Nous en avons parlé récemment (*). Le « liberal » John Allen fait un commentaire plutôt équilibré: il ne prend en apparence pas position, selon sa tactique habituelle, renvoyant dos à dos les défenseurs du saint pape et les critiques acharnés – lesquels ont à l’évidence des motivations très éloignées du souci des victimes et, comme par hasard, se recrutent souvent parmi ceux qui sont favorables à toutes les déviances morales et sexuelles.
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Vu de l’extérieur, on peut penser qu’il a raison, mais c’est une autre façon de dire que tout est relatif, tout dépend du point de vue duquel on se place, et qu’il y a plusieurs vérités – ce qui n’est pas le cas. Sans compter qu’il est pratiquement impossible, après tant d’années, et avec toutes les interférences douteuses (dossiers de l’ère communiste) qui ont eu lieu depuis, de démêler le vrai du faux. Et surtout, il faut comprendre et admettre que c’était une autre époque.
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Reste le fait, indéniable, que les très glauques et répugnantes histoires d’abus sexuels dans le clergé (qui sont avant tout les fautes d’hommes, et non de l’institution) sont l’arme idéale pour démolir l’Eglise: ses adversaires ne vont pas s’en priver!
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Il ne reste plus qu’à attendre des avocats plus convaincants que moi, mieux informés et plus talentueux. Je suis sûre qu’ils vont se manifester, beaucoup moins qu’ils seront médiatisés… et entendus.

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Perspectives au milieu des polémiques sur Jean-Paul II et les abus sexuels

John Allen
cruxnow.com

Shakespeare a écrit ces mots fameux:

“The evil that men do lives after them; the good is oft interred with their bones.”

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« Le mal que font les hommes leur survit ; le bien est souvent enterré avec leurs os »

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Marc Antoine dans « Jules César »

.Aujourd’hui, en Pologne, une grande partie du pays insiste sur le fait que ce ne doit pas être le cas pour saint Jean-Paul II, alors que de nouvelles accusations de manquements du défunt pape en matière d’abus sexuels commis par des clercs entrent en concurrence avec de vigoureuses défenses de son héritage.

L’épreuve de force est alimentée par un documentaire récent d’une chaîne de télévision polonaise et un nouveau livre d’un journaliste néerlandais, qui affirment tous deux qu’à l’époque où le futur pape était archevêque de Cracovie, le cardinal Karol Wojtyla était au courant d’accusations d’abus contre un prêtre et qu’il l’avait réaffecté ou s’était efforcé de ne pas ébruiter l’affaire.

Dans un reportage diffusé le 6 mars, la chaîne polonaise TVN a cité trois prêtres que le futur pape aurait affectés à de nouvelles paroisses ou à un monastère après avoir eu connaissance d’accusations d’abus sexuels. Dans un cas, Wojtyla aurait écrit une lettre de recommandation pour un prêtre au cardinal Franz Köning de Vienne, en Autriche, sans mentionner que le prêtre, nommé Boleslaw Sadus, avait été accusé d’abus sur des garçons mineurs.

Selon le reportage de TVN, deux des trois prêtres ont finalement été condamnés à des peines de prison pour abus. La conclusion du rapport est que Wojtyla était au courant des accusations d’abus et qu’il a cherché à les dissimuler.

Le nouveau livre, intitulé Maxima Culpa : Jean Paul II savait, du journaliste néerlandais Ekke Overbeek, porte des accusations similaires. Dans un cas, Overbeek affirme qu’un prêtre qui avait forcé des fillettes de 10 ans à avoir des relations sexuelles orales a avoué son comportement à Wojtyla en 1970, mais que Wojtyla a maintenu le prêtre dans son ministère même après qu’il ait été emprisonné.

« Nous sommes habitués à cette personne empathique, chaleureuse et sympathique » lorsque les gens pensent à Jean-Paul II, a dit Overbeek à l’AFP [!!]. « Mais ici, nous voyons un visage complètement différent de la même personne… l’apparatchik de l’institution-Eglise ».

Les critiques ont fait grand bruit autour du fait que le reportage de TVN et le livre d’Overbeek s’appuient sur des dossiers de la police secrète polonaise de l’époque communiste, qui cherchait à discréditer l’Église catholique et fabriquait souvent des accusations contre des prêtres. La chaîne et Overbeek ont répondu qu’ils avaient également interrogé des survivants d’abus et consulté d’autres témoins, et qu’en tout état de cause, ils ne pouvaient pas s’appuyer sur les archives ecclésiastiques, les responsables de l’Église polonaise ayant refusé de les mettre à leur disposition.

Le brouhaha autour de Jean-Paul II est devenu un enjeu politique, le parti au pouvoir, Droit et Justice, qui entretient des liens étroits avec l’Église catholique, ayant fait de la défense du défunt pape un thème de campagne avant les élections de l’automne prochain. Les dirigeants du parti ont récemment fait adopter par le parlement national une résolution condamnant ce qu’ils appellent « la campagne honteuse menée par les médias […] contre le grand pape saint Jean-Paul II, le plus grand Polonais de l’histoire ».

Au-delà des étincelles politiques, les nouvelles informations sur Jean-Paul II devront être examinées au cas par cas par des historiens et des chercheurs attentifs, et il faudra peut-être un certain temps pour établir le degré précis de responsabilité qui incombe au futur pape.

En attendant, trois points méritent sans doute d’être rappelés.

1 – Premièrement, Karol Wojtyla a été archevêque de Cracovie de 1964 à 1978, une période qui, selon des rapports émanant d’autres pays tels que les États-Unis, l’Australie, l’Allemagne et la France, a coïncidé avec un pic statistique dans les cas d’abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Il n’y a aucune raison a priori de penser que la Pologne devrait être différente, ce qui signifie qu’il s’agirait d’une anomalie frappante s’il n’y avait pas eu de tels cas pendant les 14 années du mandat de Wojtyla, en particulier compte tenu de la taille et de l’étendue de l’archidiocèse de Cracovie.

Pendant cette période, les fautes sexuelles commises par des prêtres étaient généralement assimilées à l’alcoolisme : les prêtres fautifs étaient généralement envoyés discrètement en cure, puis réaffectés, sans que leur passé ne soit révélé. Encore une fois, il n’y a aucune raison de supposer que la compréhension ou la gestion de ces cas par Wojtyla aurait été sensiblement différente de celle des autres évêques diocésains de sa génération.

C’est ce que semble dire le pape François dans une récente interview au journal argentin La Nacion, quand il est interrogé sur les accusations portées contre Jean-Paul II.

« À l’époque, tout était caché », a déclaré François, insistant sur le fait que les choix de Jean-Paul II doivent être « interprétés avec l’herméneutique de l’époque » [on aurait pu attendre une défense plus convaincue].

2 – Deuxièmement, en ce qui concerne la théologie de la sainteté, canoniser un pape n’équivaut pas à déclarer que toute sa carrière ecclésiastique a été exempte d’erreurs.

Je me souviens très bien , par exemple, que quand Pie IX a été béatifié en 2000, les porte-parole du Vatican ont pris soin de souligner que cet acte ne signifiait pas qu’il n’avait jamais commis d’erreur en tant que pape, y compris sa décision de 1849 de forcer les juifs de Rome à retourner dans leur ghetto. La béatification signifie plutôt que, malgré les limites et les échecs humains qui ont marqué son pontificat, Pie IX a fait preuve d’une véritable sainteté de vie, digne d’être imitée.

Si cela s’applique à la papauté, a fortiori cela s’applique aussi aux décisions prises en tant qu’évêque avant de devenir pape.

3 – Troisièmement, par charité chrétienne élémentaire, l’héritage d’une personne ne devrait jamais être réduit à ses pires [!!] jours.

Même si nous supposons que Jean-Paul II a commis des erreurs tragiques [!!] en réponse à la crise des abus sexuels commis par des clercs, à la fois en tant qu’archevêque de Cracovie et même en tant que pape, rien de tout cela n’effacerait la base positive de sa canonisation en 2014. Jean-Paul II resterait le pape qui a inspiré le mouvement Solidarnosc et contribué à la chute du communisme, le pasteur qui a encouragé toute une génération à « ne pas avoir peur » et le prêtre à la foi profonde qui a prêché la miséricorde divine et a même pardonné à l’homme qui a tenté de le tuer.

En d’autres termes, un héritage papal complexe n’est pas automatiquement synonyme d’une auréole ternie. Le défi consiste à rendre justice à la fois aux vertus et aux vices de l’héritage d’une personne – un exercice d’équilibre qui n’est jamais facile, surtout lorsque la politique, la visibilité médiatique et les profits entrent en ligne de compte.

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