La santé du pape, de plus en plus précaire, enveloppe le Vatican dans une atmosphère de fin de règne, la course à la succession est lancée (ce n’est pas une critique de ma part…). Le document du cardinal anonyme qui circule en ce moment fait monter la tension. Et sur tout cela plane la menace d’une modification des règles du conclave. Le point, par Nico Spuntoni.

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Le portrait-robot du nouveau pape

Nico Spuntoni
Il Giornale
3 mars 2024

Dans la semaine où la santé du pape suscite l’inquiétude, un cardinal anonyme rend public un document sur la future élection…

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« Nous ne savons pas si le Conclave est proche, mais nous savons qu’il est sûr ». Cette vieille blague curiale, non dénuée de cet humour noir typique, fréquent chez les prélats, revient à la mode cette semaine. Sujet tabou en public, le Conclave est la première pensée qui vient à l’esprit de nombreux cardinaux. L’âge avancé et la mauvaise santé de François ont remis au goût du jour le débat sur la future élection du nouveau pape.

Le document du cardinal sans nom

Jeudi dernier, La NBQ a publié en exclusivité un document signé par un cardinal anonyme.

Le texte contient un bilan négatif des 11 dernières années et un portrait robot du successeur de Bergoglio. « La tâche du prochain pontificat devra donc être de récupérer et de rétablir les vérités qui ont été lentement obscurcies ou perdues chez de nombreux chrétiens », écrit le cardinal resté anonyme qui a choisi le pseudonyme Demos II, en hommage à un document similaire publié en mars 2022 par le vaticaniste Sandro Magister sur son blog, signé Demos et derrière lequel se cachait le cardinal australien George Pell.

Le premier préfet émérite du Secrétariat pour l’économie, décédé quelques jours après Benoît XVI en janvier 2023, a consacré les derniers mois de sa vie à la préparation d’un mémorandum sur les priorités auxquelles le futur pontife devra faire face. Convaincu que le conclave n’était pas loin, Pell a choisi de travailler à Rome plutôt qu’en Australie ou ailleurs, comme ses amis le lui avaient suggéré. Le cœur du cardinal âgé, déjà éprouvé par des années d’emprisonnement injuste dans son pays, s’est arrêté à la fin de l’opération de la hanche. L’inquiétude du cardinal australien d’arriver sans préparation au prochain conclave n’est cependant pas morte avec lui et est partagée par de nombreux membres du Sacré Collège.

Les priorités du nouveau pape

Demos II, tout comme Pell/Demos l’avait fait dans son mémorandum, ne s’est pas limité à un diagnostic de la situation actuelle de l’Église, mais a également indiqué les points à partir desquels, selon lui, il faudrait repartir. Le document anonyme énonce:

« Le pape est le successeur de Pierre et le garant de l’unité de l’Église. Mais il n’est pas un autocrate. Il ne peut pas changer la doctrine de l’Église et ne doit pas inventer ou modifier arbitrairement la discipline de l’Église. Il gouverne l’Église collégialement avec ses frères évêques dans les diocèses locaux. Et il le fait toujours dans la continuité fidèle de la Parole de Dieu et de l’enseignement de l’Église ».

Les indications concernant le nouveau pape partent presque toutes d’une critique de l’actuel. Par exemple, Démos II affirme que « l’ambiguïté n’est ni évangélique ni accueillante. Au contraire, elle nourrit le doute et les impulsions schismatiques », avant de préciser que « les questions doctrinales ne sont pas des fardeaux imposés par des ‘docteurs de la loi’ insensibles ».

Le cardinal anonyme écrit que « parmi les signes du pontificat actuel, il y a une confiance excessive dans le motu proprio comme instrument de gouvernement et un mépris général et une aversion pour les détails canoniques », appelant son successeur à respecter le droit canonique.

Un autre besoin indiqué est la réduction des voyages apostoliques à travers le monde.

L’auteur écrit :

« Le Vatican lui-même a besoin de toute urgence d’un renouveau des mœurs, d’un nettoyage des institutions, des procédures et du personnel, et d’une réforme approfondie des finances pour se préparer à un avenir plus difficile. Ce ne sont pas de petites choses. Elles exigent la présence, l’attention directe et l’engagement personnel de tout nouveau pape ».

Enfin, Demos II pointe du doigt la façon dont François a traité le collège des cardinaux au cours de ses 11 années. Pour le cardinal anonyme, « le pontificat actuel a mis l’accent sur la diversification du collège, mais n’a pas réussi à réunir les cardinaux dans des consistoires réguliers visant à favoriser une véritable collégialité et la confiance entre les frères », de sorte que « beaucoup des électeurs qui voteront lors du prochain conclave ne se connaîtront pas vraiment, et pourraient donc être plus vulnérables à la manipulation ».

Le final est une critique en règle du pontificat bergoglien. Demos II, à ceux qui se demanderaient pourquoi il a choisi de rester anonyme, fait savoir que « la réponse devrait être évidente pour quiconque connaît l’environnement romain actuel » et se trouve dans le fait que « la franchise n’est pas la bienvenue et que ses conséquences peuvent être désagréables ».

Le document souligne la contradiction qui existe entre la « forte dépendance de l’actuel pontificat à l’égard de la Compagnie de Jésus, le récent travail problématique du cardinal Fernandez au Dicastère pour la doctrine de la foi et l’émergence d’une petite oligarchie de confidents à l’influence excessive au sein du Vatican » avec les « revendications de décentralisation synodale ».

La réforme du Conclave

Le document a circulé dans le monde entier, notamment au Vatican. Le cardinal chinois Joseph Zen Ze-kiun l’a relancé sur ses profils sociaux, montrant vraisemblablement qu’il en partage le contenu.

Mais sur l’espoir d’un nouveau pape qui partira du programme présenté par Demos II plane la possibilité d’une réforme du Conclave qui pourrait rebattre les cartes.

En décembre dernier, la vaticaniste américaine Diane Montagna avait la première lancé sur The Remnant la rumeur d’un projet de document en cours d’examen par le pape visant à supprimer les congrégations générales, à réorganiser le travail en petits groupes comme au Synode et aussi à faire des religieuses et des laïcs des électeurs. Un scénario révolutionnaire, anticipé dans un livre datant de 1975, écrit par Franco Bellegrandi, ancien cameriere di spada e cappa [chambellan d’épée et de cape] de Sa Sainteté jusqu’en 1973. L’ouvrage intitulé Il portone di bronzo (La porte de bronze) naissait dans le contexte de la forte opposition d’une partie de l’ancienne cour papale aux réformes de Montini et faisait également état d’un dialogue entre l’auteur et un fonctionnaire de la Secrétairerie d’État sur l’hypothèse d’une réforme du Conclave qui aurait nécessité l’implication des laïcs, en exposant les problèmes que ce choix aurait entraînés.

Cette semaine également, une voix autorisée comme celle de l’historien Alberto Melloni s’est exprimée sur une éventuelle réforme du Conclave.
Le principal représentant de l’école dite de Bologne, après avoir rejeté Fiducia supplicans en la jugeant « inutile », « inefficace » et « vulgaire », s’est prononcé en faveur d’une réforme du Conclave dans Il Mulino [une revue catho-progressiste, ndt], mais d’un point de vue différent, écrivant qu’ « il ne faut en fait pas beaucoup d’imagination pour comprendre que le Collège des cardinaux devra protéger l’élu du risque qu’il soit délégitimé par une accusation construite pour diviser les cardinaux entre ceux qui contesteront l’élection d’une personne indigne et ceux qui, au contraire, considéreront l’élection comme valide dans tous les cas, au moins par présomption d’innocence ».

Selon le titre de l’article, Melloni a appelé à un Conclave « plus lent », prévoyant un allègement des bulletins de vote et donc un vote par jour et un jour de congé. Le professeur a déclaré qu’il pensait qu’il était probable que François réforme le Conclave, mais n’a pas caché ses doutes sur la façon dont il le fera, arguant que « les canonistes auxquels il a confié des actes de réforme très importants ne semblent pas avoir le talent ecclésiologique d’un Eugenio Corecco ni la virtuosité juridique d’un Mario Francesco Pompedda ».

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