Je poursuis la revue des hommages à Benoît XVI, de préférence non institutionnels et non issus des médias « classiques », mais provenant de personnes qui l’ont connu et vraiment aimé. Ici, celui du Sénateur Marcelo Pera, qui a eu l’opportunité de prononcer une « homélie laïque » lors d’une messe à la mémoire du Pape défunt célébrée à Lucques (Lucca) en Toscane (à propos de Marcello Pera, auquel ce site a consacré de nombreux articles, voir L’Europe et l’héritage politique de Benoît XVI: une interview de Marcello Pera ) .

Marcello Pera à Lucques, 31 décembre 2023

La presse locale rapportait la nouvelle en ces termes:

Il y a exactement un an, le dernier jour de l’année 2022, le pape émérite Benoît XVI nous quittait, suscitant la consternation des fidèles du monde entier. Un homme doux mais ferme, d’une grande culture », a dit le curé qui a célébré la messe qui lui était dédiée dans l’église Santa Maria della Rosa de Lucques.

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C’est Marcello Pera, ancien président du Sénat et actuel sénateur, et surtout ami personnel du défunt pontife, qui a souhaité vivement qu’une messe soit dédiée à la mémoire de Joseph Ratzinger. Après la célébration de la messe, au cours de laquelle la lecture du jour sur saint Nicolas a été expliqué à la lumière des paroles « profondément vraies » de Benoît XVI, Pera a voulu se souvenir de celui qu’il a décrit comme une figure exceptionnelle, avant tout d’un point de vue humain.

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https://www.lagazzettadilucca.it/cronaca/messa-per-papa-ratzinger-pera-uomo-di-fede-e-di-studi-obbligo-ricordarlo

Homélie laïque pour Benoît XVI

blog.messainlatino.it

Il y a un an, à cette heure-ci – précisément à 9 h 35 – le pape émérite Benoît XVI s’est éteint, entouré des prières et de l’affection de ceux qui veillaient sur lui et au grand désarroi de millions de fidèles dans le monde entier. Nous rendons ici hommage à sa mémoire et je remercie ceux qui ont organisé et célébré cette messe pour lui.

La figure du pape Benoît est exceptionnelle.

Exceptionnelle par la personne. Joseph Ratzinger était un homme doux, humble, sensible et serviable.
Dans les conversations privées, plus que répliquer, il était attentif, à tel point que le véritable embarras de son interlocuteur ne provenait pas d’un sentiment d’infériorité qu’il ressentait inévitablement, mais de l’attitude d’égalité avec laquelle il était accueilli. Un sens de l’humour inattendu traversait la conversation et suggérait que même les problèmes difficiles ont parfois des solutions de bon sens.

Exceptionnel, Joseph Ratzinger l’était par sa culture. Il maîtrisait de première main la théologie, la philosophie, le christianisme et l’histoire de l’Église. Un signe de préparation, de curiosité intellectuelle, d’études approfondies, de discipline. Il se mouvait avec aisance dans les principales branches du savoir et se distinguait par son sens critique.

Exceptionnelle était sa théologie. C’est le plus grand du XXe siècle, un authentique docteur de la foi moderne, un chercheur toujours innovant : fidèle à l’Écriture et à la tradition, il a su conjuguer le passé et l’avenir, interprétant le premier et éclairant le second.

Exceptionnel, il l’était aussi par la clarté de son langage. Il est facile pour un universitaire de parler à ses pairs, il est difficile d’utiliser des expressions et des concepts compréhensibles par tous. Ses livres, même les plus spécialisés, parlent à tout le monde. Sa Vie de Jésus se lit comme un profond traité de doctrine chrétienne, mais aussi comme un récit vivant. Et sa célèbre Introduction au christianisme est à la fois un manuel de théologie et un ouvrage de vulgarisation et d’exhortation.

Enfin, Joseph Ratzinger était exceptionnel par sa foi. « L’humble serviteur dans la vigne du Seigneur » avait la nature d’un mystique : il était inébranlable parce qu’il était en communion personnelle avec Dieu, il supportait les critiques et les insultes, il résolvait les doutes, il gardait le ton bas et la tête haute, il ne fléchissait pas, parce qu’il avait le regard fixé sur le Christ et la Vérité.

Ce 31 décembre 2022, tout a changé. Non seulement les fidèles, non seulement les intellectuels, non seulement les politiques, l’Église et le monde entier, en particulier l’Europe et l’Occident, ont perdu un point de référence, un guide. Peu de gens comme lui avaient aussi profondément défié et ébranlé le monde moderne. Peu ont lutté aussi fermement contre le laïcisme. Peu ont été aussi écoutés que lui. D’éminents chefs d’État et de gouvernement sont venus à Rome pour le rencontrer. Il a eu le courage de reconnaître que le christianisme en Europe devenait de plus en plus une religion et une culture marginales, et il a fait appel, en retour, aux « minorités créatives » des jeunes : ceux qui ne baissent pas les bras, qui ne sont pas des opportunistes, qui ne font pas de calculs d’honneurs, de carrière, de pouvoir, de popularité, et qui professent l’Évangile.

À ces jeunes, je voudrais rappeler deux pensées de Joseph Ratzinger qui sont si dramatiquement actuelles qu’elles devraient devenir notre bannière.

La première pensée s’adresse à l’Occident et en particulier à l’Europe, qu’il accuse d’apostasie du christianisme :

« il y a une haine de soi de l’Occident – écrit-il – qui est étrange et ne peut être considérée que comme quelque chose de pathologique ; l’Occident essaie certes, de manière louable, de s’ouvrir avec compréhension aux valeurs extérieures, mais il ne s’aime plus lui-même ; de son histoire, il ne voit plus que ce qui est déplorable et destructif ».

C’est pourquoi, face aux autres religions et cultures, l’Europe a peur et se cache. Benoît XVI l’a dit avec un courage qu’on n’a plus jamais entendu :

« Dans notre société actuelle, grâce à Dieu, ceux qui déshonorent la foi d’Israël sont mis à l’amende. Quiconque vilipende le Coran et les croyances de l’islam est également mis à l’amende. Si, par contre, il s’agit du Christ et de ce qui est sacré pour les chrétiens, alors la liberté d’opinion devient le bien suprême » (Senza radici, 70-71). [un livre que Benoît XVI a co-signé en 2004 avec Marcello Pera, ndt]

La deuxième réflexion s’adresse à l’Église. Il dénonce sa perte de spiritualité. Il écrit :

« Dans l’Église d’aujourd’hui, plus elle se conçoit avant tout comme une institution qui promeut le progrès social, plus se tarissent en elle les vocations au service du prochain : ces formes de service aux personnes âgées, aux malades, aux enfants qui jouissaient au contraire d’une bonne santé, quand son regard était encore essentiellement tourné vers Dieu ».

L’appel du Christ – « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33) – se vérifie ici, pour ainsi dire, de manière simplement empirique » (La Vraie Europe, 148).

Nous devrions nous en souvenir à une époque comme la nôtre où l’intérêt de l’Église semble souvent être davantage la justice sociale que le salut spirituel.

Benoît XVI nous a également dit que nous vivons comme l’Empire romain à son crépuscule. Nous pouvons ajouter une énorme différence : sur les cendres de cet empire, le christianisme s’est répandu, alors que sur notre crise, c’est la sécheresse séculariste des âmes qui se répand.

Nous n’avons pas une obligation de circonstance de nous souvenir de cette gigantesque figure d’homme, de pasteur, de théologien, de pape, qu’était Joseph Ratzinger-Benoît XVI. Nous avons surtout le devoir de témoigner de sa foi et de sa parole. Même si nous ne l’avons pas toujours réalisé, nous avons traversé l’histoire chrétienne avec lui.

Marcello Pera

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