Deux décès en moins d’un mois (Benoît XVI et le cardinal Pell), l’annonce de l’hospitalisation du cardinal Zen pour des problèmes respiratoires qui, à 91 ans, pourraient être fatals: le début de cette année 2023 n’a pas été une période faste pour la frange « traditionaliste » de l’Eglise. Nico Spuntoni raconte les obsèques du cardinal australien dans sa patrie (« amour et haine ») et surtout, révèle que, bien qu’ayant dépassé 80 ans et n’étant plus électeur, il comptait bien jouer un rôle important lors du prochain conclave, qu’il pensait imminent, ce qui l’avait incité à rester à Rome « au cas où » pour y subir une opération somme toute bénigne: la mort l’a pris, lui aussi par surprise.

Voix, doutes et confessions : l’Église s’interroge sur le pontificat

Nico Spuntoni
www.ilgiornale.it
5 février 2023

Les « conservateurs » lèchent leurs plaies, en à peine plus d’un mois. D’abord la mort de Benoît XVI, puis le décès soudain du cardinal George Pell, maintenant la nouvelle de l’hospitalisation du cardinal anticommuniste Joseph Zen pour des problèmes respiratoires.

2023, qui a commencé quelques heures après la mort de Joseph Ratzinger, ne semble pas être l’année de la chance pour ceux qui se sentent mal à l’aise avec la ligne du pontificat actuel. Cette semaine, en outre, l’acceptation de la démission de Mgr Giampaolo Crepaldi a également été rendue officielle: après 13 ans, il laisse la direction du diocèse de Trieste au prêtre Enrico Trevisi. Bien que le prélat ait eu 75 ans il y a quelques mois seulement, François n’a pas accordé de prolongation et l’a envoyé à la retraite. C’est Benoît XVI qui l’a nommé à Trieste en 2009 et c’est à ce pontificat que Crepaldi a dû se sentir lié, restant l’un des rares évêques italiens « survivants » de cette saison.

Le dernier adieu de l’Australie à Pell

Malgré cela, la mort de Benoît XVI et celle du cardinal Pell semblent avoir redonné, paradoxalement, de la vitalité à un monde assommé par presque dix ans de pontificat bergoglien, celui (pour simplifier) traditionnel-conservateur. En effet, l’affluence extraordinaire et, à certains égards, inattendue, à l’exposition du corps et aux funérailles du pape allemand a éclipsé les divisions qui existaient jusqu’alors et a donné un élan à ceux qui, dans l’Église, ne veulent pas voir s’effacer l’héritage de ce pontificat.

Un effet similaire s’est produit après la mort du cardinal George Pell, véritable point de référence pour ceux qui – sans tomber dans les attaques instrumentales – vivent le cours actuel du gouvernement de l’Église avec une intolérance croissante. Sa mort soudaine a contribué à rendre public son travail en coulisses pour parvenir à une prochaine « normalisation » au sommet de l’Église après ces dernières années. Fort de l’autorité que lui conférait sa persécution médiatico-judiciaire, Pell avait réussi à parler et à être entendu même par des personnalités insoupçonnées. Pell n’a pas comploté dans le dos du Pape : c’était un homme franc et son désaccord s’est manifesté publiquement, comme l’a montré le dernier article au vitriol publié dans The Spectator dans lequel il a fortement critiqué le Synode sur la synodalité voulu par Jorge Mario Bergoglio.

L’estime conquise par le cardinal australien s’est traduite non seulement par les funérailles célébrées au Vatican le 14 janvier et les déclarations faites à son sujet par des cardinaux, des évêques, des hommes politiques et des intellectuels, mais aussi par l’affluence enregistrée à la messe des funérailles dans la cathédrale Sainte-Marie de Sydney qui a précédé l’inhumation dans la crypte.

Haine et amour

Des milliers de personnes, des dizaines d’évêques, des membres de la famille au premier rang. Les derniers adieux de sa Sydney, avec la cérémonie célébrée par son successeur, Mgr Anthony Colin Fisher, ont donné l’image d’une Eglise fière et courageuse tandis qu’à l’extérieur de l’église quelques centaines de manifestants ont souhaité à Pell d’aller en enfer avec des signes et des cris. Dans sa commémoration, son frère David a attaqué les « faux catholiques » qui l’ont abandonné pendant ses jours de prison.

Tony Abbott, ancien premier ministre et grand ami de l’homme, s’est souvenu de lui comme « du plus grand catholique que l’Australie ait produit et de l’un des plus grands fils du pays », ignorant les protestations d’une partie de l’opinion publique qui a dû inciter l’actuel premier ministre Anthony Albanese à ne pas y assister bien qu’il se soit déclaré catholique.

Les dernières confessions de Pell

Le grand émoi suscité par la mort du cardinal a favorisé, ces dernières heures, de nouvelles révélations sur ses dernières confessions.

De l’autre côté de l’océan, en effet, dans le journal The Australian, deux de ses amis, la biographe Tess Livingstone et le jésuite Frank Brennan, ont raconté deux épisodes emblématiques de l’irritation de l’ex-préfet du Secrétariat du Vatican pour les affaires économiques à l’égard du pontificat actuel.

Livingstone a écrit :

En privé, il pouvait être sévère sur le manque de respect pour les morts, comme il l’a été lors de notre dernière conversation, la nuit précédant son entrée à l’hôpital. À cette occasion, il s’est montré irrité par le fait que le Vatican ait autorisé l’ouverture de boutiques pendant les funérailles du pape Benoît sur la place Saint-Pierre, par la piètre prédication du pape François sur son prédécesseur, par l’omission du canon romain au profit d’une autre prière eucharistique et par les bureaucrates de la curie rendant difficile la concélébration des prêtres.

Le père Brennan, quant à lui, après avoir rappelé – comme l’avait également fait Abbott – le rôle important joué par le cardinal lors des deux derniers conclaves, a révélé que Pell « bien qu’il ait plus de 80 ans et qu’il ne puisse pas voter, espérait avoir une influence décisive pour déterminer l’issue du prochain. Lors d’un déjeuner à Rome il y a quelques semaines, il m’a assuré que le prochain conclave n’était pas loin ». Pour cette raison, écrit le jésuite, Pell avait dit à ses amis qu’il ne retournerait pas en Australie pour se faire opérer de la hanche car il « ne voulait pas risquer de se retrouver à l’autre bout du monde après l’opération et avant le conclave ».

L’auteur peut confirmer les deux révélations : il est vrai, comme le rapporte Livingstone, que la manière dont les funérailles de Benoît XVI ont été gâchées avait agacé le cardinal, tout comme il est vrai que, malgré le conseil d’amis et de connaissances de se faire opérer dans son pays ou tout au plus à Londres, Pell avait fortement souhaité rester à Rome car il était convaincu qu’un éventuel conclave pouvait être organisé à tout moment.

Un pontificat troublé

Au lieu de cela, François s’est montré en bonne santé et bien ancré, au point de tenir sa promesse de faire le voyage apostolique en République démocratique du Congo et au Sud-Soudan qu’il avait dû annuler auparavant en raison de douleurs au genou. Et l’Afrique a donné au Pape l’occasion de respirer un climat d’enthousiasme qui manque depuis un certain temps à Rome.

Ce n’est pas seulement le front dit conservateur qui donne du fil à retordre au pontife argentin. L’attaque la plus sévère, en fait, est venue du chef des évêques allemands, l’ultra-progressiste Georg Bätzing, qui a déclaré dans une interview à Die Welt qu’il considérait « cette façon de s’exprimer de la part de la direction de l’Église, par le biais d’interviews, comme extrêmement discutable ». Dans une récente interview accordée à l’Associated Press, le Pape s’était exprimé de manière tranchante sur l’expérience allemande, déclarant que le Synode allemand est « un soi-disant chemin synodal, mais pas de la totalité du peuple de Dieu, mais composé d’élites » et craignant « le danger que quelque chose de très, très idéologique ne s’échappe ».

Le président de la conférence épiscopale allemande n’a pas craint de faire des reproches à Bergoglio, lui reprochant de ne pas avoir soulevé ces objections lors de la récente visite ad limina des évêques allemands. « Nous y avons passé une semaine entière », a fait remarquer Bätzing, « nous nous sommes assis avec le pape François pendant deux heures et demie. Cela aurait été le lieu et le moment pour le pape de nous parler, puis nous aurions pu également lui répondre ».

Ainsi, même en Allemagne, on ne fait pas d’escompte au pape, qui n’a pas bloqué le déroulement du processus synodal malgré les réserves exprimées par la minorité de l’épiscopat national et la Curie romaine.

Aujourd’hui, dans le vol de retour vers Rome, François aura l’occasion de répondre aux questions des journalistes accrédités. Nous verrons si ce sera aussi l’occasion de répondre aux nombreuses critiques qu’il a reçues depuis le début de cette 2023.

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