« La nouvelle hospitalisation du pape François laisse de nombreuses questions en suspens. On se demande notamment quelles initiatives le pape poursuivra et lesquelles resteront en suspens. On se demande quels sont les projets du pape et si cette nouvelle intervention chirurgicale les a modifiés. On se demande surtout quel sera l’héritage du pape François. ». Dans sa chronique hebdomadaire de Monday Vatican, Andrea Gagliarducci tente de dépasser le contingent, et s’interroge sur le futur. De François, bien sûr, mais aussi de l’après-François.

Peut-on dire que l’héritage du pape François risque d’être avant tout la confusion ? Est-il légitime de penser qu’après ce pontificat, il faudra remettre les morceaux en place et donner à tout une nouvelle forme et une nouvelle structure ?

Pape François, quel futur?

Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
12 juin 2023

La nouvelle hospitalisation du pape François laisse de nombreuses questions en suspens. On se demande notamment quelles initiatives le pape poursuivra et lesquelles resteront en suspens. On se demande quels sont les projets du pape et si cette nouvelle intervention chirurgicale les a modifiés. On se demande surtout quel sera l’héritage du pape François.

Ces questions vont bien au-delà de la question de savoir qui sera le prochain pape. Il y a, bien sûr, des débats sur le successeur possible du pape François, qui existent depuis un certain temps. Ce n’est pas nouveau. Cela a toujours existé, même avec les papes précédents.

Mais la discussion sur l’héritage du pape et sur ce que le successeur est appelé à faire est différente.

Dans la situation actuelle, quel est donc l’héritage du pape François ?

Tout d’abord, le collège des cardinaux a profondément changé. Le pape François a créé les deux tiers des cardinaux appelés à voter pour son successeur. Le critère du pape a été de se tourner vers les personnes plutôt que vers les bureaux ou les diocèses. Il y a donc de nombreux cardinaux qui, en réalité, ne sont pas issus de l’ « école romaine » et qui connaissent très peu la Curie.
Mais le vrai problème est que les cardinaux ne se connaissent pas entre eux. Il n’y a eu que trois consistoires pour les débats généraux, qui ont eu lieu au cours des deux premières années et de la dernière année de son pontificat. Ete dernier débat a été un débat fermé, ce qui a empêché les échanges et a laissé des idées de côté.

Le pape François laisse un collège de cardinaux plutôt dispersé qui doit trouver un moyen de s’unir. L’idée est que l’on voit mieux le centre depuis la périphérie, comme l’a dit le pape François au début de son pontificat. Or, il n’y a plus de centre.

Il y a actuellement 121 cardinaux électeurs. Ils seront 113 à la fin de l’année. Selon une rumeur persistante, le pape serait sur le point de convoquer un consistoire pour « couvrir » ce trou, dépasser à nouveau le nombre de cardinaux électeurs et marquer ainsi davantage le Collège des cardinaux de sa vision du monde. Pour l’instant, le pape n’a pas encore convoqué de consistoire. L’accent est mis sur une nouvelle « fournée » de cardinaux à l’automne, mais avec ce pape tout est incertain.

Et pourtant, il y a une question. Le pape François n’a jamais formellement dérogé au nombre maximum de cardinaux pour un conclave, fixé à 120 par la constitution apostolique Universi Dominici Gregis. Quand Jean-Paul II a dépassé ce nombre, il a écrit que la décision était « en dérogation à la législation existante ». Le pape François n’a jamais mentionné de dérogation. Dans ces conditions, il se pourrait même que le Conclave ne soit considéré comme valide qu’avec 120 cardinaux électeurs, et donc que les cardinaux les plus récemment créés se retrouvent en dehors du Conclave.

S’agit-il uniquement de questions réglementaires ? Pas tout à fait. Le problème d’un conclave est que personne ne devrait en contester la validité. D’autre part, dans ces questions, il ne s’agit pas du nombre de cardinaux, mais du rôle des cardinaux en tant que tel. Le conclave ne devrait donc exclure aucune barrette rouge. Toutefois, la question peut faire l’objet d’une rumeur parce que quelqu’un y a pensé.

Après tout, on ne sait toujours pas si le cardinal Angelo Becciu peut participer au conclave, car il n’existe qu’un maigre communiqué de presse du bureau de presse du Saint-Siège sur sa renonciation aux prérogatives cardinalices. Le collège des cardinaux, par exemple, n’a pas délibéré.

Et c’est là le deuxième héritage du pape François : la réforme. Une réforme qui est restée juridiquement incomplète et qui a nécessité plusieurs ajustements. Le pape François n’est pas un pape uniquement gestuel. C’est un pape qui a beaucoup légiféré. Mais il l’a fait surtout avec des instruments juridiques légers, comme le motu proprio, et donc en fondant les décisions directement sur sa propre volonté. Le pape François pense que la partie juridique peut être corrigée à tout moment. En réalité, le vide juridique peut créer divers problèmes.

Il s’agit ainsi d’une réforme probablement incomplète, ou en tout cas à définir, qui laisse la possibilité à chacun de l’utiliser à sa guise. Il n’y a pas de réforme du pape François tout simplement parce que la réforme est faite de nombreuses réformes fragmentées, d’avancées et de reculs, qui révèlent qu’il n’y avait pas de projet mais seulement une idée générale.

En bref, le Pape a fait de nombreuses micro-réformes, mais le problème sera de les aligner et de les faire tenir d’une manière ou d’une autre. Par exemple, d’une part, le pape donne un rôle plus important aux conférences épiscopales (il en parle dans Evangelii Gaudium) et leur transfère certaines responsabilités en matière de traduction des livres liturgiques. D’un autre côté, le pape apparaît toujours comme le décideur final. C’est aussi le cas pour le parcours synodal, dont il semble qu’il veuille aussi qu’il soit une grande expérience impliquant le peuple de Dieu.

En fin de compte, la réforme du Pape veut donner un rôle plus important aux laïcs, et pour ce faire, tout dépend de la mission canonique. Et qui donne la mission canonique ? Le pape ! On dit aussi que l’évêque conserve son rôle de guide du peuple de Dieu, même si le pouvoir ne découle plus de l’ordination épiscopale. Il y a toute une série de contradictions à résoudre.

Peut-on dire que l’héritage du pape François risque d’être avant tout la confusion ? Est-il légitime de penser qu’après ce pontificat, il faudra remettre les morceaux en place et donner à tout une nouvelle forme et une nouvelle structure ?

Le vrai problème est que, ces dernières années, le sens de la romanité qui a toujours garanti l’universalité semble s’être perdu. Même le pape a une perspective qui, en dehors de cette idée romaine, devient locale et une réalité circonscrite. Le point de vue du pape François provient de ses expériences personnelles, mais il ne s’agit pas d’une perspective tournée vers l’Église universelle. Il y a beaucoup d’Amérique latine dans la façon dont le pape François voit la Curie.

Le grand défi après le pape François sera donc de trouver une nouvelle perspective universelle pour l’Église, une perspective qui ne concerne pas seulement les défis sociaux. Ces derniers sont une question politique très développée chez le pape François. En fait, ses appels notables sur l’environnement, les migrations, la bonne politique et la lutte contre la corruption sont largement répandus et font partie intégrante de ses textes, de ses discours et de ses encycliques.

Cependant, il manque peut-être un concept universel de la foi qui dépasse la piété populaire et les peuples, et qui mette vraiment le Christ au centre. Non pas que le pape François ne le fasse pas. L’idée d’une foi qui imprègne toutes les structures doit être ajoutée au pragmatisme de la foi.

Au lieu de cela, c’est comme s’il y avait une séparation : d’un côté, les réformes structurelles ; de l’autre, les idées sociales ; et enfin, la foi et la piété populaire. Surmonter ces dichotomies est probablement le défi le plus important pour l’Église de demain.

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