Le blogueur argentin épluche l’interview donnée (dans sa langue maternelle, ce qui n’est pas anodin) à l’hebdomadaire argentin « liberal » Perfil et celle avec Infocatolica, le portail espagnol « conservateur » qu’il étrille pour l’insignifiance des questions posées. Il en émerge selon lui le portrait d’un homme qui témoigne d’ « une pure autoréférence et un besoin constant d’affirmation de soi, reflétant une profonde insécurité et une personnalité immature, qui a constamment besoin de l’approbation des autres pour se maintenir ».

Les premières déclarations du préfet

caminante-wanderer
7 juillet 2023

Grotesque ? Désopilant ? Absurde ?

Ce sont ces mots et d’autres qui me viennent à l’esprit quand je pense à la nomination et à la personne nommée. Je suis rassuré de savoir que cette inquiétude ne concerne pas que moi. Il suffit de lire les articles parus dans la blogosphère mondiale sur le sujet, ainsi que les commentaires et les conversations que j’ai eus avec des amis et des connaissances dans diverses parties du monde. Tous, comme moi, après une phase d’incrédulité et de stupéfaction, sont passés à la colère. Et ce n’est pas étonnant. Cette décision du pape François est l’une des plus graves de son pontificat et tout catholique devrait être choqué par une bévue aussi évidente.

Dans l’article précédent, j’avais dit que l’existence de Mgr Tucho en tant que préfet de la doctrine de la foi serait difficile et peut-être très brève, parce que les dossiers apparaîtraient et qu’il devrait, par nécessité, s’exprimer.

Et l’une ou l’autre de ces deux choses est extrêmement dangereuse pour la pérennité de sa fonction.

Le premier de ces dossiers provenait d’une association américaine chargée de surveiller l’activité des évêques en ce qui concerne les accusations d’abus de mineurs par des religieux.
t dans ce cas, en toute équité, je crois que Mgr Fernandez n’est pas en faute et a agi correctement au-delà de l’issue tragique de l’affaire. La seule observation que l’on pourrait faire est qu’il n’a jamais reçu les victimes. Mais la vérité est qu’il ne reçoit jamais personne, pas même ses prêtres, mais ses contacts se font toujours par téléphone ou à travers les réseaux sociaux. En d’autres termes, il refuse les rencontres en face à face. On peut aimer beaucoup ou pas du tout cette habitude, mais on ne peut pas la lui reprocher.

Le problème, c’est qu’il s’est exprimé. Oui, Tucho Fernández a fait ses premières déclarations en tant que préfet élu. Et je pense que ces déclarations seraient une raison suffisante pour annuler la nomination.

Tout d’abord, sur sa page Facebook, il s’est défendu des « humiliations » qu’il reçoit constamment en raison de son premier livre Sáname con tu boca. L’art du baiser. Il commence par dire que le livre « n’existe plus », ce qui est faux : les livres existent toujours ; éventuellement, ils sont épuisés, mais c’est à cela que sert Internet. Ceux qui veulent le lire peuvent le télécharger gratuitement ICI.

L’archevêque de La Plata explique qu’il s’agit d’un livre de jeunesse :

« À l’époque, j’étais très jeûne (sic), j’étais curé de paroisse et j’essayais d’atteindre les jeunes. C’est alors que j’ai eu l’idée d’écrire une catéchèse pour les adolescents à partir de la signification du baiser ».

Et il souligne qu' »il est important pour un théologien de mettre les mains dans la boue et d’essayer d’utiliser un langage simple qui touche tout le monde ».

Laissons de côté la faute d’orthographe (jeûne avec un accent), qui ne sied pas à une personne cultivée, pour réfléchir à ce qu’il dit : le livre a été conçu et écrit comme une catéchèse pour adolescents, pour laquelle l’auteur n’a pas hésité à mettre les mains dans la boue. Il faut dire que l’intention n’est pas mauvaise ; l’Église a de grands saints qui se sont préoccupés de la santé spirituelle des adolescents. Il suffit de penser à saint Philippe Néri, à saint Joseph Calasanz ou à saint Jean Bosco. Mais ces saints se sont mis dans la boue pour en sortir les jeunes, pas pour leur apprendre à y barboter et à s’y vautrer.

Comment le nouveau Préfet de la Doctrine de la Foi peut-il justifier que ce soit une catéchèse pour les adolescents que de leur apprendre que :

 » Quand ça ne va pas entre vous deux, plutôt que d’essayer de régler ça au lit, vous devriez suivre les chemins qui mènent aux baisers. » ?

Ou encore les instruire sur les postures :

« Il peut aussi s’agir de la position du corps, et à vous deux, vous pourriez trouver la position la plus confortable pour vous deux ».

Et aussi sur les types de baisers :

« Le baiser centripète, c’est quand vous sucez et absorbez avec vos lèvres. Le baiser centrifuge est celui où l’on pénètre avec la langue. Attention aux dents »

En outre, dans une interview accordée à Infovaticana il y a deux jours – dont je parlerai plus tard – il déclare :

« Le thème de ce livre est profondément conservateur. Savez-vous pourquoi? Parce qu’il répondait à la préoccupation de ces jeunes – très bien formés par moi – d’apprendre à expliquer à d’autres jeunes pourquoi il faut éviter les relations sexuelles avant le mariage ».

Et la réponse du P. Tucho pour sauvegarder la chasteté de ces jeunes gens était la suivante :

« Il me semble que lorsque vous commencez à embrasser avec la langue, il est très possible que vous perdiez le contrôle, et que vous vouliez prendre la fille… » .

Nous ne reprochons pas à l’archevêque de La Plata un livre de jeunesse, car tout le monde peut se tromper.

Mais comment est-il possible que cet homme, capable d’écrire de telles obscénités destinées, de son propre aveu, à des adolescents, puisse être nommé à la présidence d’un dicastère ? Grotesque ? scandaleux ? absurde ?

Mais pas d’inquiétude. Tucho nous rassure en disant:

« j’ai aussi des livres de haut niveau, j’ai écrit plusieurs articles dans la revue « Angelicum » ou dans la « Nouvelle Revue Théologique », par exemple, des textes que peut-être peu de gens comprennent ».

Est-il concevable qu’un théologien autoproclamé et un universitaire d’envergure puisse se défendre de la sorte ? Ce n’est pas que ce paragraphe l’enfonce encore plus et atteste de son indigence, mais il dit à tous les fidèles qu’il est capable d’écrire des choses que nous ne comprenons pas. Quelle intelligence ! Et c’est pour cela, pour que les ignorants puissent comprendre, qu’il nous enseigne les pratiques du baiser de succion etc… Grotesque ? hilarant ? absurde ?

Mgr Fernandez a également donné deux interviews cette semaine. L’une à un média laïc – le quotidien Perfil – et l’autre à un média catholique conservateur, Infovaticana.

En lisant les deux textes, dans lesquels l’interviewé « se raconte », s’exprime, parle de lui-même, toute personne ayant des connaissances en psychologie pourrait dresser un profil intéressant. Je souligne ici quelques expressions marquantes :

1) « Je me sens sûr de mes connaissances théologiques […] J’ai été doyen de la faculté de théologie, président de la Société argentine de théologie [une société qui manque de prestige et d’intérêt. Il suffit de consulter son site web pour voir qui sont ses membres : la grande majorité d’entre eux sont des professeurs de catéchisme pour les adolescents et des professeurs de théologie pour les étudiants en droit et en économie des universités catholiques] et président de la Commission épiscopale pour la foi et la culture [tous les évêques, à un moment ou à un autre de leur ministère, président une commission épiscopale] toujours élu par un vote de mes pairs. Ce n’était pas une question d’accommodement ou d’amitié avec Bergoglio [Monseigneur, ne clarifiez pas car cela obscurcit] ».

2) « Mon job est d’annoncer l’Évangile, de prêcher, d’inculquer la spiritualité (savez-vous que la plupart de mes livres parlent de Dieu, de la prière, de Marie, de la messe, de la confession, de la vie éternelle…) ».

3) « Je vous mets au défi de trouver quelqu’un en Amérique latine qui a écrit plus d’articles contre l’avortement que moi ».

4) « Parce que je répondais à la préoccupation de ces jeunes gens – très bien éduqués par moi… ».

5) « Ne vous semble-t-il pas juste qu’à un moment donné de l’histoire, un Latino-Américain qui a été curé dans les périphéries, qui a grandi dans une petite ville de l’intérieur, qui est sensible à la douleur des exclus de la société, dont l’histoire de vie est très différente de celle d’un Européen ou d’un Américain, mais qui a en même temps un doctorat en théologie, occupe ce poste ? (Ce qui me semble bon, c’est qu’un poste aussi délicat soit occupé par une personne préparée, adaptée, intelligente et prudente, indépendamment de son origine géographique ou de sa sensibilité. Ou est-ce que le cardinal Ratzinger n’était pas sensible aux laissés-pour-compte de la société ? Le cardinal Ottaviani, qui a été pendant des décennies préfet du Saint-Office, était le fils d’un boucher et passait ses week-ends à s’occuper des enfants des bidonvilles les plus pauvres de Rome. Ne nous trompez pas, Monseigneur, avec du sentimentalisme).

6) « Il [le pape François] a lui-même essayé de me trouver une petite maison, en me connaissant et en sachant qu’elle avait certaines caractéristiques pour que je puisse y vivre ». (Des sources à l’intérieur des murs sacrés du Vatican me confirment que la « petite maison » a une superficie d’environ 250 mètres carrés, avec une terrasse qui s’ouvre sur les jardins du Vatican, qui sont situés en amont de Santa Marta vers les Jardins. Le cardinal Ratzinger, lorsqu’il occupait le poste qu’occupera Tucho, vivait dans un appartement situé dans un immeuble donnant sur la bruyante Piazza della Città Leonina).

Cette sélection de textes démontre une pure autoréférence et un besoin constant d’affirmation de soi, reflétant une profonde insécurité et une personnalité immature, qui a constamment besoin de l’approbation des autres pour se maintenir. Et ce sera le Préfet de la Doctrine de la Foi. Grotesque ? Hilarant ? Absurde ?

Et je voudrais souligner une curiosité qui apparaît à la lecture des deux interviews. Dans celle parue dans Perfil, un média progressiste, Mgr Fernández dit avec un mépris évident : « Le Saint-Office, qui a persécuté les soi-disant hérétiques… ». Dans Infovaticana, un média conservateur, il commente qu’en parlant avec le cardinal Ladaria, ils ont regretté qu’il n’y ait pas d’hérétiques dignes de ce nom à l’heure actuelle ». Doute ? Non. Capacité d’adaptation à des publics différents.

Il est déconcertant que Mgr Fernández, à peine nommé à un poste aussi important, ait passé au moins la moitié de sa première interview avec un média à dénigrer, critiquer et vitupérer l’organe auquel il a été affecté. Il a qualifié la Doctrine de la Foi d’immorale, de persécutrice, de « bras de fer » du Pape, et a même justifié l’attitude grossière et impie d’ « un grand théologien [il s’agit d’Yves Congar, o.p.] qui, une nuit, est allé uriner sur la porte du Saint-Office en signe de mépris ». C’est lui, Tucho, qui sera chargé de changer cette institution terrifiante et méprisable ; il ne sera plus le Grand Inquisiteur, mais le Grand Reconfigurateur de la Doctrine de la Foi. Grotesque ? Hilarant ? Absurde ?

Je regrette de dire que l’interview accordée à Infovaticana est pitoyable. Dans un texte filandreux, sans contre-interrogatoire et sans creuser les points réellement controversés de la théologie de Mgr Fernandez. Lorsqu’on lui demande son avis sur le mariage des couples homosexuels, l’archevêque est clair et conforme à l’enseignement de l’Église. Il précise toutefois que le mariage est une chose et que la bénédiction de ces couples en est une autre. Il précise :

« Maintenant, si une bénédiction est donnée de telle sorte qu’elle ne provoque pas cette confusion, elle devra être analysée et confirmée ».

En d’autres termes, le problème n’est pas l’immoralité intrinsèque de l’activité sexuelle entre personnes de même sexe. D’ailleurs, Mgr Fernandez est prêt à confirmer une sorte de bénédiction pour de telles pratiques sexuelles au sein d’un couple. Peut-on bénir ce qui est toujours un péché ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de contre-interrogatoire à ce sujet ? Le journaliste ne profite d’ailleurs pas de l’occasion pour demander à Mgr Fernandez une quelconque réponse aux accusations d’hérésie que le cardinal Müller avait réitérées contre lui la veille. C’est regrettable. Ce type d’interview scénarisée, destinée à blanchir la figure d’une personne en évitant ce qui la salit, est un mauvais service rendu au journaliste et au média qui le publie.

Pour terminer cet article déjà inhabituellement long, je propose une réflexion et une consolation. Dans un excès d’optimisme, j’avais dit que cette nomination enterrerait définitivement le néoconisme, c’est-à-dire les conservateurs qui ne peuvent plus justifier l’injustifiable. Je me suis trompé une fois de plus. C’était sans compter sur l’esprit servile et la bassesse de ce secteur. Religión en libertad, l’un des sites conservateurs les plus lus dans le monde hispanophone, publie aujourd’hui un article d’Alex Rosal sur un grand [je suppose que c’est de l’humour, ndt] livre de Mgr Fernández : Los cinco minutos del Espíritu Santo. Le chroniqueur termine par ces mots :

« Qui est Mgr Víctor Manuel Fernández ? C’est avant tout un maître spirituel qui a une grande famille spirituelle, qui se compte par milliers, et qui est interpellée chaque jour par ces méditations ».

N’en doutons pas. Lorsque, dans quelques années, le cardinal Tucho Fernández, suivant les directives des pères et mères synodaux, établira que les couples homosexuels peuvent être bénis par l’Église avec un rite qui les distingue du mariage, Religion en Libertad, Rosal et toute la légion conservatrice du monde entier soutiendront l’initiative. Et il ne serait pas étrange qu’ils fassent office d’enfants de chœur lors de la première bénédiction.

La consolation vient des États-Unis. L’absurdité de la nomination de Mgr Fernandez, qui a suscité tant de confusion et de douleur chez une multitude de fidèles, n’a reçu de réponse que de deux évêques dans le monde entier, pour autant que je sache : le cardinal Gerhard Müller et Mgr J. Strickland, qui, malgré le danger d’une visite apostolique qui le guette, n’a pas hésité à demander des prières pour que Mgr Tucho Fernandez revienne à la foi catholique.

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