Eh oui, le décompte va encore se poursuivre quelque temps, jusqu’à ce que la nouveauté se soit estompée, et que des choix vraiment décisifs rendent clairs pour tout le monde l’orientation que le nouveau pape entend donner à l’Eglise.
Le site américain traditionaliste Rorate Cæli semble avoir choisi son camp, en privilégiant une approche bienveillante argumentée.
L’article qui suit examine en particulier les premières nominations, et redimensionne comme tempêtes dans un bénitier celles qui ont fait l’objet de polémiques de la part des milieux conservateurs (même celle, problématique, de l’archevêque de Brisbane, le pape n’ayant sans doute fait qu’entériner le choix proposé par le nonce en Australie, un progressiste nommé en 2022)
Bien que confronté à des dilemmes plus immédiats que les papes précédents, le pape Léon semble vouloir ne pas se faire trop d’ennemis dès le début, sans pour autant se montrer mou et timide.
À 69 ans et en bonne santé, il a probablement le temps de mettre en œuvre un retour progressif à la normale, si telle est sa volonté.
Il se peut qu’il souhaite un certain équilibre dans ses futures nominations curiales.
Léon XIV : Les 50 premiers jours
Une analyse
Rorate Cæli
27 juin 2025
Serre Verweij
Cela fait 50 jours que le Pape Léon XIV a été élu, mais le monde n’a pas encore une image claire de lui. Certains cardinaux et vaticanistes semblent se faire une idée plus précise du Pape (qui est apparemment plus orthodoxe que ce à quoi beaucoup s’attendaient au départ), mais globalement, le monde ne le considère pas (encore) comme un nouveau Pape Benoît XVI qui doit être vigoureusement combattu.
Cela commence peut-être à changer avec la réaffirmation par le pape de l’importance du célibat des prêtres et du rôle des évêques pour assurer l’unité et aller à contre-courant, mais, dans l’ensemble, le nouveau pape a adopté une approche beaucoup plus modérée lorsqu’il s’agit de traiter avec les médias, et ne s’engage pas dans un magistère de (présumées) conversations privées.
Les priorités et les positions du Pape Léon en tant que Pape ne deviennent claires que très progressivement. Les groupes d’étude du synode chargés de traiter les questions controversées présenteront désormais leur rapport en décembre plutôt qu’en juin et leur caractère non contraignant a été souligné, tandis qu’Andrea Grillo, le ghost writer de Traditionis Custodes, a été désavoué par sa propre université. Le libéralisme radical est peut-être en train d’être discrètement mis au placard.
Pour l’heure, cependant, les personnes que le pape Léon choisit de promouvoir (ou non) constituent l’indication la plus claire et la plus concrète de ce que ce nouveau pontificat signifie pour l’avenir de l’Église.
Des signes peu clairs et des progrès curiaux lents
Le [choix du] personnel est une [forme de] politique et le pape a été très lent à procéder à des nominations importantes. Jusqu’à présent, sa seule nomination notable a été celle de Tiziana Merletti comme nouvelle secrétaire du Dicastère pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, en remplacement d’un poste laissé vacant par le Pape François. Bien que cette nomination ait fait couler beaucoup d’encre en raison de la nomination par le nouveau pape d’une religieuse au poste de secrétaire du dicastère pour la vie consacrée, suggérant que cela indiquerait un désir de poursuivre les réformes de François, cette nomination n’était pas révolutionnaire et n’en dit pas beaucoup sur le nouveau pape.
Cette nomination était probablement déjà prévue quand le nouveau pape a pris ses fonctions et, plus important encore, puisque le pape François avait déjà nommé une femme au poste de préfet, la nomination d’un évêque au poste de secrétaire d’une femme préfet aurait été, à plusieurs égards, encore plus problématique. La nomination d’une femme secrétaire était présentée comme progressiste, et si le pape avait fait en sorte qu’un évêque devienne le subordonné explicite d’une personne non ordonnée (et dans ce cas, d’une femme), le tollé aurait été bien plus grand. Le pape Léon a malheureusement été confronté à un catch-22 [situation difficile] et a choisi l’option la moins horrible.
Plus significative, cependant, est sa toute récente nomination de dix-neuf nouveaux membres ordinaires au sein de ce dicastère. La majorité d’entre eux (dix) sont des évêques (dont cinq cardinaux) et une supermajorité (quatorze) sont des hommes. Malgré cela, certains commentateurs progressistes ont tenté de faire passer cela pour une mesure révolutionnaire. C’est étrange, car François a nommé sept femmes à ce dicastère en 2019 dans le cadre d’une nouvelle série de nominations, alors que notre nouveau pape n’en a ajouté que cinq, soit un peu plus d’un quart des nouveaux membres. ;
Plus important encore, François a procédé à ces nominations avant de promulguer sa nouvelle constitution curiale Praedicate Evangelium. Cela ne posait pas de problème juridique majeur, car tous les membres ordinaires des dicastères ne doivent pas nécessairement être évêques, ce qui explique pourquoi des prêtres ordinaires et des religieux ont siégé au sein de divers dicastères au fil des ans. Seuls les préfets et les secrétaires généraux devaient traditionnellement être évêques, car ce sont eux qui fournissent les documents contraignants au nom du pape. La raison pour laquelle les préfets de la Curie devaient traditionnellement toujours être évêques est le lien entre les ordres sacrés et l’autorité de gouvernement dans l’Église.
Le pape François a brouillé et sapé cette tradition canonique avec Praedicate Evangelium sans en clarifier toutes les implications. L’affaiblissement de l’autorité épiscopale et l’usurpation de l’autorité par des non-évêques sont le véritable problème, et non la nomination en soi de femmes, lorsqu’il s’agit de postes occupés depuis longtemps par des non-évêques. Cela est d’ailleurs démontré par le fait que les dicastères comptaient des sous-secrétaires féminines sous Jean-Paul II et Benoît XVI. Le nouveau pape ne renforce pas leur présence proportionnelle.
Plus important encore, la plupart des évêques et des prêtres qui ont été nommés sont plutôt orthodoxes.
Trois des cinq nouveaux cardinaux sont modérément à fortement conservateurs ; Marengo et Pizzaballa sont tous deux très populaires parmi les conservateurs et le cardinal Spengler, du Brésil, n’est pas vraiment progressiste, mais un modéré qui, à la fin de l’année dernière, a soudainement semblé devenir plus conservateur, s’opposant à un nouveau rite amazonien et louant la tradition apostolique du célibat sacerdotal. L’inclusion du cardinal Roche, âgé de 75 ans, suggère que le pape Léon ne va pas se lancer dans une purge rapide, mais qu’il va plutôt retirer progressivement les plus âgés.
Les cinq autres évêques sont tous originaires des périphéries, dont trois d’Afrique et un d’Ouzbékistan, tandis qu’un religieux est également africain – la marginalisation du clergé africain à Rome pourrait donc bientôt prendre fin.
Par ailleurs, les véritables nominations qui changeront la donne, à savoir les nouveaux préfets curiaux et les cardinaux, doivent encore être effectuées. En particulier, un nouveau préfet pour le dicastère des évêques doit encore être nommé et il reste à voir si le nouveau pape nommera ou non des femmes ou des laïcs aux postes de préfet, traditionnellement réservés aux évêques.
Filtrage des nominations épiscopales
Pour l’instant, la nomination de nouveaux évêques est l’un des indices les plus utiles pour comprendre l’orientation de ce pontificat. Le pape Léon XIV a progressivement repris la nomination de nouveaux évêques, même sans nouveau préfet dans ce dicastère, en tenant une réunion avec son ancien dicastère quelques jours après son élection.
Quand il était préfet, le cardinal Prevost a dû faire face à l’ingérence excessive du pape François, du secrétaire du dicastère et fidèle de François, Montanari, qui était traité par le pape comme une sorte de pro-préfet, et des cardinaux alliés de François – qui contournaient à la fois Prevost et le nonce dans leur pays, comme par exemple Cupich, Tobin et Omella [Juan José Omella, archevêque de Barcelone depuis 2016 et cardinal depuis le 28 juin 2017. Président de la Conférence épiscopale espagnole. Il a été nommé en mars 2023 au Conseil des cardinaux, « la garde rapprochée de François chargée de l’assister le pape dans la réforme de l’Église »,- La Croix]. Il existait même un réseau informel de cardinaux progressistes en Espagne qui contournait le nonce conservateur et fournissait au pape François des candidats plus libéraux susceptibles d’être nommés évêques.
Nous voyons à présent quel type de nominations reflète le fait que le nouveau pape soit libéré de ces réseaux, ce dont nous avons eu un léger aperçu quand François était à l’hôpital, mourant et dans l’impossibilité de rencontrer des gens comme Cupich. Le nouveau pape Léon a très vite démantelé le réseau des cardinaux progressistes espagnols. Une information qui a d’abord été rapportée par Infovaticana et est maintenant confirmée par The Pillar.
Ce n’est pas rien. Cela montre que le pape Léon avait une vision fondamentalement différente du pape qu’il a servi en tant que préfet, qu’il rejette un exercice trop personnaliste ou despotique de l’autorité papale et qu’il a du respect pour les institutions et l’autorité traditionnelles. En outre, cela montre qu’il est assez éloigné des cardinaux progressistes qui étaient des alliés clés de François, et qu’en moyenne, il favorise des évêques plus conservateurs. On dit qu’il envisage de nommer un nouveau nonce conservateur en Espagne. Entre-temps, Omella semble avoir abandonné son rêve de voir un protégé trié sur le volet lui succéder comme archevêque de Barcelone [voir plus haut – ndt].
Aux États-Unis, le pape Léon a nommé quatre nouveaux évêques : deux évêques auxiliaires devenus évêques diocésains et deux prêtres nommés évêques. Aucun d’entre eux n’est un libéral doctrinal genre Cupich, Tobin, Stowe ou McElroy (ce qui n’a pas empêché certains catholiques de qualifier ces nominations de progressistes, parce que trois des quatre évêques sont nés à l’étranger, même s’ils sont apparemment orthodoxes sur le plan doctrinal).
Malgré leur orthodoxie, l’un des évêques nommés, Mgr Pham, à San Diego, qui a succédé au cardinal radical McElroy, dont il était auparavant l’auxiliaire, a été présenté par les commentateurs libéraux comme un activiste progressiste. Il était également proche de la FSSP, des homeschoolers [partisans de l’enseignement à domicile] et plus critique à l’égard de l’homosexualité, tout cela en contraste flagrant avec McElroy.
Néanmoins, il est présenté comme un progressiste parce qu’il a pris fermement position en faveur des migrants menacés d’expulsion, se présentant avec d’autres membres du clergé pour les défendre devant les tribunaux. Mgr Pham était lui-même un réfugié légal qui est devenu citoyen américain après avoir fui le communisme. Sa position est globalement conforme à celle d’évêques américains conservateurs tels que Broglio et Gomez, le premier étant considéré comme un évêque anti-François et le second comme ayant été injustement écarté du cardinalat. Un évêque conservateur qui est également un militant pro-migrants n’est pas une chose inhabituelle aux États-Unis ou dans une grande partie de l’Église mondiale.
Le controversé Mackinlay en Australie
Une seule nomination épiscopale s’est avérée véritablement polémique : celle de l’évêque Mackinlay en tant que nouvel archevêque de Brisbane et successeur de Mark Coleridge. Il est donc utile de replacer cette nomination dans son contexte.
Comme Coleridge, Mackinlay s’est fait connaître en 2012, dans la phase finale du pontificat du pape Benoît XVI, en défendant d’abord l’Église contre les préjugés anticatholiques et en soulignant que la révolution sexuelle avait favorisé la pédophilie dans les années 60 et 70, et en poussant à l’abaissement de l’âge du consentement. Comme Coleridge, il n’est pas devenu instantanément progressiste sous François. Il a joué un rôle modéré pendant des années lors du controversé cinquième Conseil plénier d’Australie, dont il était vice-président, et les évêques australiens lui ont fait confiance pour les représenter au Synode sur la synodalité à Rome, où il a même fait partie du comité de rédaction du document final. ;
Mais les choses ont changé vers 2022. Les laïcs libéraux et les femmes sont sortis de la salle du Synode en signe de protestation au cours de la phase finale du cinquième Conseil plénier, car les décrets finaux ne soutenaient pas suffisamment les femmes diacres. Ce mouvement a été partiellement récompensé par un compromis qui laissait la décision finale à Rome. Cependant, Mackinlay a fini par exprimer sa consternation devant le fait que l’on n’ait pas fait plus pour promouvoir les femmes diacres.
À Rome, il s’est aligné sur les progressistes modérés, soutenant Fiducia Supplicans tout en affirmant que la doctrine et l’enseignement étaient clairs et ne changeraient pas.
Et en Allemagne, il a assisté en tant qu’invité à une session du Synodal Weg et a soutenu la bénédiction des unions homosexuelles (au mépris du Responsum 2021 de la CDF), tant que ce n’était pas comme la bénédiction d’un mariage, et a également adopté une position molle sur l’idéologie du genre.
En somme, le même homme: un centriste en Australie, un centriste de gauche à Rome, et un gauchiste en Allemagne, semble-t-il…
Pourtant, bien que controversé dans l’Église ces dernières années, il semble avoir conservé le soutien d’une partie importante de l’épiscopat australien. Coleridge lui-même est satisfait de sa succession et pourrait bien avoir poussé à sa nomination. En outre, on dit de lui qu’il est un administrateur compétent. Le nonce en Australie, Charles Daniel Balvo (nommé par le pape François en 2022), a des tendances plus libérales, qu’il a affichées quand il était nonce au Kenya, lorsqu’il a exprimé son accord avec Obama et son désaccord avec l’Église locale sur la question des « droits LGBT ». Il y a donc de fortes chances que Mackinlay ait été en tête de la terna envoyée à Rome par le nonce, et que le pape Léon XIV ait simplement approuvé la décision.
Le fait que le Pape Léon ait autorisé la promotion de ce candidat de premier plan n’est probablement qu’une tempête dans une tasse de thé, et ce pour plusieurs raisons :
1. Puisqu’il remplace un évêque modéré similaire devenu modéré-libéral, peu ou rien n’est changé en pire
2. il n’est pas très controversé en Australie même (contrairement à d’autres évêques comme Mgr Long qui a soutenu l’idéologie LGBT dans les écoles)
3. puisqu’il jouit de la confiance de nombreux évêques australiens, il est peu probable qu’il provoque des tensions aux antipodes.
Un autre archevêque australien nommé par le pape, Anthony Ireland, semble parfaitement orthodoxe.
Toutes les autres nominations effectuées jusqu’à présent ont soit été non contestées, soit se sont révélées en apparence orthodoxes. Les nominations hasardeuses des dernières années de François se transforment en hits quasi-systématiques avec seulement quelques ratés occasionnels, tandis que le rôle traditionnel des nonces est en train d’être rétabli. Mais Mackinlay reste un problème et un signe préoccupant.
Conclusion : Des signes subtils
Bien que confronté à des dilemmes plus immédiats que les papes précédents, le pape Léon semble vouloir ne pas se faire trop d’ennemis dès le début, sans pour autant se montrer mou et timide. À 69 ans et en bonne santé, il a probablement le temps de mettre en œuvre un retour progressif à la normale, si telle est sa volonté. Il se peut qu’il souhaite un certain équilibre dans ses futures nominations curiales.
Malheureusement, après le pontificat précédent, tout ce que fait le nouveau pape risque d’être scruté à la loupe. Pendant ce temps, les progressistes peinent à admettre que le carnaval libéral est peut-être (seulement peut-être) terminé. Comme un puzzle, le pontificat du pape Léon ne deviendra clair pour la plupart des gens que lorsque suffisamment de pièces seront en place.
D’ici là, il faut garder l’œil aiguisé pour ne pas se perdre dans les détails secondaires.