Luisella Scrosatti livre son analyse. Comme prévu, les médias mainstream, qui ont tout intérêt à soutenir le Pape (qu’ils lâchent par ailleurs sur d’autres sujets, par ex. la guerre à Gaza) donne de l’incroyable affront fait à un éminent cardinal nommé par Benoît XVI, une lecture uniquement politique c’est-à-dire selon les catégories du monde, et pas de la foi (attitude du reste encouragée par le pape lui-même). Ils cherchent donc à pratiquer l’amalgame, en attribuant au cardinal des liaisons dangereuse – Trump, Milei, à travers des proches présumés – replaçant le conflit dans le cadre de la « guerre » menée par les mauvais (comprendre: l’ « ultra droite » dite populiste) contre les bons (càd tous les autres)

Affaire Burke, ce qui est en jeu, c’est la foi

Luisella Scrosatti
La NBQ
30 novembre 2023

Les commentaires internationaux sur la nouvelle que le Pape a l’intention de retirer au Cardinal Burke logment et salaire se concentrent sur les logiques politiques et de parti. Mais le problème n’est pas là, il est dans la nature même de l’Eglise.

L’indiscrétion sur la volonté du pape François de se débarrasser du cardinal américain Raymond Leo Burke, en lui retirant ses émoluments et son logement, donnée en exclusivité par notre journal, a fait le tour du monde.
Certains ont tenté de corriger la trajectoire de la nouvelle. Selon une source de l’agence Reuters, le pape aurait déclaré que le cardinal Burke « travaillait contre l’Église et contre la papauté ». Selon l’Associated Press, le pape a accusé Burke d’être « une source de désunion » et de vouloir lui retirer son salaire parce qu’il était coupable d’utiliser « les privilèges contre l’Église ».

Hier soir, Austen Ivereigh a publié une confirmation du pape, qu’il a contacté directement :

« Burke a utilisé ses privilèges contre l’Église, je lui retire donc son logement et son salaire ».

Une expression éloquente pour dire que l’Église, c’est lui. A faire rougir même Louis XIV. Ou plutôt une réponse qui marque officiellement le passage de extra Ecclesiam nulla salus à extra papam nulla Ecclesia.

Le monde lit ces questions avec ses propres catégories, qui ne sont évidemment pas celles qui découlent de la foi, mais celles de gens qui cherchent à justifier le pape François, non pas parce qu’ils se soucient du pape, mais parce qu’ils ont intérêt à soutenir son funeste agenda.

Ainsi Massimo Franco, dans le Corriere della Sera d’hier, a présenté l’affaire comme le résultat inévitable d’un affrontement entre le pauvre pape et « cette filière », dont le cardinal Burke ne serait autre que le « chef de file », et qui « depuis des années, aux États-Unis, lui adresse des critiques jugées excessives même par les adversaires de Jorge Bergoglio ».

Il va sans dire que Massimo Franco ne consacre pas un seul paragraphe à l’analyse du contenu de ces « critiques excessives » : il ne faudrait surtout pas que le lecteur ait un point d’appui pour se dégager d’une lecture idéologique et partisane de la situation ecclésiale et aborder les les rivages du niveau véridique et théologique.
Mieux vaut donc utiliser la stratégie de l’enfumage, en semant ici et là des absurdités et des allusions.
Comme quand Franco affirme que « Burke n’a jamais démenti sa réputation d’ultra-conservateur hostile au pape ». Franco a-t-il manqué les innombrables fois où l’ancien préfet du Tribunal de la Signature Apostolique a rejeté toute accusation d’hostilité envers le Pape et a essayé de faire comprendre que c’est une chose de s’opposer aux positions discutables et même erronées du Pontife et une autre d’en vouloir à sa personne ou, pire, au ministère qu’il a assumé ?

Ou encore quand, peu après, Franco décide de s’approprier le registre du thriller:

Derrière Burke et sa « guerre culturelle », on aperçoit la silhouette de personnages et d’institutions qui considèrent François comme un danger.

Parmi ces silhouettes, on trouve la référence archi-éculée à Steve Bannon (et à Donald Trump). Franco sait que Burke « s’est défendu plusieurs fois » contre cette accusation, mais un poncif est un poncif. Mieux vaut donc insister : croisements et fréquentations à travers le Dignitatis Humanæ Institute. C’est le pistolet fumant [/le flagrant délit], la preuve avérée des subterfuges entre les deux hommes pour contrecarrer l’œuvre de François. Un peu comme le « baiser d’honneur » d’Andreotti à Totò Riina [1930-2017, célèbre parrain de la mafia sicilienne; cf. www.palermotoday.it]: ça a marché à l’époque, ça marchera encore aujourd’hui.

Comparé à l’article de Fosca Bincher pour Open [une publication de l’empire Soros], celui de Massimo Franco semble haut de gamme. Pas de Bannon ni de Trump : la véritable « silhouette » derrière Burke est le « populiste » mexicain Eduardo Verástegui, « grand ami personnel du nouveau président argentin, Javier Gerardo Milei ». Les fatidiques doigts dans le pot de confiture? Voilà:

« Ces dernières années, le cardinal Burke, qui a fondé à La Crosse, dans le Wisconsin (États-Unis), un sanctuaire dédié à Notre-Dame de Guadalupe, a accueilli plusieurs fois Verástegui, récitant souvent le rosaire avec lui et participant à des conférences publiques ».

Des activités assurément hautement subversives et dangereuses.

Ainsi, selon Fosca Bincher, le radar de Bergoglio n’est pas dirigé sur les États-Unis, mais sur « cet axe populiste entre l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud (…) vu comme de la fumée dans les yeux du pape François » ; un fait qui, selon elle, contribuerait « encore plus à mettre le cardinal Burke dans sa ligne de mire ».

Du style thriller de Franco au style comique de Bincher… Laquelle rassure tout le monde en affirmant que cette fois le cardinal Burke pourrait « se sauver »: en cas de vengeance à « stars and stripes », les coffres du Vatican seraient trop menacés [ndt: Les conservateurs américains pourraient faire la grève des donations au Denier de Saint Pierre, cf. Quand François fait un exemple avec le cardinal Burke].

Mais personne ne semble avoir pris la peine d’aborder le problème de fond : qu’a dit et écrit le cardinal américain contesté ? S’ils l’avaient fait, ils auraient eu plus de chances de comprendre et de faire comprendre que ce qui est en jeu, ce n’est pas l’opposition entre des courants « politiques » ou culturels, ce n’est même pas le règlement de comptes personnels, mais c’est l’identité même de l’Église et du catholicisme [ndt: c’est François lui-même, le pape « politique », qui provoque et entretient la confusion].

Pour le cardinal Burke – comme pour nous à la NBQ – il importe peu d’être conservateur, traditionaliste, tradicon, etc. Ce qui compte, c’est l’Église catholique, c’est la foi, c’est la fidélité à Jésus-Christ.

Et quand des questions sur lesquelles l’Église s’est déjà prononcée de manière définitive et cohérente sont à nouveau remises en question, afin de préserver son alliance avec le Seigneur et de la transmettre intacte, c’est non seulement un droit, mais un devoir sérieux pour un évêque de prendre une position publique pour poser des questions et apporter de la clarté. Que le pape confirme dans la foi, ce n’est pas la revendication irrévérencieuse de Burke, Strickland ou Zen : c’est le sens constitutif de sa fonction telle que Jésus-Christ l’a instituée. Et le fait que le pape fasse exactement le contraire est démontré par la confusion sans précédent – au moins dans les temps modernes – parmi les catholiques.

Au cours des dix années de son pontificat, des points fixes de la discipline de l’Église, enracinés dans le dogme, ont été mis à mal soit directement par le pape, soit par des personnes qu’il a placées à des postes clés et qu’il s’est bien gardé de blâmer. Ce qui était clair est devenu confus, ce qui était certain est devenu douteux, ce qui était sacré est profané. Citons de mémoire :

  • possibilité pour ceux qui continuent à vivre en concubinage de recevoir l’absolution sacramentelle et la Sainte Communion ;
  • même possibilité pour ceux qui soutiennent publiquement l’avortement et d’autres péchés graves ;
  • insistance pour que les prêtres absolvent toujours, sans vérifier le repentir sincère ;
  • possibilité de recourir à la contraception et même à la fécondation homologue assistée [alias Insémination Artificielle Homologue (IAH) ou Insémination Artificielle du Conjoint (IAC)];
  • possibilité de recourir à l’euthanasie ;
  • possibilité de bénir les couples non mariés et même les homosexuels ;
  • affirmation que Dieu veut la pluralité des religions ;
  • révision du célibat obligatoire ;
  • possibilité d’un diaconat féminin ordonné et ouverture au sacerdoce féminin ;
  • renversement de l’enseignement de l’Église sur la peine de mort ;
  • possibilité de réviser l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité
  • possibilité pour les protestants de communier ;
  • révolution de la structure hiérarchique de l’Église par l’introduction de laïcs ayant droit de vote à un synode d’évêques.

S’opposer à ces graves dérives, ce n’est pas être un ennemi de la papauté ou diviser l’Église ; le drame, c’est qu’il y a un pape qui les propose, les soutient et considère comme un ennemi celui qui, au contraire, ne fait que son devoir. Et parmi les ennemis, François a décidé de ne pas faire de prisonniers, accélérant la dangereuse dérive absolutiste : Ego sum Petrus, ergo sum Ecclesia.

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