Le NYT, tête de pont planétaire du système, prend acte de la perte d’influence du Pape – du Pape en général, pas forcément de celui-là. Même sans partager leur point de vue évidemment anti-russe, les propos inconsidérés de François, désireux de faire parler de lui et mû par la vanité d’être un acteur politique majeur dans un processus complexe où tous les autres auraient échoué, ont mis en difficulté les efforts de paix qui auraient pu par ailleurs être tentés en coulisses par la diplomatie de Saint-Siège.

La « mission » secrète pour la paix en Ukraine pourrait montrer les limites de l’influence du pape

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(Jason Horowitz, The New York Times)

Depuis que François a fait une référence sibylline à un effort de paix du Vatican, la suggestion a suscité le démenti ou la perplexité des protagonistes de la guerre. —

La mission secrète révélée il y a quelques jours par le pape François pour ramener la paix entre la Russie et l’Ukraine est si secrète que la Russie et l’Ukraine affirment ne rien savoir.

Le Kremlin a déclaré mardi qu’il n’avait aucune idée de ce dont parlait le pape. « L’Ukraine n’est pas au courant », a déclaré l’ambassadeur ukrainien auprès du Saint-Siège, Andrii Yurash, lors d’une interview mercredi, ajoutant qu’il avait prévu une réunion pour jeudi avec le ministre des affaires étrangères du pape. « Je ne manquerai pas de lui demander de quoi il s’agit »

Plus tard dans la soirée de mercredi, le second du pape et chef de la diplomatie, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, a déclaré aux journalistes que « à ma connaissance, ils étaient et sont au courant » du plan de paix, ajoutant que le démenti des gouvernements « me surprend ».

L’apparente perplexité des parties au conflit et la confusion autour de l’existence d’un plan ont contribué au sentiment que l’influence du pape en tant qu’acteur géopolitique et artisan de la paix – qui a déjà été mise à mal dans des pays tels que Cuba, le Sud-Soudan et le Myanmar – ne s’étendait pas à l’Ukraine.

Certains partisans de l’Ukraine craignent que, dans son empressement à jouer un rôle constructif, François ne se réduise à un pion pour des personnalités comme le président russe Vladimir V. Poutine ou l’Église orthodoxe russe, qui a cherché à donner une légitimité religieuse à l’invasion.

Lors d’une visite à Budapest le week-end dernier, François a rencontré en privé le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a souvent défendu la Russie, ainsi qu’un haut prélat de l’Église orthodoxe russe en Hongrie, le métropolite Hilarion. Dans l’avion du retour, des journalistes ont demandé à François s’il pensait que les deux hommes pourraient accélérer le processus de paix ou faciliter une rencontre entre François et M. Poutine.
François a répondu par une référence énigmatique à « une mission en cours, mais qui n’est pas encore publique » pour ramener la paix, ajoutant « quand elle sera publique, j’en parlerai ».

Interrogé sur ces commentaires, le bureau de l’archevêque Paul Gallagher, ministre des affaires étrangères, a répondu qu’étant donné que la « question est en cours d’examen », il ne pouvait pas fournir d’informations pour le moment, « mais qu’il le ferait dans un avenir proche ».

Mais le peu que l’on sait de cet effort a suscité soit le démenti (le métropolite a déclaré mercredi qu’il n’avait pas eu de conversation sur un plan de paix avec François), soit la perplexité, soit un profond scepticisme de la part d’observateurs informés.

« Le pape n’est pas dans le coup », a déclaré Lucio Carraciolo, rédacteur en chef de la revue italienne Limes [revue de géopolitique de gauche], spécialisée dans les affaires étrangères. En décembre, il a organisé un événement à l’ambassade d’Italie auprès du Saint-Siège avec le cardinal Parolin, qui a appelé à une « conférence de paix européenne » pour aider à mettre fin à la guerre.

« Comment un pape catholique peut-il être un médiateur dans un environnement orthodoxe ? a dit Carraciolo, ajoutant qu’avec François, l’Église « n’a aucune compétence [/légitimité] dans ce type de guerre ».

Néanmoins, le Vatican a activement tenté de s’engager avec les deux parties, travaillant sur la libération de prisonniers et promettant aux Ukrainiens qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour aider au retour des enfants enlevés par la Russie. Mercredi, un ancien fonctionnaire du Vatican a parlé à la presse italienne d’un plan en sept points pour un processus de paix qui prévoyait de réunir les principales parties prenantes autour d’une table avec la médiation du Vatican.

M. Yurash, l’ambassadeur ukrainien, a déclaré que le Vatican avait toujours exprimé le souhait d’être impliqué dans une éventuelle négociation de paix et que, pour ce faire, ses fonctionnaires lui avaient dit qu’il fallait garder ouverts les « ponts » et les « lignes » avec la Russie.

Mais il a noté que le Kremlin avait à plusieurs reprises repoussé les ouvertures du Vatican pour une rencontre papale avec Poutine, dont François a dit à plusieurs reprises qu’elle serait une condition préalable à une rencontre avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Yurash a affirmé que l’Église orthodoxe russe essayait d’obtenir une « légitimité » par le biais de ses relations avec le Vatican pour des « objectifs évidents de propagande russe ».

« Pour ma part, je ne comprends pas très bien pourquoi le Saint-Siège essaie toujours de maintenir cette relation très spéciale avec l’Église russe et l’État russe », a-t-il déclaré, ajoutant que le peuple ukrainien, qui souffre déjà d’une invasion, « ne peut pas comprendre » la position du pape.

François a rappelé à plusieurs reprises que le premier jour de la guerre, il avait appelé Zelenskyi, puis, pour faire ce qu’il a appelé un « geste clair » de son ouverture au dialogue, il avait rendu visite à Sergueï Avdeïev, l’ambassadeur de Russie auprès du Saint-Siège.

Dans l’avion qui le ramenait de Budapest, il a qualifié Avdeïev de « grand homme, un homme comme il faut, une personne sérieuse, cultivée et équilibrée ».

Avdeïev n’a pas répondu à une demande de commentaire.

L’ouverture de François au dialogue a également suscité des critiques, en particulier au début de la guerre, en raison de sa neutralité jugée moralement discutable face à l’agression manifeste de la Russie.
La réticence du pape à désigner la Russie comme l’agresseur a fini par susciter des critiques de la part de l’Ukraine et des avertissements selon lesquels il risquait de se retrouver du mauvais côté de l’histoire, avec les historiens invoquant Pie XII, qui a gardé le silence sur l’Holocauste d’Hitler.

En mai 2022, François s’est demandé, dans une interview accordée au Corriere della Sera, si « les aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie » n’avaient pas « facilité » la colère du Kremlin qui a conduit à l’invasion.

Mais dans la même interview, il a semblé nuire à son statut d’intermédiaire honnête en déclarant qu’il avait signalé au patriarche Kirill I, le chef de l’Église orthodoxe russe basée à Moscou (qu’il a passé des années à courtiser pour réparer une scission entre les Églises occidentale et orientale remontant à 1054), que « le patriarche ne peut pas être transformé en enfant de chœur de Poutine ».

Après avoir condamné la Russie en tant qu’agresseur, François a comparé le comportement de la Russie aux massacres perpétrés sous Staline et a constamment soutenu les Ukrainiens et attiré l’attention sur leur situation.

Mais, selon Carraciolo, les opinions divergentes du pape pourraient charitablement être qualifiées de « casse-tête » qui a généré de la confusion et a effectivement disqualifié le pontife en tant qu’interlocuteur potentiel.
Révéler un effort après avoir rencontré des acteurs plus proches du camp russe à Budapest n’était « pas intelligent », a-t-il déclaré, ajoutant également que « si c’est secret, il faut le garder secret ».

Depuis le début de son pontificat, François s’est lancé dans des conflits réels dans l’espoir d’avoir un impact réel, et pas seulement moral, sur la scène mondiale. Mais après un premier succès en jouant un rôle dans une percée diplomatique historique entre Cuba et les États-Unis en 2015, ses efforts ont rarement porté leurs fruits.
Cuba, où il a envoyé un émissaire pour obtenir la libération de prisonniers politiques, ne les a pas libérés. En 2019, il s’est agenouillé au Vatican et a baisé les pieds des dirigeants du Sud-Soudan, les implorant de mettre fin à une guerre civile qui dure depuis des années. Mais en février, il a reproché aux dirigeants de la capitale du pays, Juba, d’avoir replongé dans la violence.

Flavio Lotti, qui organise chaque année une marche pour la paix entre Pérouse et Assise, a déclaré que la voix forte du pape sur les questions de paix, de désarmement et de soutien aux migrants « rend François unique, mais ne le rend pas plus fort ».
Néanmoins, Lotti a déclaré que François était un « phare » important pour tous ceux qui cherchent à mettre « les conditions des personnes réelles au cœur des problèmes géopolitiques. C’est en essayant qu’on y arrive ».

Même si certains partisans de François s’inquiètent du fait qu’il risque de donner l’impression d’être géopolitiquement impuissant si aucun plan ne se concrétise ou n’est mis en œuvre, il est clair pour l’instant que le pape est redevenu un centre d’attention [était-ce le seul but recherché?]. Yurash a déclaré avoir reçu une avalanche d’appels de la part de ses collègues ambassadeurs au Vatican, y compris des États-Unis, qui lui demandaient ce qu’il savait.
Alors que l’ambassadeur montrait dans son bureau des photos de lui avec François et le cardinal Parolin et montrait un animal en peluche, déchiqueté lors d’une attaque russe, qu’il espérait offrir au pape pour lui rappeler les souffrances des enfants du pays, son téléphone a sonné.
« L’ambassadeur de Pologne », dit-il en s’excusant. « Tout le monde m’appelle ».

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