L’Eglise a toujours été réticente à reconnaître les apparitions mariales, elle a certainement d’excellentes raisons pour cela et il n’est pas question ici de les remettre en cause (par exemple, le débat reste vif, sans doute à juste titre, autour des apparitions de Medjugorje, en Bosnie Herzégovine). Il semble toutefois qu’avec le nouvel Observatoire créé récemment pour mettre de l’ordre sur le sujet, les choses prennent une tournure un peu différente: les apparitions qui s’en prennent à CE pape sont spécialement dans le collimateur, et les « observateurs », suivant le pape lui-même, semblent un copié-collé des fact-checkers profanes, qui passent au crible de la bien-pensance les propos non conformes. Les explications de Giuseppe Nardi

Rome prépare-t-elle une « Cancel Culture » contre Marie ?

Les apparitions mariales doivent-elles être totalement occultées ou du moins disciplinées lorsqu’elles critiquent le pape ?

Giuseppe Nardi
katholisches.info

Depuis le 15 avril, le nouvel Observatoire des apparitions et des phénomènes mystiques liés à la Vierge Marie et à la Mère de Dieu est actif au Vatican. Il est rattaché à l’Académie pontificale mariale internationale (PAMI) et dirigé par le père franciscain Stefano Cecchin. Le travail de relations publiques de ce dernier est depuis lors très intense. Le point positif : des orientations pour reconnaître les « fausses informations » et les « ‘apparitions’ fausses et frauduleuses » sont appropriées et nécessaires. Le négatif : les critiques parlent de l’établissement d’une cancel culture. ecclésiastique qui pourrait être dirigée contre les phénomènes d’apparition.

Fin avril, le P. Cecchin a déclaré dans une interview au média Internet Alfa y Omega :

« Il y a des signes avant-coureurs : Une mère veut-elle punir ses enfants en leur envoyant des maladies, la mort… ? En aucun cas. Les apparitions qui parlent de punitions de Dieu sont donc absolument fausses ».

Trois semaines plus tard, lors d’une émission de la chaîne espagnole Trece (13TV), il a souligné qu’une des tâches principales de l’Observatoire est de distinguer les vraies des fausses apparitions, tout comme la piété mariale saine de celle qui est malsaine.

Le 17 juin, l’Avvenire, le quotidien de la Conférence épiscopale italienne, a publié en ligne, et le 18 juin dans son édition papier, l’article de Riccardo Maccioni : « Vraies ou fausses apparitions mariales, voici ‘les critères’ pour les distinguer », basé sur une interview du P. Cecchin.

Comme il l’avait déjà fait dans son interview de mai, le mariologue franciscain précise :

« Nous sommes une commission d’étude. Nous ne voulons pas nous substituer aux diocèses, mais les aider, les soutenir dans leur engagement ».

« En fait, elle a été créée dès 2018, mais à cause du Covid, l’officialisation a été retardée. La mission de notre académie est de proposer une formation mariologique solide en vue d’une piété populaire tout aussi solide. »

« Nous n’avons rien à voir avec le phénomène lui-même. Nous sommes une institution interdisciplinaire qui réalise des études, rassemble du matériel et le met à disposition pour la formation de ceux qui participent à ces commissions locales. C’est un peu comme dans les universités de médecine : La faculté enseigne, mais le traitement se fait à l’hôpital. Nous sommes la faculté, les diocèses sont les hôpitaux ».

Rien qu’en Italie, il y aurait actuellement une centaine d’apparitions mariales.

« Nous travaillons à aider les gens à développer une conscience critique face à ces phénomènes, afin qu’ils sachent comment se défendre contre ceux qui veulent manipuler leur foi ».

Selon le mariologue franciscain, le danger est bien réel :

« Surtout ces derniers temps, nous sommes confrontés dans le monde à des phénomènes mystiques qui traitent de sujets qui ne sont pas strictement liés au message de l’Evangile, qui est une annonce de joie, c’est-à-dire de reconnaître que Dieu aime tellement l’humanité qu’il a sacrifié son fils ».

« On attend des apparitions mariales qu’elles traitent de sujets ‘sacrés’. Dans ce sens, nous essayons d’analyser les choses de manière logique, à partir de ce qu’enseigne l’Evangile. Et ainsi, nous examinons ce qui est dit dans ces apparitions, quels jeux politiques ou économiques possibles pourraient se cacher derrière ces formes d’apparitions ».

Les explications du père Cecchin prennent alors une tournure particulière :

« Pourquoi les gens veulent-ils aujourd’hui saper le pape, l’Église, les institutions civiles ? Marie est porteuse de paix, elle vient pour nous conduire à une rencontre avec Dieu parce que Dieu m’aime, elle offre son fils pour les pécheurs, pas pour châtier le monde ».

La transition est très brusque, et laisse entendre qu’il s’agit manifestement d’un domaine d’activité central du nouvel Observatoire, à savoir contrer les phénomènes qui veulent « saper le pape, l’Eglise, les institutions civiles ».

De quoi s’agit-il exactement ?

Le père Cecchin ne développe pas cette parenthèse étonnante, mais explique qu’il existe des critères pour déterminer l’authenticité des apparitions.

« Le premier critère, fondamental, est la parole de Dieu. Aucun message des apparitions dites privées ne doit être en contradiction avec la révélation contenue dans la Bible, dans l’Écriture Sainte ».

Un autre élément d’évaluation est la question de savoir QUI reçoit les messages.

« La figure du voyant doit être empreinte d’une grande humilité. ‘Car il a regardé la bassesse de sa servante’, dit le Magnificat ». Et au contraire? Je suis frappé par le fait qu’il y a des voyants modernes qui ont besoin d’un avocat. Si je suis croyant, si Marie m’apparaît vraiment, je n’ai pas besoin des autorités civiles pour me défendre ».

« Dans l’histoire des apparitions et des phénomènes mystiques, les personnes qui ont reçu ces dons ne se sont jamais retournées contre l’Eglise. La Vierge ne vient pas pour bavarder ou parler contre le pape et l’évêque, mais pour me guider à suivre Jésus : Faites ce qu’il dit, demande-t-elle aux noces de Cana ».

Et une fois de plus, les « apparitions » qui « parlent contre le pape » se retrouvent dans la ligne de mire.

Selon lui, cela n’a fondamentalement aucun sens de regarder « uniquement » Marie :

« Comme on le dit, Marie conduit toujours à Jésus, si tout s’épuise en elle, nous sommes dans l’idolâtrie. Dans l’iconographie franciscaine de l’Immaculée Conception, Marie a l’enfant dans ses bras et tient le pied sur le serpent, mais c’est l’enfant qui écrase celui-ci avec une lance en forme de croix. Le Christ est le centre ».

Selon lui, le cœur du message ne change pas, mais le style dans lequel il est présenté s’adapte à l’époque :

« Dans les apparitions, Dieu regarde à travers Marie les besoins de l’époque, la mentalité, la culture actuelle. Par exemple, dans le passé, il y avait surtout la peur de Dieu et de son châtiment ».

Le cœur de l’Évangile ne serait toutefois pas la peur de l’enfer.

« Le message de l’Evangile est avant tout une annonce de joie. L’ange dit à Marie : ‘Ne crains rien’ « .

Selon lui, ce n’est pas une image de la peur.

« Le problème, c’est que le diable veut diviser l’Église. Et pour y parvenir, il se sert aussi des pseudo-révélations ».

Selon lui, l’Observatoire a été créé pour les détecter.

« Nous travaillons à aider les plus faibles avant tout à avoir une conscience critique, à savoir comment se protéger des escrocs, de l’arnaque de ceux qui veulent profiter des difficultés économiques, spirituelles et physiques pour les manipuler. Le pape François veut créer une maison commune dans laquelle les gens sont autonomes et indépendants, sans conditionnement ».

Le pape François l’a dit différemment et plus directement dans une émission de télévision diffusée le 4 juin. Il a invité à ignorer par principe les phénomènes d’apparition, car ils ne sont « pas toujours vrais ». Il a dit textuellement :

« [il ne faut] pas chercher là, car chercher là est un instrument de la piété mariale qui n’est pas toujours vraie ».

Le pape François veut-il donc tenir le phénomène des apparitions mariales à l’écart du peuple croyant et l’effacer, et le nouvel observatoire est-il un instrument pour cela, en tout cas pour empêcher – selon le père Cecchin – toute critique du pape au pouvoir ?

Il devrait être intéressant de se demander pourquoi et comment des phénomènes d’apparitions critiquant le pape au pouvoir se produisent, et comment il convient de classer cette évolution.

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