Un livre sort ces jours-ci en Italie, avec une postface d’AP Valli. Il s’intitule « Coup d’État dans l’Église. Documents et chroniques de la subversion : des premières machinations à la papauté de transition, du Groupe Rhénan à nos jours » (Golpe nella Chiesa. Documenti e cronache sulla sovversione : dalle prime macchinazioni al papato di transizione, dal Gruppo del Reno fino al presente).

Comme je le répète dans ces circonstances, le livre a peu de chance d’être traduit en français, mais cela ne nous empêche pas de tirer profit d’un article qui lui est consacré. D’autant plus qu’AM Valli met à notre disposition sur son blog des extraits de sa postface. Il ne dit rien que nous n’ayons lu à d’autres endroits de ce blog (voir par exemple Nouvelle Eglise: ceci n’est pas une crise, c’est une révolution), mais je vais suivre ici le conseil de Boileau – « Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » – car le sujet est d’une immense importance pour comprendre la Révolution inouïe que nous vivons dans l’Eglise, qui s’est accélérée à une vitesse exponentielle depuis l’avènement à la papauté de Jorge Bergoglio.

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Le plan incliné de la subversion, véritable coup d’État perpétré dans l’Église, est expliqué en détail [dans le livre], avec un important appareil de notes. De la jubilation maçonnique pour les étapes de la révolution à l’encadrement des idées hétérodoxes, des documents démasquant l’imposture à l’analyse de ses fruits vénéneux, le livre offre un examen clair, incontestable et parfois étonnant de ce qui se trame depuis longtemps au cœur de la chrétienté. Ce livre laisse sans voix par la précision de son développement logique et l’inéluctabilité de ses conclusions.

Je vous propose ici des extraits de ma postface.

Aldo Maria Valli


Dans notre ville, la messe apostolique n’est pas célébrée. Quand il nous arrive, à ma femme et à moi, de ne pas pouvoir assister à la messe Vetus Ordo (qui nous oblige à prendre la voiture), nous nous rabattons sur la messe Novus ordo, célébrée dans l’église située non loin de chez nous.

Je ne vais pas énumérer tout ce qui, dans la messe réformée, nous dérange et nous attriste, ni les absurdités que nous entendons de la part de prêtres catholiques qui n’en ont plus que le nom. J’en ai parlé à maintes reprises et le lecteur de ces pages n’a certainement pas besoin d’y revenir. Tout ce que je dis, c’est que chaque fois que nous sortons de l’église, nous nous posons la même question : comment a-t-il été possible de nous réduire à cela? Comment notre sainte mère l’Église catholique s’est-elle transformée en cette chose dont on ne sait plus ce qu’elle est, un peu copie laide du protestantisme, un peu ONG humanitaire, un peu lieu de célébrations sirupeuses, un peu colporteur de fausses miséricordes ?

La façon dont tout cela s’est passé est bien expliquée dans les précieuses pages du livre. Il y a les noms et les prénoms. Il y a les dates et les circonstances. Il y a les responsabilités. Et il y a aussi les noms de ceux qui s’y sont courageusement opposés. C’est une histoire qui, à la lumière de la situation actuelle, est d’une tristesse infinie, mais il faut la connaître. Aussi pour éviter certains dérapages.

Jorge Mario Bergoglio porte une énorme responsabilité, et son pontificat restera dans l’histoire comme l’un des plus funestes. Je dirai dans un instant en quoi ce pontificat est unique. Mais il faut d’abord rappeler que le pape argentin n’est pas le seul architecte de la débâcle. Il est plutôt le dernier (pour l’instant) maillon d’une longue chaîne. Lui attribuer toute la responsabilité, éventuellement en prétendant qu’il n’est pas pape [!??], c’est ne pas reconnaître la réalité pour ce qu’elle est et se réfugier dans le fantasme. François a certes donné le ton, mais la direction à suivre a été fixée bien avant lui.

J’ai moi-même ouvert les yeux assez récemment. Le tournant décisif s’est produit en 2016, après la lecture d‘Amoris laetitia. Une lecture que j’ai dû reprendre car le modernisme sait se déguiser et le texte ne m’a donc procuré au premier abord qu’un vague sentiment de malaise. C’est à la deuxième lecture que le fait m’a sauté aux yeux : le pape disait en substance que Dieu a le devoir de nous pardonner et que nous avons le droit d’être pardonnés.

Pour moi, ce fut une période un peu compliquée. Je travaillais toujours à TG1, je parlais du pape presque tous les jours à des millions de téléspectateurs, et je le faisais, comme toujours, en tant que journaliste, sans laisser transparaître mes pensées. Mais le cœur et l’âme étaient en ébullition. Le pape justifiait le péché et proposait une idée déformée de la miséricorde divine. Dans mon blog Duc in altum, j’ai extériorisé ce que je pensais : j’ai écrit que le pape François est un relativiste. Et mes réflexions ne sont pas passées inaperçues.

[…]

Quand, par exemple dans Amoris laetitia, émerge la tendance à mettre au centre non pas Dieu et sa Vérité objective, mais l’homme avec ses besoins et les conditionnements auxquels il est soumis, on n’aide pas l’homme à être plus libre : on l’illusionne pour qu’il le soit.

Quand on explique que l’important n’est pas tant le contenu de la norme que la manière dont une situation donnée est vécue, en conscience, par l’individu, on risque de laisser le champ libre à la diffusion du subjectivisme et du relativisme. Nous n’avons plus l’homme à l’écoute de Dieu, parce qu’il a conscience que Dieu est Vérité et que cette Vérité est objectivement bonne. Nous avons un Dieu adapté à la subjectivité humaine. Nous n’avons plus les droits de Dieu et les devoirs de l’homme, mais les droits de l’homme et les devoirs de Dieu.

Alors, dira-t-on, où est le problème ? Le problème, répondrai-je, c’est qu’il s’agit là d’un bouleversement de notre foi catholique. Et ce n’est pas la voie de la libération, mais la voie de l’esclavage : parce que sur cette voie, l’homme devient désespérément esclave de lui-même.

Le drame de la modernité réside dans ce renversement. Et le drame de l’Église est d’avoir fait sien ce renversement en acceptant les thèses modernistes. L’homme comme Dieu. Et même, l’idole de soi-même. Ce qui est le moyen sûr de se condamner à l’esclavage et donc au malheur. Quand il n’y a plus de liberté de suivre le vrai bien, mais seulement la liberté d’interpréter les circonstances selon ses propres besoins, et ce qui est bon selon une appréciation subjective, il n’y a tout simplement plus de liberté. Et s’il n’y a pas de liberté, il y a esclavage. Et s’il y a esclavage, il n’y a pas de bonheur.

Il est étonnant que les hommes de Dieu aient tendance à considérer la loi divine, dans son objectivité et sa clarté, comme un obstacle sur le chemin qui mène à Dieu, alors qu’au contraire la loi objective et claire est le seul instrument qui permette un choix responsable et donc une authentique liberté. C’est pourtant ce qui se passe sous nos yeux.

[…]

La culpabilité et la punition, objectera-t-on, sont des catégories trop tranchées. Loin d’être législateur et juge, Dieu peut tout au plus être un ami qui accompagne. D’où la fin des absolus. D’où le justificationnisme, qui se nourrit de concepts vagues et indéterminés. On ne sait plus quel est l’espace de responsabilité, et à la place d’un Dieu miséricordieux qui pardonne à ceux qui se convertissent, on place un Dieu compréhensif qui justifie toujours.

[…]

Aujourd’hui, je me pose la question: en tant que baptisé dans l’Église catholique, de quel Dieu suis-je appelé à être le témoin ? D’un Dieu génériquement compréhensif ou d’un Dieu authentiquement miséricordieux ? D’un Dieu qui efface la culpabilité de l’homme ou d’un Dieu qui l’assume en Jésus, son médiateur et mon rédempteur ? D’un Dieu qui m’offre une consolation superficielle ou d’un Dieu qui me délivre du péché ? D’un Dieu qui par amour s’est fait homme ou d’un homme qui par présomption veut se faire Dieu ?

[…]

Nous devons être patients, ne pas nous fatiguer de conserver notre position. Si le Seigneur nous envoie cette épreuve, c’est pour notre plus grand bien. C’est pourquoi, paradoxalement mais pas tant que cela, je rends grâce au pape argentin. Avec lui, tous les nœuds se sont dissous, toutes les contradictions se sont manifestées. Maintenant, le tableau est clair et nous avons la possibilité de choisir notre camp.

Depuis que je dis et écris que la pensée et même le magistère non catholiques se sont glissés dans l’Église catholique, je suis soudain devenu un traditionaliste pour certains. Il y a des amis qui, en jouant des coudes, me regardent avec tristesse et disent : « Le pauvre homme. C’était quelqu’un de bien, et maintenant il est traditionaliste ». Comme si j’avais attrapé une mauvaise maladie.

L’étiquette « traditionaliste » ne me dérange pas. Mais je serais plus heureux si on me disait que je suis traditionnel. Aussi parce que je pense qu’on ne peut pas être catholique sans être traditionnel. Tradition vient du beau verbe latin tradere, livrer, transmettre. Et quand on reçoit un cadeau aussi immensément beau que la foi, on ne peut s’empêcher de vouloir le transmettre. Si possible intact. Peut-être y parviendra-t-on, peut-être pas, mais on ne peut pas y renoncer.

Le désir d’étiqueter va généralement de pair avec l’incapacité d’argumenter. Les étiquettes sont pratiques, car elles évitent l’effort de penser. Mais c’est précisément le moment de revenir à la réflexion, car la crise de la foi et celle de la raison vont de pair et s’influencent mutuellement.

Comme « l’Église sortante », « les signes des temps » est aussi une expression qui sonne bien. Les chantres du Concile Vatican II en ont d’ailleurs fait leur étendard. Mais nous avons vu où l’exigence de saisir les signes des temps nous a conduits : l’Église à la remorque du monde, comme si le monde avait quelque chose à apprendre à l’Église et non l’inverse. Le moment est venu de cueillir à nouveau les signes de Dieu.

(…)

J’ai dit que François n’était que le dernier maillon d’une chaîne, ce qui est vrai. Mais c’est un maillon qui a ses propres caractéristiques, et nous devons en être conscients. Quand je parle de la crise actuelle de l’Église et dans l’Église, certains amis tentent de me consoler en affirmant qu’il y a eu de nombreuses crises dans le passé et que l’Église s’en est toujours sortie. C’est indéniable. Mais la crise actuelle est unique. Il n’y a pas de précédent car il ne s’agit pas d’une crise de plus. Il s’agit de l’assaut final. Nous avons affaire à un pape qui, sous l’impulsion des puissances qui l’ont soutenu, a mis en œuvre, dès le début de son mandat, un plan délibéré de déstabilisation et de renversement. Ce n’est donc pas une crise, mais une révolution. Un nouveau chapitre révélateur de la guerre moderniste contre l’Église catholique.

Disons-le encore plus clairement : avec le pontificat de Bergoglio, nous voyons à l’œuvre la tentative de donner naissance à une nouvelle religion pour remplacer le catholicisme.

Dans cette perspective révolutionnaire, il existe un instrument qui joue un rôle particulier : le synode. L’idéologie démocratique, présentée comme une forme de miséricorde, est au service du relativisme. Une fois le principe démocratique adopté, il n’est plus possible de proclamer une vérité absolue.

Comme il ne parvient presque jamais à de véritables conclusions sur les questions individuelles, le synode peut sembler en fin de compte un outil inoffensif, une arme émoussée. Il n’en est rien. Le synode est à la fois méthode et contenu.

Nikolaï Berdjaev (1874 – 1948), grand philosophe et écrivain russe, dissident anticommuniste persécuté par les bolcheviks, a écrit :

« Cette tentative de juxtaposer le christianisme et la démocratie est le grand mensonge de notre époque, une substitution répugnante. Le christianisme est hiérarchique. La révélation chrétienne de la valeur infinie de l’âme humaine, de la valeur identique de toutes les âmes humaines devant Dieu, n’est pas une révélation démocratique, ce n’est pas l’égalité démocratique. La fraternité chrétienne n’est pas l’égalité démocratique. Dans le christianisme, tout est qualitatif, tout est irrémédiablement individuel, tout est unique, tout est lié à la personne et donc hiérarchique« .

Ce n’est pas un hasard si, face au coup d’État actuel dans l’Église, il est nécessaire de récupérer la pensée contre-révolutionnaire. Face à une subversion, à un renversement, il faut se gaver d’anticorps.

Même la sortie de Laudate Deum est un élément du projet révolutionnaire. L’écologisme est le nouveau contenu de la nouvelle religion. Dans ce genre de documents, malgré le titre, Dieu disparaît et Jésus n’est même plus un corollaire. Et les idiots utiles peuvent-ils manquer ? Evidemment non. En fait, des cérémonies de plantation d’arbres sont organisées dans les diocèses, tandis que la croix et le crucifix sont remisés aux combles.

Pendant ce temps, tous les représentants du mondialisme sont reçus et vénérés au Vatican. Un pèlerinage qui nous donne également une idée visuelle de la manière dont la révolution est en train de se dérouler. L’Église et la foi sont démantelées pièce par pièce. À leur place, le processus d’assemblage d’une autre Église, d’une autre foi.

[…]

Il y a seulement quelques années, tout ce que nous voyons aurait pu être une dystopie. Dans ma satire « fantareligieuse » Come la Chiesa finì (publié pour la première fois en 2017) [cf. Benoit-et-moi|Comment l’Eglise a fini, 28/12/2017], j’imaginais une séquence d’étapes assez serrée impliquant plusieurs papes. En réalité, tout s’est passé encore plus vite. Et avec des aspects grotesques, si l’on pense par exemple à la promotion d’un certain Tucho Fernández à la tête de ce qui était autrefois le Saint-Office.

À ce niveau, l’impératif est de garder la semence et de la maintenir en vie. C’est le Seigneur, poussé par nos prières, qui nous montrera le chemin. En attendant, nous réagissons au coup par coup.

  • Vous parle-t-on de l’importance de s’écouter et de débattre ? Répondez que l’important est de cultiver la vie spirituelle à l’écoute de Dieu.
  • Vous dit-on que l’important n’est pas de juger mais d’accompagner ? Répondez qu’il faut préciser la finalité, sinon on se met au service des passions humaines.
  • Vous dit-on que la méthode d’écoute mutuelle est conforme à la justice ? Répondez que si l’homme n’écoute pas Dieu, il tombe fatalement dans l’injustice.
  • Veut-on vous convaincre que l’heure n’est plus aux hiérarchies et qu’il faut se tourner vers le peuple ? Répondez que c’est la voie de la déification de l’homme et que le troupeau sans berger va à la catastrophe.
  • Vous dit-on qu’en matière de morale, il ne faut pas être rigide et qu’il faut tenir compte des circonstances atténuantes ? Répondez que lorsque l’Église condamne, ce n’est pas pour écraser, mais parce qu’elle reconnaît la valeur unique de l’âme et qu’elle a à cœur son destin éternel.
  • Vous pousse-t-on à penser en termes collectifs ? Efforcez-vous de penser et de juger en termes personnels.
  • Vous dit-on que la justice et la vérité sont gardées par le peuple ? Répondez que la justice et la vérité viennent de Dieu et n’ont rien à voir avec des critères quantitatifs.

Et si vous avez encore l’espoir de gérer le changement sous la bannière de la fumeuse herméneutique de la continuité, rappelez-vous ce que le grand contre-révolutionnaire Joseph Marie de Maistre (1753 – 1821) affirmait : « Ce ne sont pas les hommes qui mènent la révolution, c’est la révolution qui mène les hommes ».

Certains diront peut-être que j’exagère et que parler de révolution, dans le cas du pontificat de François, est disproportionné.

Je m’en remets à François lui-même qui, dans Ad theologiam promovendam, une lettre apostolique sous forme de motu proprio approuvant les nouveaux statuts de l’Académie pontificale de théologie, écrit textuellement:

« La réflexion théologique est donc appelée à un tournant, à un changement de paradigme, à une courageuse révolution culturelle« .

Et le même concept a été utilisé dans Laudato si’, l’encyclique « sur le soin de la maison commune ».

Il faut admettre que le mot révolution sur les lèvres et dans les écrits d’un pape peut paraître surprenant, pour ne pas dire invraisemblable. Pourtant, François l’a fait sien, révélant ainsi son objectif.

La conséquence en est évidente. Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, si nous voulons être catholiques aujourd’hui, nous devons être contre-révolutionnaires. Cette affirmation peut sembler un peu comme un slogan, mais ce qui m’intéresse, c’est le concept. Être contre-révolutionnaire, c’est lutter, chacun dans son domaine et selon son rôle, pour rétablir l’ordre violé.

Je crois que cette perspective doit être approfondie, y compris par l’étude des mouvements antirévolutionnaires qui ont émergé au cours de l’histoire.

Comme l’a fait remarquer un grand contre-révolutionnaire comme Juan Donoso Cortés (1909-1853), dans cette bataille, nous devons savoir que chaque parole prononcée est inspirée soit par Dieu, soit par le monde et proclame la gloire de l’un ou de l’autre. Il s’agit de choisir son camp et le langage à adopter. Il n’est pas possible de s’abstenir ou de tenter une médiation. C’est une guerre dans laquelle nous sommes tous impliqués : tous enrôlés pour rétablir l’ordre.

Alors, si l’on vous traite d’ « indietriste », prenez-le comme un compliment. Et combattez avec encore plus de courage.

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AM Valli

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