Ça, c’était François. Pour Léon XIV, c’est l’inverse. Enfin.
Le quotidien italien « La Repubblica« , navire amiral de la gauche sociétale transalpine et créature de feu Eugenio Scalfari, l’ami intime de Papa Francesco, organise plusieurs fois par an depuis 2012 un « évènement culturel » public, tenu à tour de rôle dans les principales villes italiennes, destiné à réfléchir pérorer autour de grands problèmes économiques, sociologiques et politiques, intitulé « La Repubblica delle Idee » .
Dans la dernière édition (dont l’un des invités était le cardinal ex-papabile Zuppi), il a été question du nouveau pape, un sujet beaucoup plus brûlant chez nos voisins que chez nous.
Don Marion Proietti, prêtre de la Congrégation des Missionnaires du Très Précieux Sang (C.PP.S) commente ici sur sa page FB la phrase-choc qui donne son titre à l’article
(merci à Giuseppe Nardi qui m’a permis de remonter à ce très beau texte).
Quand le Pape « fait » à nouveau le Pape, La Repubblica cesse d’applaudir
Don Mario Proietti (C.PP.S)
Moins Papa Francesco « faisait » le pape, plus il devenait pape.
Cette phrase incisive, prononcée publiquement par Francesco Merlo [éditorialiste de La Republicca] lors de la manifestation « La Repubblica delle Idee », marque un passage symbolique qui mérite d’être analysé en profondeur.
Il ne s’agit pas seulement d’un jugement journalistique sur deux pontificats. Il s’agit plutôt d’une confession publique : l’aveu qu’une partie de la presse laïque a projeté sur la papauté une image utile à son propre dessein idéologique. Tant que le pape s’est laissé modeler par cette attente, il a été célébré. Maintenant qu’il reprend son visage authentique, il est accusé d’être « trop froid ».
Ce jugement, dans sa forme paradoxale, trahit la nostalgie d’une époque où le pape, bien que siégeant sur le trône de Pierre, apparaissait comme un interlocuteur culturel et non comme un témoin du divin.
Moins il « faisait le pape » dans ses gestes, ses symboles, ses déclarations, plus il était perçu comme « l’un des nôtres », proche, accessible, voire vulnérable.
C’était le pape des dialogues avec Scalfari, des silences sur les questions doctrinales les plus épineuses, des poignées de main à la limite de l’ambiguïté. Un pontificat interprété comme une présence amicale dans le débat mondial, plutôt que comme un roc de vérité.
Mais cette représentation avait un coût. Au nom de la proximité, le pontificat a été dépouillé de son aura sacrée, de ses formes liturgiques, de sa fonction prophétique. Certains s’en sont réjouis, d’autres en ont souffert.
Mais maintenant que le pape Léon XIV redonne au ministère pétrinien un profil plus défini, plus structuré théologiquement, plus visiblement conforme à la Tradition, sans jamais attaquer son prédécesseur, ceux qui avaient bénéficié du « vide » se sentent soudain mal à l’aise.
« Trop froid », disent-ils. Comme si la vérité, pour réchauffer, devait perdre sa rigueur.
Merlo a parlé d’un pape qui « fait le pape », et c’est pour cela qu’il ne plaît plus.
Mais n’est-ce pas là le cœur du problème ? N’est-ce pas précisément la fonction même du pape, celle d’être signe de contradiction, maître dans la foi, gardien de la Tradition, pontife et non commentateur, qui est intolérable pour une culture qui ne supporte ni les dogmes ni les autorités spirituelles ?
Lorsque le pape cesse d’être le miroir des aspirations sécularistes et redevient le pilier de la vérité (cf. 1 Tm 3, 15), le charme est rompu.
Pourtant, on ne peut ignorer que tout cela trouve également ses racines dans un passé récent.
Il est indéniable que l’ouverture du pontificat de François à des interlocuteurs tels que La Repubblica, le choix de communiquer par le biais d’interviews non protocolaires, la tolérance envers des interprétations multiples, même sur des thèmes graves tels que l’enfer, le salut, l’Eucharistie, ont favorisé un climat dans lequel la papauté pouvait être traitée comme une opinion parmi d’autres.
Ce climat a alimenté le mythe d’un pape « bon », « libre », « humain ». Mais il s’agissait, au fond, d’une complicité : le monde applaudissait un pape qui semblait avoir renoncé à dire « oui, oui ; non, non ».
Maintenant qu’un autre pape relit son rôle comme un service à la vérité et non au consensus, la perplexité émerge. On ne s’attendait pas à un changement de cap. On n’est pas prêt à réentendre des paroles claires. La papauté redevient ce qu’elle a toujours été dans l’Église : un service à la foi catholique, et non à la communication fluide.
Il est donc normal que ceux qui avaient habitué le public à caresser la religion, sans jamais se laisser convertir par elle, ressentent aujourd’hui le froid d’une confrontation authentique.
Mais ce n’est pas la faute de celui qui « fait le pape » si les autres ne sont plus habitués à écouter sa voix.
Nous pourrions par contre nous demander : qui a favorisé, ces dernières années, cette vision sécularisée de la papauté ? Qui a permis que l’on passe du Vicaire du Christ à « l’évêque de Rome » ? Qui a cessé de corriger les ambiguïtés, par crainte de perdre les applaudissements du monde ? Et qui, aujourd’hui, a le courage de recommencer à parler « comme quelqu’un qui a autorité » (Mc 1, 22), même au prix de l’impopularité ?
Le temps, qui révèle tout, ne fait que rendre au pontificat sa vérité. Et ceux qui aiment vraiment l’Église ne craindront jamais un pape qui fait le pape.