A propos de la laïcisation de McCarrrick
Les (pertinentes) réflexions et les interrogations du blogue <One Peter Five>, en prévision du sommet sur les abus sexuels qui se déroulera cette semaine au Vatican: pourquoi il ne faut pas en attendre grand'chose. Et les menaces qui pèsent sur Farrell, via un "dossier explosif" dont on attend la publication depuis 6 mois. Le moment est-il venu? (17/2/2019)
La laïcisation de McCarrick: Notre point de vue
Steve Skojec
onepeterfive.com
16 février 2019
Ma traduction
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La nouvelle s'est répandue très tôt ce matin que Théodore McCarrick, ex-Cardinal Archevêque de Washington, puissant collecteur de fonds de l'Eglise et faiseur de rois dans la politique ecclésiastique - y compris l'élection du Pape François - avait été reconnu coupable de crimes dépravés par la Congrégation pour la doctrine de la foi et défroqué de force.
Comme punition pour le clergé, c'est l'une des plus sévères. C'était nécessaire. Et pourtant, comme le montrent les premières réactions à la nouvelle, ce n'est pas suffisant pour calmer l'indignation et le sentiment d'injustice parmi les fidèles, qui sont plus que las de l'ignoble corruption ayant infecté non seulement le clergé , mais les plus hauts échelons de la hiérarchie dans l'Église catholique.
La CDF, après avoir enquêté sur les accusations portées contre McCarrick depuis qu'a été révélé pour la première fois l'été dernier qu'il y avait contre lui une accusation crédible d'abus sur un mineur depuis des décennies, a publié un décret le déclarant coupable de «sollicitation dans le sacrement de la confession et de péchés contre le sixième commandement avec des mineurs et des adultes, avec le facteur aggravant que constitue l'abus de pouvoir». Tout cela est, bien sûr, sérieux, mais il y a une dimension sacrilège particulière à la sollicitation dans le sacrement de la confession. Dans une instruction secrète de 1962 de la Congrégation du Saint-Office - depuis lors rendue publique et disponible sur le site du Vatican [uniquement en anglais] - il y a "crime innomable" de sollicitation:
chaque fois qu'un prêtre - que ce soit dans l'acte même de confession sacramentelle, ou avant ou immédiatement après la confession, à l'occasion ou sous prétexte de confession, ou même en dehors de la confession [mais] dans un confessionnal ou un autre lieu désigné ou choisi pour entendre des confessions et avec l'apparence d'y entendre des confessions - a tenté de solliciter ou provoquer un pénitent, quel qu'il soit, à des actes immoraux ou indécents, que ce soit par des mots, des signes, des hochements de tête, le toucher ou un message écrit, à lire soit à ce moment-là, soit après, ou qu'il ait osé impudemment avoir des conversations ou interactions inappropriées et indécentes avec cette personne (Constitution Sacramentum Poenitentiae, §1).
La procédure met en garde: l'instruction devait rester absolument confidentielle, et la rupture de ce silence était passible de la peine de l'excommunication automatique.
Bien que ces règles aient été mises en place pour éviter les scandales et la destruction inutile de réputations, cette approche, avec le recul, était sans doute l'un des plus gros problèmes dans la façon dont l'Église préconciliaire traitait ces questions - et peut-être la raison pour laquelle un code du silence sur les abus continue à ce jour. Depuis, nous avons appris qu'on ne pouvait pas tuer cette maladie en la gardant dans l'obscurité. Elle doit être exposé à la lumière.
Sommes-nous dans une meilleure situation aujourd'hui grâce à la transparence? Oui et non. Il est démoralisant de réaliser à quel point les choses sont devenues mauvaises et combien les actions de certains membres du clergé ont été dépravées. La transparence est également utilisée pour manipuler la perception. Le moment choisi pour l'annonce sur McCarrick, par exemple, montre qu'il s'agit d'un stratagème évident de "public relation". La réunion mondiale des chefs de conférence épiscopale commence la semaine prochaine à Rome pour discuter de la crise des abus sexuels cléricaux, et on nous a déjà dit de modérer nos attentes quant aux résultats. Il semble qu'ils pensent que se précipiter pour prendre une décision, et l'annoncer juste avant le début de la rencontre, va nous faire croire qu'ils prennent tout cela très au sérieux.
Ce n'est pas le cas.
La vérité est que McCarrick n'était plus d'aucune utilité pour le régime. À l'âge de 88 ans, il approche de la fin de sa vie et n'a plus le droit de voter au prochain conclave. Il est vrai que l'âge avancé et l'impossibilité de voter ne l'ont pas empêché de faire ouvertement (et avec succès) du démarchage électoral pour Bergoglio lors du dernier conclave, mais sous le poids d'accusations crédibles d'abus - et d'autres accusations, moins vérifiées mais toujours plausibles, qui sont sorties par la suite - il est devenu politiquement radioactif. Son influence n'a pas seulement été réduite, mais annulée. Et tout homme qui acquiert autant de pouvoir tout en abusant d'autant de personnes avec une telle impunité collectionne nécessairement un nombre impressionnant d'ennemis. Ils ne pouvaient rien faire tant qu'il était encore au sommet, mais une fois devenu vulnérable, il n'est pas surprenant que les représailles aient suivi rapidement.
Plus précisément, grâce au témoignage explosif de l'archevêque Viganò, McCarrick est devenu une énorme responsabilité pour l'homme qu'il a aidé à faire élire à la papauté. Et François, malgré son génie affiché et son humilité devant la caméra, règne non pas comme un berger, mais comme un despote latino-américain vindicatif qui n'aime pas ceux qui lui font défaut ou qui s'opposent à son pouvoir.
McCarrick a dû partir, et cela n'a absolument rien coûté à l'establishment de Rome. S'il n'y a pas d'honneur parmi les voleurs, l'attendons-nous vraiment de membres du clergé qui ont consacré leur vie à la poursuite de péchés qui crient vengeance vers le ciel? Ou de ceux qui, comme François, s'entourent de tels "hommes" ?
Il s'agit d'une démarche qui ne peut pas - et ne doit pas - détourner notre attention de la responsabilité qu'on ne peut raisonnablement pas s'attendre à voir émerger de la rencontre qui se tiendra la semaine prochaine à Rome. Comme l'a dit l'archevêque Viganò dans sa dernière déclaration
«je prie intensément pour le succès du sommet de février», mais il n'y a «aucun signe d'une volonté réelle de traiter des causes réelles de la situation actuelle». Et jusqu'à présent, il n'y a pas eu de réponse à son insistance pour que le pape - qu'il accuse d'avoir couvert les crimes de McCarrick - «dise la vérité, se repente, montre sa volonté de suivre le mandat donné à Pierre et, une fois converti, de confirmer ses frères (Luc 22:32)».
(www.ncregister.com)
L'éminent vaticaniste Marco Tosatti pose la question plus directement aujourd'hui , disant que les questions soulevées par Viganò dans ses témoignages
restent sans réponse du Pape et, étrangement, aucun journaliste ne lui a jamais posé la question après les tentatives frustrées des collègues Anna Matranga et Cindy Wooden. Elles peuvent être facilement résumées:
¤ Quand avez-vous su que McCarrick était un homme pervers, un prédateur homosexuel en série?
¤ Est-il vrai ou faux que Mgr Viganò vous en a informé le 23 juin 2013 ?
¤ Et si oui, pourquoi avez-vous utilisé McCarrick comme votre représentant non officiel aux États-Unis et dans le monde entier, et comme "conseiller" pour les nominations des évêques aux États-Unis et ailleurs?
A noter: lorsque le scandale McCarrick a éclaté, les journalistes du "cercle magique" autour du pape François ont tenté de soulever des doutes sur le fait que Benoît XVI ait réellement imposé des restrictions à McCarrick. La lettre du 7 octobre du cardinal Marc Ouellet [cf. Quand Ouellet marque contre son camp], qui était essentiellement un "but personnel", niait avec véhémence que ces restrictions aient été faites par Benoît XVI. Or, de la manière la plus scandaleusement absurde, l'appareil du Vatican essaie de dire qu'en réalité, il ne s'agissait que de "suggestions"... Telles que.. : "Votre Eminence, ce serait bien si vous pouviez... vous retenir."
Et tous les bons catholiques avalent cela.
Bien sûr, de moins en moins de bons catholiques croient encore au récit "François était innocent et ne savait pas". Même pour les personnes les plus généreuses et charitables, il y a des limites.
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DES QUESTIONS DEMEURENT
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Pour ceux qui suivent l'évolution de cette affaire depuis le début, des questions demeurent. La plus importante d'entre elles est: où y a-t-il un signe de repentir de la part de Theodore McCarrick? Certains se demandent pourquoi, s'il ne veut pas admettre ses nombreux crimes, il n'a pas encouru la peine d'excommunication pour un abus aussi flagrant du pouvoir et de l'influence de son état clérical, et la corruption de séminaristes et de mineurs ?
D'autres veulent savoir s'il y a un crime civil passible de poursuites qui pourrait faire atterrir McCarrick dans une cellule de prison pour le reste de sa vie. Jusqu'à présent, cependant, il semble que ses abus aient été commis il y a assez longtemps pour le protéger à travers la prescription
Le fait que la laïcisation de McCarrick coïncide presque simultanément avec l'annonce que l'un de ses protégés, le cardinal Kevin Farrell, a été nommé camerlingue au Saint-Siège, soulève également des questions. Cela signifie que Farrell - qui a nié toute connaissance des activités illicites de McCarrick bien qu'il ait été l'évêque auxiliaire de McCarrick et qu'il ait vécu avec lui pendant des années - aurait le pouvoir administratif de faire fonctionner le Saint-Siège pendant un interrègne causé soit par la mort ou l'abdication du pape. Bien que largement honorifique, le poste de camerlingue est donné à des hommes d'une influence et d'une stature particulières. Il ne fait aucun doute que cela devrait être perçu comme une preuve de confiance de la part du pape François, malgré l'incroyable ignorance de Farrell au sujet de McCarrick.
Mais c'est un modèle habituel pour Farrell, qui nie aussi avoir eu connaissance des crimes horribles du P. Marcial Maciel, bien qu'il ait passé des années dans une position influente au sein des Légionnaires du Christ et qu'il ait fait fonction de chauffeur utilisé par la Légion pour conduire des personnalités influentes importantes dans les plans de Maciel - un poste de confiance. Selon un autre ancien prêtre de la Légion qui connaissait bien Farrell, le cardinal d'origine irlandaise avait une relation beaucoup plus étroite avec Maciel qu'il ne voudrait le faire croire au public.
Farrell risque d'avoir ses propres problèmes si certaines informations sont révélées. En septembre dernier, la journaliste italienne Francesca Fagnani a rapporté qu'il y avait dans les archives de la CDF un dossier Farrell "similaire" à celui de McCarrick. Jusqu'à présent, ni ce dossier, ni un rapport de 300 pages sur ladite "mafia lavande" commandé par le pape Benoît XVI (que Fagnani affirme avoir vu) n'ont été publiés. Elle a cependant déclaré à l'époque que «si le public prenait connaissance du contenu du rapport, ce serait un désastre pour l'image de l'Eglise, déjà dévastée dans le monde entier par des scandales sexuels». [1]
Si Fagnani et son journal, Il Fatto Quotidiano, attendaient une occasion spéciale pour publier ce qu'ils savent, c'est le bon moment. Mais comme François resserrait les rangs parmi ses alliés et que l'archevêque Viganò vivait dans la clandestinité, craignant pour sa vie à cause de son propre témoignage, la vérité a peut-être été jugée trop dangereuse pour prendre le risque de la publier.
Quoi qu'il en soit, avec des prélats comme les cardinaux Farrell, Blase Cupich et Joseph Tobin en position de pouvoir et d'influence, en plein dans la crise des abus sexuels, Donald Wuerl le successeur d'un cardinal McCarrick tombé en disgrâce pas encore démis de son poste à Washington et à la Congrégation pour les évêques, et un Cardinal DiNardo, accusé de négligence dans l'administration de la conférence épiscopale - pour n'en nommer que quelques-uns - nos attentes pour le sommet - ou pour la réponse générale de l'Église à la crise des abus - peuvent difficilement être plus basses.
Une laïcisation de McCarrick n'y change rien.
NDT
[1] Voir tous les détails sur mon site: Une nouvelle bombe en vue? (8/9/2018)
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