Le blog Campari & De Maistre [titre « à clés », assez transparent] compte parmi ces publications de qualité qui se sont épanouies grâce à et autour de Benoît XVI, et qui ont ralenti le rythme de leurs publications voire disparu après sa renonciation du 11 février 2013. C’est donc un grand plaisir de les retrouver ici, dans une réflexion que je partage largement. Elle est sans doute volontairement polémique, et certains tradis en prennent pour leur grade, mais il y a de quoi. Selon l’auteur, ce sont les catholiques conservateurs « ultras » qui ont eu le scalp de Benoît XVI… et qui ont suscité François (puisque le « péché originel », pour eux, c’est la renonciation, et c’est SA faute exclusive)
.
L’auteur avait déjà écrit un article sur le sujet en 2016 [benoit-et-moi.fr/2016/..des-catholiques-conservateurs-contre-benoit-xvi] , à l’époque, il ciblait Alessandro Gnocchi, mais depuis lors, la liste des critiques du monde traditionnel s’est encore étoffée.
.
En passant, il épingle sans le nommer un auteur siennois, en fait Antonio Socci qui, après avoir écrit des articles enflammés anti-Bergoglio et un best-seller développant la thèse de l’invalidité de son élection (Non è Francesco, j’en ai beaucoup [trop] parlé) a inexplicablement retourné sa veste et est devenu l’un des plus zélés admirateurs de François.

Ratzinger trahi, nous avons mérité Bergoglio

campariedemaistre.blogspot.com/2025/05
 Paolo Maria Filipazzi

Quelques jours se sont écoulés depuis la mort du pape François, et plus le conclave qui devra élire son successeur approche, plus nous percevons les années qui viennent de s’écouler comme lointaines, alors qu’à l’heure où j’écris ces lignes, il ne s’est passé que 11 jours.

C’est fini.

Quel que soit le déroulement du prochain conclave, qu’il élise un pape de la continuité ou de la rupture, conservateur ou progressiste, saint ou scélérat, ce sera une autre histoire. Ce que nous avons vécu jusqu’au 21 avril dernier est terminé.

. . .

Avant de tourner la page, il est cependant nécessaire de jeter un dernier coup d’œil en arrière, et de dire enfin certaines choses que nous avions jugé jusqu’à présent qu’il n’était pas opportun de dire, du moins pas en entier. Nous ne savons pas si cela servira à quelque chose de les dire maintenant, probablement à rien si ce n’est à nous soulager d’un poids.

Partons de ce 11 février 2013 qui, aujourd’hui, lui aussi, nous semble bien lointain.

Benoît XVI avait été une figure tragique et, jusqu’alors, apparemment héroïque, avec sa tentative de témoigner de la vérité catholique à un monde qui la rejetait et de rétablir une doctrine correcte au sein d’une Église en désarroi depuis des décennies.

Mais ceux qui l’ont coulé, ce ne sont ni les laïcistes qui l’ont bombardé de l’extérieur, ni les modernistes qui ont fait de même de l’intérieur. Ce sont ceux dont on aurait pu attendre qu’ils se rallient à lui. Au contraire, dans ce monde dit « traditionaliste », une attitude frileuse et bienpensante s’est largement répandue : Benoît XVI, disait-on, n’en faisait pas assez, il était trop timide, voire, pour certains, c’était un imposteur qui voulait effacer la Tradition en faisant semblant de vouloir la restaurer.

Moralité : pour reprendre une phrase du film The Dark Knight de Christopher Nolan, Benoît XVI était le pape dont nous avions besoin, mais celui que nous ne méritions pas.

Ce que nous avons amplement mérité, c’est sa renonciation.

Après lui est venu François, le pape dont nous n’avions pas besoin, mais que nous méritions.

Oui, nous avons mérité cette torture, et nous l’avons méritée tout au long des douze années qu’elle a duré.

Bergoglio a eu une énorme responsabilité négative, qui est double : avoir exaspéré la crise doctrinale que Benoît XVI avait tenté, sinon de résoudre, du moins d’endiguer, et avoir imposé à l’Église un style de gouvernement despotique, népotiste et, en même temps, bizarre et agité.

Cela a provoqué un profond malaise chez de nombreux fidèles, auquel une petite partie de la hiérarchie et de la culture catholiques a donné une voix légitime et méritée.

Toutefois, cette situation s’est accompagnée de l’émergence d’un « anti-bergoglisme » qui s’est présenté comme un phénomène folklorique à forte connotation caricaturale et grotesque, alimentant et nourrissant en même temps, dans un cercle vicieux, le conspirationisme, le sensationnalisme scandaleux, le sédévacantisme et même le pseudo-millénarisme et, bien entendu, continuant à bombarder non seulement l’habituel Benoît XVI, présenté comme le précurseur de Bergoglio, mais aussi les cardinaux ou évêques qui ont tenté de tenir le gouvernail, accusés d’être eux-mêmes trop fades sinon le miroir de la « fausse Église bergoglienne », comme ils ont unilatéralement rebaptisé l’Église catholique.

Cette niche délirante a, en fait, saboté tout ce qu’elle prétendait défendre, discréditant l’ensemble du monde des catholiques traditionnels aux yeux de nombreux fidèles honnêtes, générant un durcissement d’une grande partie du clergé, et donnant du grain à moudre à ceux qui, à commencer par le pape, auraient voulu son annulation.

Regardons les choses en face : tous ceux qui ont été proches de la Messe traditionnelle savent bien que chaque fois que, dans un diocèse, il s’agissait de traiter avec la curie pour obtenir la célébration de l’ancien rite ou pour éviter sa suppression, l’un des problèmes les plus graves s’avérait être le comportement gratuitement provocateur d’un débile qui, se présentant comme l’extrémiste de la cause, risquait de provoquer sa disparition, quand il ne la suscitait pas pour de vrai

Pendant des années, nous avons souffert et nous nous sommes offusqués des insultes directes que Bergoglio adressait à ceux qu’il qualifiait de « rigides », d’« indietristi » et autres. Soyons honnêtes : nous ne correspondons pas tous à ces descriptions, ce qui justifie que nous nous offusquions, mais combien en connaissons-nous qui sont exactement comme cela ? On dira que Bergoglio et consorts généralisent à tort et à travers. C’est peut-être vrai. Mais si ces gens n’avaient pas été là, ils auraient eu une arme polémique de moins.

Et puis, pour être honnête jusqu’au bout : ceux à qui nous avons affaire sont-ils simplement des imbéciles ou sont-ils eux-mêmes malhonnêtes ? Il suffirait de voir les réactions paradoxales d’exultation face à des faits négatifs, notamment l’émission du motu proprio Traditiones Custodes : ils n’étaient pas intéressés par les dommages causés, mais par le fait de pouvoir dire que l’événement prouvait qu’ils avaient raison. Ils n’étaient pas intéressés par la résolution de la crise de l’Église, mais, au contraire, ils se sentaient très bien dans la crise de l’Église, puisque que c’était le scénario nécessaire pour que chacun d’eux continue à jouer son propre personnage et à affirmer sa supériorité morale, intellectuelle et doctrinale.

Et allons jusqu’au bout : rappelons que la première personne à se demander si Bergoglio était le pape légitime n’était pas le pauvre Andrea Cionci, mais un très célèbre journaliste catholique de Sienne qui, après avoir amassé beaucoup d’argent avec trois livres à l’origine de la mythologie de l’anti-bergoglisme folklorique, est tranquillement retourné écrire des articles sur la Madone et Padre Pio pendant que le monstre sévissait.

Bref, non seulement nous avons mérité la punition, mais nous ne nous sommes même pas amendés et nous la mériterions encore et encore et encore… Nous mériterions un François II, élevé au carré.

Mais nous n’aurions pas non plus mérité que le Christ souffre sur la Croix pour nos péchés, et pourtant il l’a fait, parce que c’est ce dont nous avions besoin.

Mots Clés :
Share This