Luis Badilla retrace l’histoire de l’inimitié (c’est évidemment une façon polie de parler) entre le Pape et le cardinal Burke, qui vient de s’achever (provisoirement) par une punition sans précédent, au moins dans les temps récents.
Le Pape sait très bien s’y prendre quand il veut châtier un récalcitrant (Gänswein, Burke, Strickland), ménager un opposant qui a des cartouches (Becciu) ou récompenser un courtisan (Tucho), et son outil favori est … l’appartement (on comprend pourquoi la peur règne dans les palais sacrés, qui oserait prendre le risque de se retrouver à la porte du jour au lendemain?). Ce que Luis Badilla appelle « l’obsession immobilière de François ». Prudent dans la critique, malgré tout (et on le comprend…), il met sur le même plan le pape et le cardinal, alors que leurs rôles respectifs ne peuvent pas se comparer. Il n’en dit pas moins sa réprobation:

Les parties – pape et cardinal – ont-elles la moindre conscience du moment délicat que vit l’Église dans le monde ? Cette conduite est-elle une manière d’évangéliser, de répandre le bien, de témoigner de la miséricorde et de la correction fraternelle ?

L’obsession immobilière de François

Luis Badilla
ilsismografo.blogspot.com

La nouvelle de la sanction du pape à l’encontre du cardinal américain Raymond Leo Burke a été confirmée par le pontife lui-même dans une brève note adressée le 28 novembre à son biographe Austen Ivereigh.

Désireux de corriger certains articles de presse, François a écrit :

« J’ai simplement annoncé le fait lors de la réunion des chefs de dicastère [le 21 novembre] sans donner d’explications spécifiques ».

Le Saint-Père nie également avoir utilisé l’expression « mon ennemi » en référence au cardinal. D’autre part, il ne semble pas que François ait dit que Burke était un ecclésiastique « clivant » [/qui sème la division], comme l’a rapporté la presse.

À ce stade, ce qui a été dit est en substance véridique et il n’y a pas grand-chose à démentir : le souverain pontife va retirer au cardinal Raymond Leo Burke, qui a fêté ses 75 ans en juin dernier, son appartement de fonction dans la Via Rusticucci à Rome et son salaire, qui est d’ailleurs une pension de retraite.

Une aversion réciproque

Les relations entre Burke et Bergoglio ont toujours été tendues. Les raisons de cette aversion réciproque sont inconnues. Certains observateurs font remonter cette aversion à une époque lointaine. Raymond Burke est cardinal depuis 2010 et Jorge Mario Bergoglio depuis 2001, ils se sont donc rencontrés à plusieurs reprises.

Le pape, personnalité forte et susceptible, a contre-attaqué Burke à plusieurs reprises, au point de l’accuser d’être no-vax (ce qui est faux) [selon Badilla, ce sont les propos prêtés au pape qui sont faux, et pas le fait que Burke est no-vax] et d’avoir souri sarcastiquement quand le cardinal a été terrassé par Covid19 :

« Même dans le Collège des cardinaux, il y a des ‘négationnistes’ et l’un d’eux, le pauvre, est hospitalisé avec le virus. Mah, ironie de la vie… » a déclaré un pape, impitoyable, lors d’une conférence de presse à son retour d’un voyage en Hongrie. (15 septembre 2021)


Icônes médiatiques : le progressiste réformateur contre l’indietriste conservateur

Il est donc notoire qu’il y a toujours eu une inimitié totale et incontrôlée entre les deux, et pas seulement pour des raisons doctrinales ou pastorales, comme nous l’avons vu ces dernières années sur divers sujets. Il s’agit également d’un différend de nature personnelle, d’un rejet mutuel.

Il n’en fallait pas plus pour faire de l’un et de l’autre des icônes opposées : celle d’un pape progressiste et réformateur, et celle d’un prêtre américain conservateur, « indietriste », rigide et préconciliaire (le cardinal Burke).

Le pape Bergoglio sait qu’il a de nombreux ennemis et, à cet égard, il ne se laisse pas faire. Il répond coup par coup. C’est son style et sa méthode, depuis qu’il est jeune séminariste. La plupart des problèmes du pape Bergoglio au sein de la Compagnie de Jésus découlent de plusieurs controverses de ce type. Avec un style différent et des manières plus feutrées, le cardinal Burke répond sans rien épargner, ce qu’il faisait déjà lorsqu’il était évêque de Saint Louis (Missouri-USA).

Il est désormais confirmé, selon les termes mêmes du Pontife, que le Saint-Père a décidé de retirer au cardinal Raymond Leo Burke à la fois son salaire et sa pension mensuels (5-6 000 euros au total, avec les avantages sociaux) et l’appartement du Vatican dans lequel il réside en tant qu’ancien cardinal collaborateur du Pontife, un « privilège » dont jouissent de nombreux autres cardinaux au sujet desquels le Pontife n’a pas annoncé de mesures similaires.

Pour la énième fois en plus de dix ans, nous en revenons à l’opposition entre le pape et Burke ou entre Burke et Bergoglio. Pourquoi ce conflit éclate-t-il après tant d’années ? Qu’y a-t-il de nouveau ?
Les parties – pape et cardinal – ont-elles la moindre conscience du moment délicat que vit l’Église dans le monde ? Cette conduite est-elle une manière d’évangéliser, de répandre le bien, de témoigner de la miséricorde et de la correction fraternelle ?

Le patrimoine du Vatican

Depuis le début de son pontificat, et en particulier depuis que François a découvert le patrimoine immobilier du Saint-Siège au Vatican, en Italie et à l’étranger, il a consacré beaucoup d’attention à cette question, notamment parce qu’il estimait que ce patrimoine avait été une gigantesque source de corruption pendant des décennies. Dans ce domaine, le Saint-Père a introduit plusieurs nouvelles lois et règles.

L’attribution de logements au sein du Vatican est devenu une obsession pour le Pape, et dans de nombreux cas de licenciement ou de cessation de service, il s’est occupé toujours personnellement de faire parvenir aux désormais ex-employés – dont certains très importants – l’injonction adéquate pour qu’ils libèrent rapidement le logement.

Le cas le plus connu, parce qu’il a été rendu public, est celui de Mgr Georg Gänswein.

La « gourmandise » immobilière du pontife

« L’appartement » est l’un des éléments qui entrent dans les discussions sur les grandes nominations, un privilège que le pape sait très bien manipuler.

Le dernier cas en date est celui du préfet du dicastère pour la doctrine de la foi, le cardinal Manuel Fernández, qui a plus d’une fois parlé de son appartement dans les murs du Vatican comme d’un « cadeau » extraordinaire. Dans une note publiée sur Facebook après sa nomination, le préfet Fernández a écrit quelque chose de surprenant [cf. The Wanderer, www.benoit-et-moi.fr/]:

« Ces jours-ci, à Rome, le pape lui-même a pris soin de me chercher un lieu de vie à l’intérieur du Vatican, avec des plantes et une vue sur la verdure, parce qu’il sait que je viens de la campagne et que j’ai besoin de cela. Regardez sa délicatesse. C’est pour cela que c’est un plaisir de travailler près de lui et de l’accompagner de plus près ».

Le cardinal Becciu

Il convient de rappeler que le 23 septembre 2020, lorsque le pape a demandé au cardinal Angelo Becciu de présenter sa démission, il lui a dit – pour transmettre un geste miséricordieux de sa part – que la suspension des droits et des prérogatives n’incluait pas le logement et qu’il pouvait donc continuer à vivre dans le palais de l’ancien Saint-Office, où, au cours de ces trois années de procès, le pape s’est rendu avec une certaine fréquence inhabituelle pour rencontrer le cardinal qui connaîtra son sort dans deux ou trois semaines avec la sentence du procès douteux ; un procès voulu par le pape François lui-même qui, a-t-il dit, a personnellement signé la plainte contre le cardinal.

Share This