Le titre renvoie à une réflexion de Benoît XVI, confiant à Peter Seewald (« Dernières conversations », 2016): « je n’appartiens plus à l’ancien monde, mais le nouveau n’a pas encore commencé ». C’était il y a presque dix ans, et le « pape émérite » d’alors refusait sans doute de voir dans l’avènement de François les prémisses d’une quelconque nouveauté propre à marquer un tournant dans l’Histoire. Aujourd’hui, l’accession au Trône de Pierre d’un homme issu du continent américain, et surtout qui n’avait que 10 ans à la fin du Concile Vatican II, marque clairement, sinon le début du nouveau monde du moins un changement significatif de génération. En ce sens, Léon XIV est un « pape original » (Andrea Gagliarducci).

Léon XIV à un mois : Un pape « original »

Andrea Gagliarducci
www.ncregister.com/news/leo-xiv-at-one-month
6 juin 2025

ANALYSE : Au cours du premier mois de son pontificat, Léon XIV a démontré qu’il avait le comportement solide, l’aptitude à construire des ponts et la vision ciblée nécessaires pour tracer sa propre voie.

Les étiquettes communément appliquées aux papes ne s’appliquent pas à Léon XIV. Il n’est ni un révolutionnaire comme François, ni un restaurateur comme Benoît XVI.

Les termes « réformateur » et « réactionnaire » ne lui conviennent pas davantage.

En revanche, un mois après son élection le 8 mai, ce qui se dessine lentement, c’est un changement de génération dans le leadership – un pontificat « original », pourrait-on dire, mené par un pasteur sereinement compétent qui donne la priorité à la continuité tout en possédant le tempérament solide, l’aptitude à construire des ponts et la vision indépendante pour fixer son propre cap.

« Changement de génération » , parce qu’il est le premier pape depuis Vatican II à ne pas avoir été au séminaire ou à ne pas avoir été prêtre à l’époque du Concile. Ce fait confère au premier pape né aux États-Unis un certain détachement par rapport aux grands débats et controverses conciliaires de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle.

Dans ce contexte, le choix d’un nom de pape prend une signification supplémentaire, puisqu’il s’est sagement associé au dernier Léon, le père fondateur de la doctrine sociale catholique qui a régné il y a plus d’un siècle, plutôt qu’à un prédécesseur plus proche.

En même temps, ce choix d’affiliation nous parle d’un esprit indépendant, que beaucoup semblent apprécier chez le nouveau Saint-Père.

Dès les premiers instants de son pontificat, Léon a tenu à communiquer une continuité avec le pape François, alors que ce dernier avait fait tout le contraire.

Le nouveau pape a cité François à plusieurs reprises dans ses premières homélies, par exemple en faisant sien l’appel à une Église synodale et en mettant un point d’honneur à prier sur la tombe de son prédécesseur.

Dans le même temps, il a envoyé des signaux clairs indiquant qu’il reste lui-même.

Il l’a fait notamment en adoptant tous les signes du pouvoir papal. Il porte la mozzetta depuis sa première apparition à la Loggia des Bénédictions. Plus récemment, il a commencé à porter un pantalon blanc sous sa soutane. Il ne l’a pas fait en signe d’opposition au pape François, qui s’est illustré en portant des pantalons noirs, mais plutôt pour donner de la force et de l’importance aux signes et aux symboles de l’Église institutionnelle.

Un autre signal a été donné dans son homélie du 1er juin à l’occasion du Jubilé des familles, des enfants, des grands-parents et des personnes âgées, quand Léon a cité l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI en observant « que le mariage n’est pas un idéal mais la mesure de l’amour véritable entre un homme et une femme : un amour qui est total, fidèle et fécond. Cet amour fait de vous une seule chair et vous permet, à l’image de Dieu, d’accorder le don de la vie ».

Dans leur simplicité, ces mots marquent un changement de direction par rapport au pontificat précédent, puisque dans l’exhortation post-synodale contestée Amoris Laetitia de François, le mariage chrétien a été cité à plusieurs reprises comme un idéal.

Comme François, Léon reconnaît l’impératif d’aller vers les périphéries. Pourtant, ayant été longtemps missionnaire au Pérou, il a déjà souligné le travail d’évangélisation qui doit y être accompli.

Dans la Missa Pro Ecclesia, sa première messe en tant que pape, célébrée avec le collège des cardinaux dans la chapelle Sixtine le 9 mai, Léon XIV a noté qu’il existe « des contextes dans lesquels la foi chrétienne est considérée comme quelque chose d’absurde, pour des personnes faibles et inintelligentes ; des contextes dans lesquels d’autres valeurs lui sont préférées, comme la technologie, l’argent, le succès, le pouvoir, le plaisir ».

Le pape a réaffirmé l’engagement de la mission dans ces lieux, car « le manque de foi entraîne souvent des tragédies telles que la perte du sens de la vie, l’oubli de la miséricorde, la violation de la dignité de la personne dans ses formes les plus dramatiques, la crise de la famille et tant d’autres blessures qui affligent notre société ».

Pour Léon, la mission est ancrée dans la vérité du message chrétien. Le 16 mai, rencontrant pour la première fois les membres du corps diplomatique accrédités auprès du Saint-Siège, Léon XIV a placé la vérité aux côtés de la paix et de la justice comme piliers de l’engagement diplomatique du Saint-Siège.

« L’Église ne peut jamais se priver de dire la vérité sur l’homme et sur le monde », a-t-il déclaré, « en recourant quand c’est nécessaire à un langage franc, qui peut donner lieu à quelques malentendus initiaux. »

Bien que l’on puisse percevoir un changement de paradigme par rapport à l’accent mis par le pape François sur l’évangélisation en parlant le langage du monde, Léon XIV ne manifeste aucune opposition à son prédécesseur. Il ne s’agit pas d’un pontificat contre ou en faveur de quelque chose, mais plutôt d’un pontificat de mission.

La ligne de gouvernement

La continuité axée sur la mission souligne également sa première approche du gouvernement.

Pour l’instant, il a maintenu les nominations déjà effectuées sous le pontificat précédent, y compris la nomination par François de la sœur franciscaine des pauvres Tiziana Merletti au poste de secrétaire du dicastère pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

Le départ de l’archevêque Vincenzo Paglia de l’Académie pontificale pour la vie et de son rôle de chancelier de l’Institut théologique pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille était attendu, puisqu’il a eu 80 ans. Le Pape a confié la chancellerie de l’Institut au cardinal Baldassarre Reina, vicaire du Pape pour le diocèse de Rome et donc également chancelier de l’Université pontificale du Latran, préfigurant ainsi une union entre l’Institut et l’Université. Il a également confirmé Mgr Philippe Bordeyne, président de l’Institut, pour quatre années supplémentaires. À l’Académie pour la vie, Léon XIV a également choisi la continuité, en promouvant le chancelier, Mgr Renzo Pegoraro.

Mais un changement de génération s’annonce. En plus de devoir choisir son successeur au Dicastère pour les évêques, il devra remplacer les préfets des causes des saints, du culte divin et de la discipline des sacrements, de la promotion de l’unité des chrétiens, du développement humain intégral, des laïcs, de la famille et de la vie, qui ont tous dépassé l’âge de la retraite, fixé à 75 ans.

Toutefois, tout pape agira en fonction de priorités. Alors qu’il constitue sa propre équipe, Léon doit faire face à la nécessité d’introduire dans l’Église un modus operandi de type gouvernemental pour traiter certains dossiers complexes, notamment en ce qui concerne l’accord sino-vatican. La prochaine série de réunions sur cette question devrait avoir lieu dès la semaine prochaine.

L’expérience de Léon en tant que leader des Augustins, évêque et préfet, nous montre qu’il préfère établir un gouvernement structuré et axé sur les priorités plutôt qu’une microgestion ou des changements radicaux et précoces. Il interviendra quand il le jugera opportun, comme il l’a déjà fait savoir à ceux qui, comme c’est toujours le cas au début d’un pontificat, se sont présentés à sa porte pour lui soumettre des requêtes.

Il ne prendra pas de décisions pour être populaire, il ne prendra pas de décisions hâtives.

L’avenir de l’Église

En ordonnant 11 prêtres pour le diocèse de Rome le 31 mai dernier, Léon XIV a demandé « des vies connues, des vies lisibles, des vies crédibles ».

« Nous sommes au sein du peuple de Dieu pour pouvoir nous présenter devant lui avec un témoignage crédible », a-t-il poursuivi. « Ensemble, nous reconstruirons la crédibilité d’une Église blessée, envoyée à une humanité blessée dans une création blessée. Nous ne sommes pas encore parfaits, mais il est nécessaire d’être crédibles ».

De cette façon, le Pape n’a pas montré du doigt les prêtres infidèles, mais a demandé à tous d’être fidèles. C’est aussi en cela que l’on peut reconnaître son modus operandi pour gouverner l’Église. D’abord la foi, puis l’infrastructure, qu’elle soit liturgique, historique ou sociale. Léon peut le faire précisément parce qu’il est le pape d’une nouvelle génération.

Le pape Benoît XVI avait déclaré, dans un livre-entretien avec Peter Seewald, qu’il était encore un homme de l’ancien monde, mais que le nouveau monde n’avait pas encore commencé.

Il a commencé avec ce pontife. C’est un pape de trois mondes : américain, missionnaire en Amérique latine et profond connaisseur de la réalité romaine.

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