Nico Spuntoni reprend et développe l’article qu’il a écrit dimanche pour Il Giornale (cf. François rompt le secret du conclave) sur le dernier livre-interview, démontant méticuleusement les affirmations fantaisistes de François dans ce qu’il appelle une « vengeance » contre Mgr Gänswein. Vengeance mesquine, malheureusement bourrée d’erreurs factuelles que le vaticaniste attribue charitablement à l’âge du Pape, trahi par sa mémoire. Sans toutefois exclure totalement cette possibilité, on doit admettre que François se donne systématiquement le rôle du justicier, quand ce n’est pas de la victime, comme s’il voulait écrire sa version avant que d’autres ne s’en chargent… après sa mort.

La vengeance de François contre Gänswein est pleine d’imprécisions [/d’inexactitudes]

Nico Spuntoni
La NBQ
3 avril 2024

Dans son livre, Bergoglio revient sur ses relations avec son prédécesseur, contre le secrétaire de Ratzinger qui avait nié la « légende » de l’harmonie entre les deux papes. Il s’exprime aussi sur le conclave de 2005, mais les témoignages ne collent pas.

Foto LaPresse - Stefano Costantino 23/11/2016 Città del Vaticano (VAT)

Tout en appelant à la paix pour le monde, François ouvre de nouveaux fronts de guerre dans l’Église. Il le fait avec des déclarations accordées au journaliste espagnol Javier Martinez-Brocal dans le livre-interview El sucesor. Dans les anticipations diffusées ces heures-ci, le pape s’est exprimé sur la relation avec Benoît XVI sans épargner les critiques acerbes à l’égard de Mgr Georg Gänswein.

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La faute du fidèle secrétaire de Ratzinger est d’avoir réfuté une fois pour toutes dans son livre Nient’altro che la verità le récit d’une cohabitation harmonieuse entre le pontife régnant et son prédécesseur retiré au monastère Mater Ecclesiae.

Commentant le contenu du livre écrit à quatre mains par Gänswein avec le journaliste Saverio Gaeta, Bergoglio a d’un côté fait montre de sa supériorité en affirmant que « bien sûr, cela ne m’affecte pas, dans le sens où cela ne me conditionne pas », tandis que de l’autre, il a exprimé toute sa colère parce que ce livre l’aurai mis « sens dessus dessous, en racontant des choses qui ne sont pas vraies ».

Nient’altro che la verità dévoilait les dessous de l’expulsion de Gänswein de la fonction de préfet de la Maison pontificale, en 2020, sous prétexte qu’il n’aurait pas empêché Benoît XVI de publier un texte de défense du sacerdoce dans le désormais célèbre Dal profondo del nostro cuore [cf. dossier www.benoit-et-moi.fr] écrit par le cardinal Robert Sarah peu de temps avant le Synode sur l’Amazonie.

Gänswein racontait que Bergoglio n’a pas écouté la demande de son prédécesseur de le réintégrer en tant que préfet de la maison pontificale. Les faits confirment que Gänswein, après l’éclatement de l’affaire Sarah, n’est plus revenu aux côtés du pape régnant lors des audiences publiques tout en conservant formellement son poste.

Toujours en s’en prenant à l’archevêque allemand, François a déclaré à Martinez-Brocal qu’il avait « vécu comme un manque de noblesse et d’humanité » la diffusion des avant-premières de Nient’altro che la verità le jour des funérailles.

Au-delà de la critique elle-même, inutile de cacher la réaction de stupeur à ces propos de la part de ceux, nombreux, qui n’oublient pas l’attitude que Bergoglio a tenue les jours de l’exposition et des funérailles de son prédécesseur. François ne s’est pas rendu à la basilique Saint-Pierre pour prier devant le corps, s’est entêté à confirmer l’audience générale du mercredi dans la salle Paul VI malgré les conseils des cardinaux et des collaborateurs qui ont tout juste réussi à le convaincre de repousser les funérailles de quelques jours pour permettre aux cardinaux du monde entier d’arriver à temps à Rome. Tout le monde se souvient ensuite de l’homélie courte et dépersonnalisée ainsi que de la hâte du pape lors des funérailles.

Au-delà du jugement sur les questions doctrinales et pastorales du pontificat actuel, c’est à ce moment-là qu’est apparue cette composante du caractère qui a souvent conduit François à prendre des décisions amèrement incompréhensibles au cours de ces onze années. L’expulsion de Gänswein du Vatican un mois plus tard, sans autre affectation, a complété le tableau.

Depuis quelque temps, au mépris de l’évidence et parfois du ridicule, certains ont dû conseiller au pape de présenter un récit très différent de sa relation avec Ratzinger, en distinguant ce dernier des « Ratzingeriens » qui l’auraient utilisé contre lui.
Mgr Gänswein, l’homme qui a été à ses côtés jusqu’à la fin et qui était son exécuteur testamentaire, s’est lui aussi retrouvé dans ce cercle. Dans le livre d’entretiens El sucesor, cette volonté de présenter une relation probablement différente de la réalité est peut-être à l’origine des quelques contradictions de l’interviewé.

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François n’a pas hésité à rendre public son récit du conclave de 2005.

L’image d’un pape qui entreprend de révéler les détails des deux derniers conclaves – d’ailleurs l’un de ses sujets de prédilection auprès des journalistes et des biographes – en vertu de sa qualité de legibus solutus n’est en soi guère rassurante. Pire encore si ces prétendues révélations entrent en conflit avec des informations existantes et avec des déclarations faites antérieurement par lui-même.

Bergoglio a affirmé qu’il avait été « utilisé » par les cardinaux qui voulaient bloquer l’élection du favori Ratzinger après la mort de Jean-Paul II et qu’il avait favorisé ce dernier en se retirant après avoir recueilli 40 préférences.

En se basant sur le récit détaillé du conclave il y a 19 ans publié dans Limes par le vaticaniste Lucio Brunelli – admirateur de Bergoglio et l’un des rares à avoir prédit son élection en 2013 – nous savons que le cardinal argentin d’alors a effectivement recueilli 40 voix lors du troisième tour de scrutin. Le pape a déclaré à Martinez-Brocal que « s’ils avaient continué à voter pour moi, [Ratzinger] n’aurait pas pu atteindre les deux tiers nécessaires pour être élu pape« . À ce moment-là, selon sa version, l’Argentin aurait dit au cardinal Darío Castrillón Hoyos : « ‘Ne plaisantez pas avec ma candidature, parce que maintenant je dis que je n’accepterai pas, hein ? Laissez-moi ici' ». Et c’est là que Benoît a été élu ».

Ainsi, selon le pontife en titre, son recul aurait été décisif pour sortir de l’impasse et conduire à l’élection de Ratzinger.

Mais cette version soulève plus d’un doute. En effet, selon le journal du cardinal anonyme publié par Brunelli, il semblerait qu’au quatrième tour de scrutin, les voix pour Bergoglio ne soient pas tombées à zéro, comme un retrait « annoncé » du candidat l’aurait laissé imaginer, mais qu’il y ait eu une chute à 26 préférences, les restantes allant au favori allemand qui était ainsi devenu pape.

Qu’autour de Bergoglio il y ait eu une réelle candidature dès 2005 et que sa défaite n’ait pas été l’effet d’un retrait volontaire semble être attesté par le commentaire amer du cardinal belge, son soutien, Godfried Danneels au quotidien flamand De Morgen à qui il a dit que le conclave avait « montré que ce n’était pas encore le moment d’avoir un pape latino-américain ».

De plus, il semble très improbable que le cardinal Castrillón Hoyos, l’un des membres les plus conservateurs de l’ensemble du collège, puis bras droit de Benoît dans le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X, puisse être un porte-drapeau de la faction anti-Ratzinger.

Une autre inexactitude est celle énoncée à propos des « deux tiers des voix nécessaires pour être élu » que l’Allemand n’aurait pas obtenus si Bergoglio ne s’était pas retiré. En effet, la constitution apostolique Universi Dominici Gregis en vigueur depuis 1996 avait retiré le quorum de la majorité des deux tiers (rétabli ensuite par Benoît en 2007) : par conséquent, si les anti-Ratzinger avaient résisté, il aurait suffi à ses partisans d’aller jusqu’au 34e tour de scrutin pour l’emporter à la majorité absolue.

Le pape a 87 ans et près de vingt se sont écoulés depuis ce conclave, la mémoire lui a donc peut-être joué un tour.

Une autre anticipation du livre El sucesor destinée à faire débat est celle concernant la défense que Benoît XVI, aujourd’hui émérite, aurait faite de son successeur auprès de certains cardinaux qui s’étaient plaints auprès de lui des déclarations bergogliennes sur les unions civiles. Voici les propos du pape :

« J’ai eu une très belle conversation avec lui lorsque certains cardinaux sont allés le rencontrer surpris par mes paroles sur le mariage, et il a été très clair avec eux, il les a aidés à distinguer les choses (…) donc il m’a défendu ».

Cette allusion fait probablement référence à la polémique déclenchée par un extrait d’interview diffusé dans un documentaire du réalisateur Evgeny Afineevsky dans lequel le souverain pontife s’ouvrait à une loi sur les unions civiles.

L’histoire d’un Benoît âgé et désormais émérite en accord avec son successeur avec les cardinaux qui lui rendent visite pour se plaindre auprès de lui ressemble à un motif récurrent que François a déjà utilisé, par exemple lors du vol de retour d’Arménie en répondant à une question de la journaliste Elisabetta Piqué. Le voyage apostolique remonte cependant à 2016 donc quatre ans avant le blizzard sur les propos tenus dans le documentaire.

Le pape émérite a-t-il expulsé plus d’une fois les cardinaux « critiques » de la Mater Ecclesiae pour défendre son successeur, ou la sortie de François est-elle plutôt un artifice narratif, un peu comme lorsqu’il a raconté plus d’une fois que son secrétaire aurait vu un petit chien dans une poussette en plaçant la scène à un « l’autre jour » fictif ?

Comment le souverain pontife est-il au courant du contenu de ces prétendues conversations de Benoît XVI avec certains cardinaux ? Le fait d’évoquer une conversation « très belle » qu’il a eue avec lui à proximité de ce prétendu épisode semble faire allusion au fait que c’est Benoît XVI lui-même qui lui en a parlé.

C’est difficile à imaginer puisque, pour autant que nous le sachions, Ratzinger, lors de son séjour au monastère Mater Ecclesiae, n’a pas cessé de rencontrer et d’écouter les cardinaux les plus mal à l’aise avec le pontificat actuel.

En tout cas, en ce qui concerne les lois sur les unions civiles, plus d’un épisode a rapporté plus d’un an après la mort de l’intéressé, ce que Joseph Ratzinger a écrit en 2003 dans un document officiel de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi – les Considérations concernant les projets de reconnaissance légale des unions entre personnes homosexuelles – où il est dit que « l’on doit s’abstenir de tout type de coopération formelle à la promulgation ou à l’application de lois si gravement injustes ainsi que, dans la mesure du possible, de toute coopération matérielle sur le plan de l’application ».

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