A un mois de la publication de la Déclaration autorisant (dans la confusion la plus totale) la bénédiction des couples gays, l’opposition ne faiblit pas. Ce n’est pas la première fois qu’une décision papale est contestée (voir par exemple la réception de Humanae Vitae en 1968) mais la grande nouveauté, cette fois-ci, c’est que l’opposition vient du coeur de l’Eglise CONTRE LES MEDIAS et l’opinion. Edward Pentin fait le point – chronologie indispensable pour comprendre, et perspectives, en relation avec la session du synode sur la synodalité qui se profile, et surtout le prochain conclave (cette partie qui constitue la fin de l’article est particulièrement intéressante).

Un mois de « Fiducia Supplicans » : L’opposition ne montre aucun signe d’affaiblissement

Edward Pentin
https://www.ncregister.com

La critique du document qui a autorisé la bénédiction des couples de même sexe est considérée comme sans précédent par certains historiens de l’Église.

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Un mois après la publication par le Vatican du document Fiducia Supplicans autorisant la bénédiction des couples de même sexe, l’opposition qu’il a suscitée ne montre aucun signe d’affaiblissement.

La critique a été si virulente et si répandue, en fait, que certains historiens affirment que jamais auparavant un document papal n’avait provoqué une telle opposition et une telle confusion, laissant de nombreux observateurs se demander comment les retombées peuvent être résolues.

« L’existence d’un contraste marqué entre les évêques et les cardinaux au sein de l’Église est désormais une réalité que l’on ne peut nier », a déclaré l’historien de l’Église Roberto de Mattei au Register. Le pape François, estime-t-il, « provoque une crise plus profonde que toutes les précédentes, non seulement en raison de l’ampleur de l’opposition, mais aussi du fait qu’elle provient de ces ‘périphéries’ que le pape François a indiquées comme l’expression authentique de l’Église. »

Approuvée par le pape François et publiée peu avant Noël, le 18 décembre, la déclaration autorise spécifiquement, pour la première fois, les bénédictions non liturgiques de couples de même sexe et d’autres personnes en « relations irrégulières. » Le Vatican a décrit sa publication comme une étape « innovante », élargissant le sens des bénédictions tout en restant « ferme » sur la « doctrine traditionnelle de l’Église sur le mariage. »

Cette publication est intervenue deux ans seulement après que le Vatican, dans un document moins officiel appelé responsum ad dubium, a clairement statué que l’Église n’avait pas le pouvoir de donner des bénédictions aux unions de personnes de même sexe. Bien que largement perçu comme un revirement par rapport à ce texte, le Vatican a tenté d’assurer aux fidèles que Fiducia Supplicans n’autorisait pas la bénédiction d’unions, mais seulement celle d’individus ayant des relations homosexuelles ou irrégulières.

Le cardinal Víctor Manuel Fernández, préfet du dicastère pour la doctrine de la foi depuis septembre, a déclaré dans une préface à la déclaration que son document était une réaction de « charité fraternelle » envers ceux qui ne partageaient pas la « réponse négative » du responsum, publié sous son prédécesseur, le cardinal Luis Ladaria Ferrer.

Mais presque immédiatement après la publication [de la déclaration], certains de ses soutiens ont renchéri sur ses préceptes tandis que ses opposants les ont fermement rejetés. Une poignée d’évêques, comme ceux de Madrid, de Dublin et le président de la conférence épiscopale autrichienne, ont obligé les prêtres à donner de telles bénédictions à tous ceux qui les demandaient ; d’autres, en particulier en Afrique, ont catégoriquement refusé de le faire.

La plupart des conférences épiscopales sont restées silencieuses, ont donné des réponses ambivalentes ou ont souligné ce qui était fidèle au magistère dans le document.

La confusion qui règne au-delà de l’Église a été aggravée par les titres des médias mainstream qui ont applaudi Fiducia Supplicans pour avoir autorisé les bénédictions de personnes de même sexe, tout en omettant ses limites. Le document a également suscité l’opposition de non-catholiques, tels que le protestant évangélique Franklin Graham et le métropolite Hilarion de l’Église orthodoxe russe.

Partisans et opposants

  • Ceux qui ont accueilli ou accepté la déclaration se répartissent en plusieurs groupes : certaines conférences épiscopales, comme la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, qui ont accepté l’assurance qu’elle était cohérente avec la doctrine et ne concernait que des « bénédictions pastorales » non liturgiques ; d’autres, comme le père jésuite James Martin, qui s’est réjoui de cette évolution, la considérant comme un « pas en avant » dans le ministère auprès des personnes LGBTQ (il a publiquement béni un couple homosexuel « marié » le lendemain de sa publication) ; et les évêques belges et d’autres qui ont considéré la décision comme faisant partie d’un processus visant à reconnaître le « mariage » sacramentel entre personnes de même sexe.

Soeur Jeannine Gramick, cofondatrice de New Ways Ministry, un groupe de défense de l’Église interdit par le Saint-Siège en 1999 pour sa position sur l’homosexualité mais reçu en audience privée par le pape François en octobre, a déclaré que l’espoir de « beaucoup de couples catholiques lesbiens et gays s’est maintenant matérialisé ».

Le site web du groupe a donné un résumé festif le 6 janvier de nombreuses réactions, citant des homosexuels « mariés » et d’autres personnes sous le titre : « LGBT advocates keep rejoicing over Vatican approval of same-gender blessings » (Les défenseurs des droits LGBT continuent de se réjouir de l’approbation par le Vatican des bénédictions pour les personnes de même sexe).

Certains se sont abstenus d’exprimer leur soutien total, notamment le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, qui a déclaré que le document avait « touché un point très sensible » et nécessiterait « un examen plus approfondi ».

  • Les critiques, quant à eux, se sont opposés au document pour diverses raisons.

Le prédécesseur du cardinal Fernández au dicastère pour la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard Müller, l’a qualifié de « sacrilège et blasphématoire », « auto-contradictoire » et « nécessitant une clarification ». Le cardinal Robert Sarah, préfet émérite au dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements, a déclaré que cette déclaration était « une hérésie qui porte gravement atteinte à l’Église, le corps du Christ, parce qu’elle est contraire à la foi et à la tradition catholiques. »

Presque toutes les conférences épiscopales d’Afrique et de plusieurs autres pays du Sud mondial – ce que François a collectivement appelé les « périphéries » – l’ont rejetée non seulement parce que la bénédiction des couples de même sexe s’oppose à leurs cultures et à leurs lois, comme l’avait dit le cardinal Fernández, mais aussi parce qu’elles ont reconnu qu’elle donnait l’impression d’approuver quelque chose de contraire à la loi naturelle et à l’Écriture sainte. Écrivant au nom des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), le cardinal Fridolin Ambongo de Kinshasa a déclaré que le langage utilisé dans le document était « trop subtil pour être compris par les gens simples » et que les évêques d’Afrique ne pouvaient pas procéder à de telles bénédictions « sans s’exposer à des scandales. » [cf. Fiducia Supplicans: c’est NON. Honneur aux évêques africains]

Des critiques sont également venues d’Europe centrale et orientale et d’Asie, au moins un évêque hongrois ayant qualifié le document de « falsification de l’Évangile ».

Des confréries composées de centaines de prêtres en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Australie ont rejeté le document parce qu’il est essentiellement inapplicable et parce qu’elles craignent qu’il ne transmette un message contraire à l’enseignement de l’Église. Entre-temps, certains se sont opposés à la déclaration parce qu’elle n’allait pas assez loin, et au moins un dirigeant de l’Église en Allemagne l’a qualifiée de « misanthrope et discriminatoire » parce qu’elle n’approuvait pas les actes entre personnes de même sexe.

Sans se laisser décourager par l’opposition, les médias italiens ont rapporté que le 14 janvier, le Vatican préparait son clergé à la bénédiction des couples de même sexe, probablement dans la basilique Saint-Pierre.

Tentative de clarification

Dans une tentative de clarification de Fiducia Supplicans suite à cette réaction mondiale, le cardinal Fernández a publié un communiqué de presse insistant sur le fait que la déclaration devait être lue calmement, qu’elle n’était ni hérétique ni blasphématoire, qu’une bénédiction ne devait prendre que « 10 ou 15 secondes environ », et il a donné quelques exemples de la façon dont elle pouvait être réalisée sous une « forme non ritualisée ».

Dans des commentaires du 12 janvier au Register, il a déclaré que sa clarification avait « certainement aidé en raison de la simplicité et des exemples qu’elle offre », et que cela avait été « noté par de nombreux évêques. »

Le cardinal Müller et d’autres, cependant, sont restés impassibles. Les bénédictions autorisées par Fiducia Supplicans « sont une invention » qui n’ont « aucun fondement dans la réalité », a-t-il déclaré au Register le 12 janvier. Une « bénédiction de 10 secondes » des couples de même sexe ou de ceux qui ont des « relations irrégulières », a-t-il ajouté, n’est « rien d’autre qu’une bénédiction générale que n’importe qui peut recevoir lors d’une rencontre avec un pasteur, quelle que soit la situation. »

Le 2 janvier, le Register a posé une série de questions au cardinal Fernández afin d’obtenir des éclaircissements sur la formulation du document et sur d’autres aspects. Il s’agissait notamment de définir la signification du terme « couple » et sa différence avec une « union », de savoir quels sont les obstacles à la bénédiction de groupes d’autres personnes engagées dans des activités sexuellement immorales, de savoir si les abus apparents du document par le père James Martin et d’autres seront condamnés, et pourquoi la consultation sur le document n’a pas été plus large et comment cela peut être mis en accord avec la synodalité.

À ce jour, le cardinal n’a pas répondu à ces questions malgré des demandes répétées. Il avait répondu à d’autres occasions lorsque nous lui avons envoyé des questions.

Une crise sans précédent

Selon le professeur De Mattei, le document se caractérise clairement par un « modernisme » qui « affirme la fidélité au magistère de l’Église tout en le renversant par des acrobaties intellectuelles sans scrupules. »

L’Afrique, a-t-il souligné, connaît la plus forte croissance de catholiques baptisés et, citant le cardinal Robert Sarah, il a déclaré que les évêques d’Afrique sont « les hérauts de la vérité divine face à la puissance et à la richesse de certains épiscopats d’Occident » qui « se croient évolués, modernes et sages dans la sagesse du monde. » De Mattei a également déclaré que la gravité de la révolte est accrue parce qu’elle fait suite à la volonté de François de « démocratiser » l’Église par la synodalité, en donnant aux évêques « une autorité supérieure à celle de Rome. »

Interrogé par le Register pour savoir si la réaction à Fiducia Supplicans est sans précédent dans l’histoire de l’Église, le cardinal Walter Brandmüller, président émérite du Comité pontifical pour les sciences historiques, n’a pas donné de réponse définitive et a rappelé que lors de la crise arienne du IVe siècle, « presque tous les évêques byzantins étaient hérétiques. » [ndt: des explications d »un spécialiste seraient bienvenues]

Mais De Mattei était plus sûr de lui. Il a reconnu que des « schismes, divisions et affrontements » antérieurs, à la fois « de nature doctrinale et pastorale », ont existé « même à une époque récente. » À titre d’exemple, il a indiqué que les évêques s’étaient divisés en deux groupes pendant la Révolution française, qu’il y avait eu le schisme de la Petite Église en 1801 pendant le règne de Pie VII et qu’en 1871, l’Église schismatique des « Vieux catholiques » s’était formée. Il a également noté des divisions pendant le Concile Vatican II et au sujet d’Humanae Vitae en 1968, lorsque des cardinaux et des évêques ont mené une révolte ouverte contre l’encyclique papale qui confirmait l’enseignement de l’Église sur la contraception. Dans ces deux cas, a-t-il expliqué, les positions étaient « inversées » et la dissidence était menée par « l’aile libérale de l’épiscopat. »

Cette crise, cependant, est « plus profonde » que toutes celles qui l’ont précédée, selon De Mattei.

Le professeur John Rao, historien de l’Église et directeur du Roman Forum, fondé par Dietrich von Hildebrand en 1968, a de même cité d’autres exemples de révoltes contre des actes papaux, soit lorsqu’un pape faisait son devoir, ignorant la nature d’un problème, soit « tourmenté comme le pape Vigilius » à propos de la controverse des trois chapitres au VIe siècle qui a conduit au « schisme des trois chapitres. » Mais il a déclaré qu’aucun de ces exemples n’est « comme ce désastre », ajoutant qu’ils étaient tous « totalement différents. »

Le Dr Thomas Ward, vétéran de la campagne pro-vie et président de l’Académie Jean-Paul II pour la vie humaine et la famille, voit certaines similitudes entre cette affaire et la dissidence d’Humanae Vitae, mais il a déclaré que, contrairement à cette encyclique, avec Fiducia Supplicans « vous avez Rome qui sape son propre enseignement » parce que, selon lui, c’est un document du modernisme qui contient à la fois « l’hérésie et la vérité. » [??]

Et maintenant?

En ce qui concerne l’avenir, les observateurs pensent que les retombées de Fiducia Supplicans auront des ramifications à la fois sur la façon dont l’Église est gouvernée et sur le prochain conclave.

Un point important est de savoir comment le document s’inscrit dans la synodalité, puisque la question de ces bénédictions n’a pas fait l’objet d’un accord lors de la première assemblée du Synode sur la synodalité en octobre dernier. Interrogé par le Register pour savoir si cette question deviendra un point de discussion majeur lors de l’assemblée synodale finale à l’automne, et si des plaintes ont été reçues concernant le fait qu’elle a été imposée en dehors du processus synodal, le porte-parole du secrétariat du synode, Thierry Bonaventura, a fait référence à un document publié le 11 décembre par le secrétariat du synode. Ce document offre des conseils généraux sur « l’approfondissement de la réflexion », mais rien de spécifique sur les bénédictions homosexuelles.

Selon certaines sources, il est peu probable que les cardinaux publient de nouveaux dubia (question formelle demandant des éclaircissements) sur ce sujet, car des cardinaux comme le cardinal Raymond Burke et le cardinal Sarah ont déjà donné leur avis sur la question, et leur demande d’éclaircissements supplémentaires sur les bénédictions homosexuelles, envoyée à François dans le cadre d’une nouvelle série de dubia soumise l’été dernier, n’a toujours pas reçu de réponse.

Le père Robert Gahl de l’Opus Dei, un philosophe moral qui enseigne à la Busch School of Business de l’Université catholique d’Amérique, a exprimé l’espoir que davantage d’évêques suivent l’exemple du cardinal Ambongo et « clarifient que Fiducia Supplicans et le pape François maintiennent l’enseignement fidèle de l’Église » et évitent « tout scandale » dérivant de « mauvaises interprétations » de son contenu. « Les prêtres doivent être aidés par les évêques dans leurs efforts pour maintenir la clarté de la doctrine et inviter à la conversion en offrant la beauté de l’amour pur au sein du mariage fidèle », a-t-il déclaré.

La confusion et la division, cependant, semblent devoir se poursuivre. Le cardinal Müller a déclaré au Register que

« le chaos qui en résulte et le danger auto-infligé pour l’unité de l’Église devraient être pris comme une leçon pour s’abstenir à l’avenir de telles pitreries de la part de nouveaux venus qui veulent tout faire différemment de leurs prédécesseurs, et imposer de manière autoritaire leurs opinions subjectives et peu réfléchies à l’ensemble de l’Église. »

La critique d’une « déclaration ambiguë » est nécessaire, selon lui, si l’on veut faire preuve « d’obéissance à la vérité de Dieu. »

Le pape François, quant à lui, reste imperturbable.

S’adressant au clergé romain le 13 janvier, il a déclaré que parfois, lorsqu’une décision n’est pas acceptée, « c’est parce que vous ne comprenez pas. »

« Le danger, c’est quand je n’aime pas quelque chose et que je le garde sur le cœur, je deviens une résistance et j’arrive à de vilaines conclusions », a-t-il ajouté. « C’est ce qui s’est passé avec cette dernière décision concernant la bénédiction de tout le monde ».

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