volonté d’un mourant, d’insinuer des éléments de foi et de rituel dans une cérémonie strictement laïque et non catholique, comme celle du cimetière où Napolitano a été enterré. Il s’agissait plus simplement de saluer un défunt comme le salue un prêtre, un homme de foi, un pape.

Le signe de croix vous concernait, vous, l’Église que vous représentez, le peuple de vos fidèles, votre Foi, devant n’importe quel dépouille, sans égratigner les convictions du défunt et de sa famille. Au fond, votre adieu était un parmi tant d’autres qui l’ont fait de manière laïque; il n’y aurait rien eu d’illicite à un salut isolé et extrême à l’homme, à la figure institutionnelle, allant même jusqu’à recommander son âme à Dieu, comme le ferait n’importe quel prêtre, malgré la profession d’athéisme du défunt.

C’était affligeant, je le dis sans polémique, affligeant dans le sens où cela générait un sentiment d’affliction, ce silence muet, inexpressif, impuissant devant le corps.

Un pape ne peut pas relativiser et privatiser sa foi, c’est-à-dire s’adapter à qui il a devant lui, et la désactiver selon les circonstances, mettre sa foi en mode avion et en cacher les traces : on est toujours prêtres et pères (semel abbas semper abbas, disaient les anciens).

Et le plus grave, egregio Pape Bergoglio – je dis egregio parce qu’un berger est ex-gregis et conduit son troupeau -, c’est que cet acte au Palazzo Madama [Sénat] n’est pas le seul. J’en ai vu d’autres, bien que moins importants.

Vi racconto il mio incontro con il Papa e la poesia che gli ho dedicato» -  Famiglia Cristiana
J’ai vu la photo, mais je ne la retrouve pas. Je n’ai trouvé que celle-là

Pour n’en citer que quelques-uns récemment, il n’était pas bien beau de voir le comédien Lino Banfi se faire photographier bras dessus, bras dessous avec le pape ; il ne l’aurait pas fait avec Mattarella, on ne le lui aurait pas permis; par contre, il le fait avec le pape. Je ne me souviens pas d’avoir vu des chefs d’État ou des personnalités éminentes poser bras dessus bras dessous avec le pape.

L’image de vous faisant antichambre chez Macron, comme n’importe quel client ou patient dans la salle d’attente d’un dentiste ou d’une société de crédit immobilier, est décourageante et même un peu humiliante [cf. Le Pape à Marseille et la muflerie de Macron]

Quand je vous vois dans ces situations, ou quand j’entends certaines de vos interventions comme un président d’une ONG, de la CGIL-Preti [CGT-prêtres] ou en pape non-catholique, quand j’écoute certaines de vos péroraisons en tant que militant des batailles vertes ou en tant que partisan des débarquements, comme si les passeurs étaient des missionnaires du Seigneur, une idée surgit que je vous propose en toute humilité, sans ironie, même s’il y a un léger sens du paradoxe.

Je m’explique.

Quand le pape ne fait pas le Saint-Père, quand il ne parle pas ex cathedra Petri, quand il n’agit pas en tant que vicaire du Christ et pont entre l’homme et Dieu (pontifex), mais qu’il se rend en tant que simple citoyen à un enterrement, sans faire le signe de croix, ou quand il se fait photographier en tant que simple citoyen bras dessus bras dessous avec un humoriste, un footballeur, ou peut-être même quand il prend un numéro et fait la queue ou pousse un caddie dans un supermarché, pourquoi ne porte-t-il pas des vêtements plus adaptés à l’occasion ?

Vous avez fait beaucoup d’innovations, brisé beaucoup de rites, de liturgies et de traditions, pourquoi n’introduisez-vous pas un nouveau changement dans vos vêtements ?

Quand vous récitez la messe, prêchez en chaire, donnez bénédictions et sacrements, quand vous êtes pleinement dans votre fonction de Saint-Père, alors portez votre soutane papale, et les parements sacrés.

En revanche, quand vous assumez ces rôles séculiers, privés, d’homme libre, pourquoi n’enlevez-vous pas votre soutane et ne mettez-vous pas des vêtements ordinaires, veste et pantalon ou bleu de travail, si vous préférez? Ne serait-il pas plus cohérent, plus approprié de distinguer les domaines en distinguant les vêtements ?

Il est vrai que l’habit ne fait pas le moine, mais quand vous vous abstenez du rôle de prêtre et de Saint-Père, comme vous l’avez fait en vous rendant au Sénat pour rendre hommage en tant que citoyen au corps de Napolitano, quand vous ne comptez pas prier ou faire le signe de croix, ne serait-il pas plus approprié de vous habiller en conséquence ? Ainsi, même les croyants ne seraient pas désorientés, ils se rendraient compte qu’à ce moment-là, le pape n’est pas en service et qu’il n’a donc pas à rendre compte de son comportement. Il n’est que le citoyen Bergoglio, sans l’habit curial.

Ce serait un repli, j’en conviens, un compromis, mais au moins cela sauverait le sacré et le profane, en distinguant leurs sphères, leurs temps et leurs modes ; cela protégerait d’une part votre figure de pontife, de fils, de père et de plus haut représentant de la tradition catholique, et d’autre part votre conscience de citoyen contemporain, dans certains cas momentanément non-catholique.

À certains moments, dans certaines de vos prières, dans certains de vos appels sincères, je vous ai senti à la fois Père et Pape ; et au nom de ceux-ci et du respect qui est dû à un Pontife et à ce qu’il représente, je vous demande de ne pas confondre les deux niveaux, mais de les garder bien séparés.

Croyez-moi, je ne suis pas ironique, encore moins moqueur à l’égard de votre figure, ma démarche est une tentative de bonne foi, même naïve et extrême, de rechercher un compromis acceptable entre ce que vous estimez faire et dire et ce que votre apostolat vous impose de faire. Disons une médiation entre la liberté civique et individuelle et la tradition religieuse et liturgique ; pour distinguer quand on est un enfant de son temps et quand on reste un enfant de la Sainte Mère l’Église.

Quand vous êtes un petit homme ordinaire, et non le pape, habillez-vous comme un petit homme ordinaire.

Marcello Veneziani
La Verità – 29 septembre 2023

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