Depuis que je le suis, j’ai pu constater qu’Andrea Gagliarducci, grand connaisseur du monde qui gravite autour de la papauté, s’intéresse beaucoup aux défis sémantiques et surtout déontologiques qui se posent aux journalistes, spécialement ceux qui racontent le Vatican, et plus spécialement encore ceux qui sont catholiques (qui sont désormais loin d’être la majorité!). Une tâche particulièrement délicate, car le sujet englobe non seulement des faits (ce que le journaliste lambda sait traiter, a priori), mais aussi des considérations spirituelles, qui tiennent à la foi.
La « lecture » du nouveau pontificat, à travers les premiers « signes », lui impose de se remettre en cause, et il l’expose ici en dix points, qui sont autant de jalons pour déchiffrer la personnalité du nouveau pape, tracer un tableau de ce à quoi pourrait ressembler son pontificat, tout en faisant un bilan du précédent (comparatif, même s’il s’en défend).

De François à Léon XIV, dix caractéristiques du changement de pontificat (pour le vaticaniste).

Andrea Gagliarducci
vaticanreporting.blogspot.com
16 juin 2025

Il y a un mois et une semaine que Léon XIV a été élu. Quand un pontificat change, c’est tout un monde qui change pour ceux qui font le Vatican. Les repères changent, les interlocuteurs changent, les sources traditionnelles risquent de devenir peu fiables, parce qu’elles ne sont plus en position d’avoir l’information. 

Qu’y a-t-il donc de nouveau dans ce changement de pontificat ? Et qu’ai-je appris au cours de ce mois et demi ? Voici dix petites caractéristiques, dix détails qui, selon moi, méritent réflexion. 

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1- On est passé d’un pontificat personnel et personnaliste à un pontificat plus collégial. Le pape François avait créé une forme de gouvernement entièrement centrée sur sa personne. Souvent, les décisions n’étaient même pas communiquées à ses collaborateurs, ni même à son cercle restreint. Il en résultait que tout était imprévisible. Léon XIV était un évêque et un cardinal sachant travailler seul. Mais il vit aussi dans la perspective d’une écoute différente, et cela se remarque dès les premiers instants de son pontificat. Léon XIV n’est pas personnaliste. Il est discret, réservé, mais pas imprévisible.

2-   Il y a moins d’improvisation. Le pape François aimait improviser dans ses discours, raconter des expériences personnelles, et reformuler des concepts lorsqu’il lui semblait que la lecture [du texte préparé] ne faisait pas l’affaire. Léon XIV, quant à lui, s’appuyait fortement sur le texte écrit. Il a même écrit le texte qu’il a prononcé depuis la loge de bénédiction lors de sa première sortie en tant que Pape. C’est un pape moins improvisé, et plus fiable en termes de contenu.

3- Cela signifie que l’on peut, que l’on doit étudier tout ce que dit Léon XIV. La communication du pape François était immédiate, directe et, même si elle était influencée par sa vision du monde, son histoire et l’orientation qu’il voulait donner à l’Église, elle devait être prise telle quelle. Léon XIV étudie les détails, les nuances de ses discours sont importantes, et tout ce qu’il fait renvoie, plus qu’à sa personne, à une vision de l’Église.

4-  Léon XIV est le premier pape à ne pas avoir vécu le Concile Vatican II en tant que prêtre, il n’a pas été impliqué dans les débats post-conciliaires, il n’a pas vécu la période de la Grande Polarisation. Prêtre depuis 1982, Léon est davantage le fils du grand travail accompli par Jean-Paul II pour surmonter les polarisations, que le fils du grand « choc des civilisations » qui a suivi le Concile Vatican II. Bien qu’il ait vécu l’ère des «cultural warriors» américains, il est resté un pasteur, probablement aussi intolérant à une polarisation qui ne représentait pas l’Église. Il est le premier pape d’une nouvelle génération.

5- C’est pourquoi ma génération de vaticanistes – la troisième génération – dispose de plus d’outils pour raconter la réalité incarnée par Léon XIV. La troisième génération de vaticanistes s’est formée dans les années 90 et a commencé à travailler au début des années 2000. Elle n’a pas vécu les années du Concile. Elle n’est pas arrivée à ce travail à la suite d’une série de poussées et de convictions idéologiques post-conciliaires. Elle n’a pas connu de manière féroce la catégorisation entre progressistes et conservateurs. Elle la racontait, mais elle devait en apprendre le langage. Au contraire, la vision du monde de Léon XIV est plus proche de celle du vaticanisme actuel, qui reflète en quelque sorte le monde catholique en général. Un monde désireux d’unité, plutôt que de division, tout en conservant ses nombreuses différences. Un monde qui considère certains débats post-conciliaires comme idéologiques, malgré leur force dominante.

6- Léon XIV est un pape calme, réfléchi, qui n’hésite pas à considérer l’importance des gestes. Le pape François avait un univers de valeurs sud-américaines, ce qui l’amenait à négliger – parfois même à mépriser – certains « langages » que l’institution de l’Église en Occident, et la papauté en particulier, utilisaient pour se raconter. Léon XIV, en revanche, utilise tous ces langages. Nous devrons nous réhabituer à connaître les langages pontificaux, à comprendre les symboles dans leur historicité, car Léon XIV montre qu’il veut les utiliser. La liturgie est également plus soignée, et les détails seront importants pour tout comprendre – à commencer par le fait que Léon XIV a décidé de reprendre personnellement l’imposition du pallium aux nouveaux archevêques métropolitains.

7- Raconter Léon XIV, c’est aussi raconter une Église qui a besoin d’être réparée, et cela signifie aussi ne pas passer sous silence les tensions qui ont imprégné le pontificat précédent. Il ne s’agit toutefois pas d’exagérer les tensions, mais plutôt de les mettre en perspective. Le pape François, d’une certaine manière, défiait les journalistes, racontait tout dans un « ici et maintenant » qui devenait parfois problématique. Mais on ne peut pas résoudre les problèmes de l’Église avec le « ici et maintenant ». Tout doit être replacé dans son contexte.

8- La relation avec les sources change parce que la relation du pape avec ses collaborateurs change. Le pape François passait souvent outre ses collaborateurs, et les décisions n’étaient connues que d’un cercle restreint de personnes, quand elles étaient connues. De façon générale, le vaticaniste devait utiliser toutes ses connaissances et ses déductions, s’appuyant souvent sur des ragots pour vraiment comprendre ce que voulait le pape. Mais tout le monde ressentait le besoin d’interpréter le pape. Avec Léon XIV, personne ressent encore le besoin de parler du pape, de l’interpréter, de parler à sa place. Les sources donneront rarement des informations confidentielles. Le pape appellera rarement quelqu’un pour expliquer son point de vue ou annoncer une décision en avant-première.

9. Il faut toutefois espérer un retour à l’ancienne manière de diffuser les informations. Dans une papauté hypercommunicative, ce qui a manqué ces dernières années, c’est la communication. Beaucoup de choses étaient annoncées, peu expliquées. Cela a commencé avec les rapports financiers, toujours publiés l’après-midi et sans conférence de presse. Cela s’est poursuivi avec divers autres petits détails. On est arrivé à la vacance du siège, où de nombreuses décisions qui n’étaient pas parfaitement conformes aux règles n’ont pas été expliquées : pourquoi le cardinal Parolin, qui n’était plus secrétaire d’État, a-t-il accueilli les chefs d’État aux funérailles du pape ? Pourquoi le sceau du pontificat a-t-il été brisé le dernier jour des réunions pré-conclave, qui plus est par une femme ? – ce qui a donné lieu à des équivoques. Les journalistes sont aussi responsables de cela, car ils recherchent parfois des scoops de manière incontrôlée. Mais ils ne sont pas les seuls responsables, car tout devrait être expliqué, du moins si l’on veut éviter les malentendus. Pour l’instant, la communication est encore en train de prendre la mesure du nouveau pape.

10- Au final, il faut toutefois noter que le passage de pontificat indique au vaticaniste que toute comparaison entre les papes risque de ne pas dire toute la vérité. Nous avons les « gardiens de la révolution » du pape François qui tentent de développer une continuité totale entre Léon et François, de manière fallacieuse. D’autres tentent de créer une discontinuité entre Léon et François, en soulignant leurs différences. Mais dans les deux cas, on ne voit pas que ce pontificat est particulièrement original : américain, mais pas nord-américain ; conciliaire, mais pas nécessairement du concile ; décisif, mais pas diviseur. Un pontificat original, qui est original aussi parce que nous sommes face à une nouvelle génération.

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Et nous, face à ce changement générationnel, serons-nous capables aussi de changer le langage, la méthode d’approche du Vatican ? Serons-nous capables de rendre le journalisme du Vatican moins personnalisé et plus approfondi ? C’est le grand défi d’aujourd’hui.

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