C’est, dit-il (et nous sommes bien d’accord!!) un texte extraordinaire, à redécouvrir 15 ans plus tard, pour en saisir toute la profondeur, et pour mesurer à quel point il avait été à l’époque mal compris et combien on y trouvait tout Benoît XVI et toute sa conception du ministère pétrinien. Magnifique!

24 avril 2005. (Photo Mario Tama/Getty Images)

Occasion de rappeler (cf. Une biographie de Benoît XVI par Peter Seewald… bientôt) qu’est sur le point de sortir en librairie une biographie du Saint-Père par Peter Seewald – un pavé d’un millier de pages annoncé pour la semaine prochaine en Allemagne -, dont les bonnes feuilles commencent à circuler (voir ICI et ICI).
Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.


Quand n’avons-nous pas compris Benoît XVI? La première fois, il y a quinze ans

Andrea Gagliarducci
vaticanreporting.blogspot.com
24 avril 2020
Ma traduction

Si je devais identifier un moment où nous avons commencé à ne pas comprendre Benoît XVI, je dirais certainement la messe au début du ministère pétrinien. Car dans l’homélie qu’il prononça, il y avait tout Benoît XVI en synthèse: son humilité, son programme, ses idées. C’était une vision globale du monde, qui allait bien au-delà des détails. Mais nous avons tous cherché les détails, et nous l’avons fait selon un langage qui non seulement n’était pas celui de l’Église, mais qui n’appartenait même pas à Benoît XVI.

Quinze ans plus tard, il est intéressant de relire cette homélie. Ce n’est pas seulement un exercice de style. C’est, plus qu’autre chose, la nécessité de faire mûrir une prise de conscience. J’ai souvent parlé de la façon dont l’information religieuse est influencée par les catégories et les langages politiques, et j’ai également souligné comment le récit qui se construit devient encore plus important que la réalité. Et l’homélie du 24 avril 2005, lue sans préjugés et avec la possibilité aujourd’hui de faire le bilan du pontificat, contribue précisément à montrer comment Benoît XVI a vraiment été une occasion manquée pour les journalistes.

L’homélie peut être lue dans son intégralité sur le site du Vatican. Je me limite à identifier quelques passages clés.


Benoît XVI commence par une donnée liturgique, le chant des litanies des saints et la mémoire de Jean-Paul II. C’est un acte de foi, mais aussi un acte d’humilité. Il raconte un pape qui ne se sent pas à la tête de l’Eglise, mais se sent vraiment au service de l’Eglise. Au même service que, lorsqu’il a senti ses forces lui manquer, il a décidé de renoncer au ministère pétrinien.

Mais la donnée liturgique sert à Benoît XVI pour affirmer une grande vérité: « celui qui croit n’est jamais seul; il n’est jamais seul dans la vie et pas non dans la mort ». Même les cardinaux en conclave n’étaient pas seuls, mais ils étaient « entourés, dirigés et guidés par les amis de Dieu ». Et Benoît XVI n’est pas seul non plus, il ne doit pas « apporter seul ce qu’en réalité je ne pourrais jamais apporter seul ».

Getty Images

C’est cela, le nœud fondamental dans le pontificat de Benoît XVI. Toute sa vie a été caractérisée par la recherche de la vérité. Et la première vérité, pour Benoît XVI, est la présence de Dieu. Dieu soutient les hommes dans leurs défaillances, et seule l’absence de Dieu conduit aux erreurs des hommes. Ce n’est pas pour rien que le thème de l’absence de Dieu, et de l’homme qui a oublié Dieu, a été crucial pendant le pontificat de Benoît XVI.

Le pape émérite, pourtant, voyait une Église « vivante et jeune » précisément dans le peuple d fidèles qui s’étaient rassemblés sur la place Saint-Pierre pour faire les derniers adieux à Jean-Paul II, l’accompagnant pendant son agonie. « L’Église est vivante – elle est vivante parce que le Christ est vivant, parce qu’il est vraiment ressuscité », a dit Benoît XVI, qui pensait déjà depuis un certain temps à écrire ses volumes sur Jésus de Nazareth, et en particulier ce chapitre sur la Résurrection du deuxième volume sur lequel il a tant travaillé.

Benoît XVI sait que tout le monde attend de lui qu’il donne les lignes directrices de son pontificat dans ce discours. Mais ici, il y a un rebondissement. « En ce moment – dit-il – je n’ai pas besoin de présenter un programme gouvernemental ». Et il ajoute : « Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées, mais de me mettre à l’écoute, avec toute l’Église, de la Parole et la volonté du Seigneur et de me laisser guider par Lui, afin que Lui-même guide l’Église en cette heure de notre histoire ».

C’est un message clair: l’Eglise ne répond pas à des logiques politiques, il n’y a pas de programmes à faire. Il faut comprendre comment faire la volonté de Dieu. Une fois de plus, la question centrale est la foi. Il faut avoir la foi, il faut se tourner vers Dieu, il faut remettre Dieu au centre. Un message que Benoît XVI portera tout au long de son pontificat. Il sera particulièrement visible – et ce n’est pas un hasard – lors de son dernier retour en Allemagne en 2011.

Non seulement à cause de ses discours sur la démondanisation face à une Eglise d’Allemagne qui se satisfait de ses structures, mais avec toujours moins de fidèles. Surtout à Erfurt, le lieu où Luther fut moine augustin, il souligna, lors de sa rencontre avec les luthériens, qu’il savait que tous attendaient un « don œcuménique », à savoir la levée de l’excommunication de Luther. Mais il expliqua qu’il s’agissait justement d’un raisonnement politique, car le vrai don, pour ceux qui croient, est le chemin commun vers Dieu.

Mais que fait Benoît XVI à ce stade de son discours ? Il commente « les deux signes avec lesquels la responsabilité du ministère pétrinien est représentée liturgiquement ». Le message est clair: l’Église doit repartir des symboles, des significations profondes des choses auxquelles on croit. Tout vient de là. La liturgie est l’expression de la foi, et doit être comprise.

Ainsi, Benoît XVI décrit le pallium, qui est « une image du joug du Christ », qui « n’est pas pour nous un poids extérieur, qui nous opprime et nous enlève notre liberté ». Au contraire, « savoir ce que Dieu veut, savoir quel est le chemin de la vie, c’était la joie d’Israël, c’était son grand privilège ». Et c’est aussi la joie des chrétiens, car – comme l’a dit Benoît XVI – « la volonté de Dieu ne nous aliène pas, elle nous purifie – peut-être même de façon douloureuse – et nous conduit ainsi à nous-mêmes ». On peut également lire ici en contre-jour la pensée sous-jacente à l’extraordinaire méditation de Ratzinger durant la Via Crucis en 2005 [cf. Joseph Ratzinger, la communication de la Croix]. Une Via Crucis chargée d’espérance, réduite cependant à la simple dénonciation de « la saleté dans l’Église ».

Benoît XVI va encore plus en profondeur, soulignant que le pallium, fait de laine d’agneau, symbolise aussi « la brebis perdue ou même malade et faible, que le berger met sur ses épaules et conduit aux eaux de la vie », et ceci pour les pères de l’Eglise est l’humanité qui ne trouve plus son chemin.

« Le Fils de Dieu – a dit Benoît XVI – ne tolère pas cela; il ne peut pas abandonner l’humanité dans une condition aussi misérable. Il bondit, abandonne la gloire du ciel, pour trouver la brebis et courir après elle, jusqu’à la croix ».

En somme, le pallium dit que « nous sommes portés par le Christ », dans les nombreuses formes de désert, qui sont, oui, celles « de la pauvreté, de la faim et de la soif, mais aussi de l’abandon, de la solitude, de l’amour détruit, de l’obscurité de Dieu, du vide des âmes, sans plus conscience ».

Et Jésus Bon Pasteur, cela signifie que « ce n’est pas le pouvoir qui rachète, mais l’amour ».


Benoît XVI souligne : « Combien de fois désirerions-nous que Dieu se montre plus fort. Qu’il frappe durement, qu’il vainque le mal et crée un monde meilleur. Toutes les idéologies de pouvoir se justifient ainsi, elles justifient la destruction de ce qui s’opposerait au progrès et à la libération de l’humanité. Nous souffrons à cause de la patience de Dieu. Et pourtant, nous avons tous besoin de sa patience. Dieu, qui est devenu un agneau, nous dit que le monde est sauvé par le Crucifié et non par les crucificateurs. Le monde est racheté par la patience de Dieu et détruit par l’impatience des hommes ».

Dans ces mots, il y a aussi un hymne au fait de se remettre à la volonté de Dieu. Mais il y a aussi toute la douceur de la manière dont Benoît XVI a guidé l’Église. Benoît XVI s’est vraiment mis à l’écoute, et Benoît XVI n’a vraiment pas puni. Il a pris des décisions, mais en regardant toujours au-delà des situations. Il a simplement cherché à se laisser guider par une logique plus grande, et ce faisant, il a donné l’exemple. Son « martyre de la patience » a été en réalité l’œuvre du Bon Pasteur. Une œuvre qui n’a pas été comprise parce qu’elle a été lue avec les yeux de l’idéologie, et non de la foi.

Et donc, Benoît XVI demande de prier. Prier pour que « j’apprenne à aimer de plus en plus le Seigneur » et aussi pour que « je ne fuie pas, par peur, devant les loups ». Mais ne pas s’enfuir demande un courage particulier. Ce n’est pas le courage de l’intrépide, c’est le courage de ceux qui ont l’âme tranquille. Tranquille car en paix avec Dieu.

Puis Benoît XVI explique le signe de l’Anneau du Pêcheur, qui rappelle aussi les deux pêches miraculeuses des Evangiles, et en particulier la seconde, celle d’après la Résurrection. « Aujourd’hui encore, dit Benoît XVI, l’Église et les successeurs des apôtres ont pour mission de naviguer sur la mer de l’histoire et de jeter les filets, de conquérir les hommes à l’Évangile – à Dieu, au Christ, à la vraie vie ».

Là encore, il s’agit de foi. « Nous, les hommes – dit le pape Benoît – vivons aliénés, dans les eaux salées de la souffrance et de la mort; dans une mer de ténèbres sans lumière. Le filet de l’Evangile nous tire des eaux de la mort et nous amène dans la splendeur de la lumière de Dieu, dans la vraie vie ».

Et la mission d’un pêcheur d’hommes est de « sortir les hommes de la mer salée de toutes les aliénations pour les amener sur la terre de la vie, vers la lumière de Dieu » et de « montrer Dieu aux hommes », car c’est seulement là où l’on voit Dieu que la vie commence vraiment ».

Benoît XVI conclut en rappelant que l’image du pasteur et celle du pêcheur sont à présent aussi appelées à l’unité. Et cela a été un thème fondamental dans le pontificat de Benoît XVI. Peu de gens se souviennent de la visite de la mosquée de Cologne, à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse [de 2005]. Peu de gens comprennent que la libéralisation du rite ancien était un moyen de rappeler à l’unité même la « brebis égarée » des traditionalistes qui refusaient le Concile. Peu de gens comprennent tout le travail œcuménique extraordinaire qui a été accompli et dont le pape François aussi récolte les fruits.

Il y avait déjà, dans cette homélie, tout le pontificat. Un pontificat cohérent, celui de Benoît XVI. Un appel à une foi constante qui ne pouvait se terminer que pendant l’Année de la foi qu’il a lui-même proclamée.

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