La cérémonie du 6 mai prochain sera estampillée « politiquement correct garantie ». Sans être négatifs a priori (car on ne doute pas que ce sera grandiose, et que les critiques, qui ne manqueront pas, viendront de ceux qui souhaitent la fin de la monarchie), et conscients que le Royaume de Sa Gracieuse Majesté britannique est multiconfessionel et multi-ethnique, il faut prendre acte du fait que la Tradition n’est plus ce qu’elle était, et que le mot lui-même est aujourd’hui remplacé par Inclusion. Bref, nous sommes au XXIe siècle, qu’on le veuille ou non.

Le couronnement de Charles III sera à l’épreuve du mainstream

Stefano Chiappalone
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Pour la cérémonie solennelle du 6 mai, rien ne manque, personne ne manque, pas même les bouddhistes et les zoroastriens. À quelques détails près, la liturgie « multireligieuse » présidée par le primat anglican Welby, qui couronnera le souverain britannique et la reine consort, pourra se targuer d’inclusivité, de quota rose et d’un soupçon d’environnementalisme.

Il est clair que l’Angleterre n’est plus celle de saint Alfred le Grand ou de saint Édouard le Confesseur. Le titre de Defensor fidei, accordé au roi Henri VIII par le pape Léon X, a fait long feu en raison de la rupture du souverain anglais avec l’Église de Rome. Mais à la Maison Windsor, même le titre de Defender of the Faith (la foi étant bien sûr la foi anglicane, dont le roi lui-même est le chef), attribué en 1544 par le parlement à Édouard VI, commence à devenir étroite. La question a fait l’objet d’une étude par deux universitaires, Robert Hazell et Bob Morris (Swearing in the New King : The Accession and Coronation Oaths), qui ont également proposé quelques reformulations possibles, immédiatement après la mort d’Élisabeth II et précisément en vue du couronnement de Charles III et de sa reine consort Camilla, qui aura lieu le samedi 6 mai à l’abbaye de Westminster.

Premier portrait peint de Charles III
(Alastair Barford)

Dès 1994, le futur roi avait exprimé sa préférence pour Defender of Faith plutôt que Defender of the Faith : un article de moins qui fait la différence, en faveur d’une foi plus indistincte. Ces dernières années, il a clairement indiqué qu’il ne voulait pas renoncer à ce titre, mais qu’il souhaitait être non seulement « défenseur de la foi », mais aussi « protecteur des croyances » dans ce Royaume-Uni si multireligieux que le locataire de Downing Street est hindou et qu’en Écosse, il y a un premier ministre musulman. La liberté religieuse est une bonne chose, notamment parce que le tournant anglican s’est fait au prix du sang catholique pendant un siècle et demi. Mais le rite qui se déroulera à Westminster, plus que par les exigences de la liberté religieuse, semble dicté par ce désir d’être « inclusif » à tout prix, typique du politiquement correct d’aujourd’hui.

Juifs, musulmans sunnites et chiites, sikhs, bouddhistes, hindous, jaïns, bahaïs et zoroastriens participeront à la procession initiale. Les mots « multiconfessionnel » et « inclusion » sont parmi les premiers à être lus dans le rituel du 6 mai (The Authorised Liturgy for the Coronation Rite of His Majesty King Charles III), qui porte l' »imprimatur » du primat anglican Justin Welby. Cérémonie religieuse, ne l’oublions pas, dans le cadre d’un service qui ressemble à la messe catholique (à l’exclusion de l’invalidité des sacrements anglicans). La présentation de la Bible sera faite par le Modérateur général de l’Église d’Écosse, lui aussi d’une autre confession, puisqu’il est presbytérien – mais il s’agit d’une nouveauté déjà introduite lors du couronnement d’Élisabeth II en 1953. Nous en arrivons au serment d’office, où la référence aux « personnes de toutes confessions et croyances » est incluse dans les mots d’introduction du primat Welby, puis dans la prière du roi, spécialement composée pour l’occasion.

C’est l’hindou Sunak qui proclamera la première lecture : bien sûr, en vertu de son rôle de premier ministre, mais on peut se demander quel sens cela a de faire dire à ceux qui ne croient pas au Seigneur : « Parole du Seigneur ». En revanche, l’Évangile sera confié à la Révérende Sarah Mullah, « évêque » anglican(e?) de Londres. Nous nous contentons ici de souligner le « quota rose », sans entrer dans l’éternelle question du sacerdoce féminin (à propos duquel nous renvoyons à une heureuse expression de l’actuel pontife pour qui les femmes « doivent être valorisées, et non cléricalisées »). Un quota rose également pour la modératrice des Églises libres, la révérende Helen Cameron, qui se joindra pour la bénédiction à ses « collègues » anglicans (Stephen Cottrell, de York, et le primat Welby), grecs orthodoxes (Nikitas Loulias), au secrétaire général de Churches Together in England (Mike Royal) et au cardinal-archevêque catholique de Westminster (Vincent Nichols).

Bipartisan également le chrême avec lequel le souverain sera oint, en provenance de Jérusalem, où il a été consacré conjointement par le patriarche orthodoxe Theophilos III et l’archevêque anglican Hosam Naoum. Il est d’ailleurs notoire que le « panthéon » de Charles III réserve une place particulière à l’orthodoxie, notamment en raison des origines grecques (et donc orthodoxes) de son père Philippe. Et comme son père, Charles est aussi un fervent écologiste : ce point indispensable de son agenda se cache dans la petite burette de chrême, composée – selon la tradition – de sésame, de rose, de jasmin, de cannelle, de néroli, de benjoin, d’ambre et de fleur d’oranger, mais cette fois sans les deux ingrédients d’origine animale, à savoir la civette et l’ambre gris, issus respectivement des sécrétions de la civette et du cachalot.

Oint du chrême « vegan », Charles III pourra ainsi être couronné en toute bonne conscience au terme d’une cérémonie multireligieuse qui, sans dénaturer les éléments substantiels et séculaires, rendra, avec quelques ajouts, l’opération Golden Orb (nom de code du couronnement) à l’épreuve du mainstream.

Poundbury

Il faut reconnaître que le souverain britannique a su aller à contre-courant sur d’autres fronts, par exemple en faisant le maximum en faveur d’une architecture et d’un urbanisme respectueux de l’histoire, de l’identité et de la tradition (allez voir le splendide village de Poundbury, construit par l’architecte Leon Krier à la demande de Charles). Ou encore écraser sans ménagement certains exemples d’architecture brutaliste comme la bibliothèque centrale de Birmingham (« un endroit où les livres ne sont pas conservés mais incinérés », avait déclaré le prince de Galles de l’époque). A plus forte raison : God save the King, Dieu sauve le Roi – même du politiquement correct.

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