Alors que la « mission de paix » confiée par le Pape au cardinal Zuppi piétine, voici un article étonnant, publié sur L’Unità, journal de gauche par antonomase, fondé par Gramsci et ex-organe du Parti Communiste italien. L’article est repris par le très intéressant blog de Vik van Brantegem, directeur de korazym.org. Berlusconi a emporté son secret dans sa tombe, et je doute que Poutine lève le voile

Une initiative pour la paix nécessaire qui a échoué

Dans son éditorial publié aujourd’hui dans L’Unità, Piero Sansonetti [le directeur du journal] raconte qu’au Vatican, en juin 2022, on travaillait à une rencontre directe entre Berlusconi et Poutine. Et que l’on estimait qu’il s’agirait d’un bond en avant vers la paix. Mais il s’est passé quelque chose.

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Dès leur première rencontre, en 2001, Silvio Berlusconi et Vladimir Poutine se sont immédiatement appréciés, lorsque le Cavaliere – alors Premier ministre – a accueilli le président de la Fédération de Russie en Italie, à l’occasion du sommet du G8 à Gênes. Une relation de plus de 20 ans, au cours de laquelle les deux hommes ont échangé des cadeaux, passé des vacances et des anniversaires ensemble, entre la Costa Smeralda et Sotchi. Et après la mort de Berlusconi, le 12 juin 2023, Poutine s’est souvenu de lui en demandant une minute de silence à sa mémoire lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg qui a suivi.

Vik van Brantegem,
korazym.org
30 juin 2023

Rencontre entre Poutine et Berlusconi pour la paix organisée par le Vatican: qui l’a sabotée ?

Piero Sansonetti
L’Unità, 29 juin 2023

En juin 2022, Silvio Berlusconi discuta avec la hiérarchie du Vatican d’un éventuel voyage à Moscou. Le Vatican était convaincu que la relation directe de grande amitié entre l’ancien Premier ministre italien et Vladimir Poutine pourrait être décisive dans la résolution du conflit en Ukraine. Le gouvernement, rappelons-le, était dirigé par Mario Draghi, soutenu par une très large majorité et, à l’époque, encore uni sur la ligne interventionniste.

Un éventail impressionnant qui comprenait la Ligue, les « Cinq Étoiles », Forza Italia elle-même et les partis de centre-gauche. Le ministre des affaires étrangères était Luigi Di Maio, qui agissait plus ou moins en tant que porte-parole de Draghi.

Toutefois, d’après ce que m’a dit ma source, le gouvernement italien n’était pas impliqué. Passer par la diplomatie officielle italienne aurait eu deux conséquences négatives. La première, automatique, était que les Américains (auxquels le gouvernement Draghi était largement subordonné, même si ce n’était pas encore sous la forme complète de l’actuel gouvernement Meloni) auraient été informés immédiatement de l’initiative, et les Américains auraient pu la boycotter. La deuxième conséquence aurait été un probable durcissement de Moscou, qui ne voyait pas d’un bon œil l’Italie, dont elle attendait une position plus neutre et une certaine attitude de médiation, qui n’avait pas été au rendez-vous.

La diplomatie du Vatican a donc agi seule, en utilisant ses instruments et ses connaissances – politiques et religieuses -, mais elle a voulu emprunter cette voie très particulière, à savoir utiliser l’amitié de Berlusconi pour Poutine et ses compétences considérables en matière de politique étrangère.

À l’époque, le Vatican était convaincu que la mission de Berlusconi à Moscou, si elle s’était concrétisée, aurait eu un résultat résolument positif, voire décisif.

La tentative est allée très loin. Il semble qu’une rencontre directe entre Berlusconi et Poutine ait même été convenue. C’était la clé de voûte de l’opération. La guerre ne durait que depuis quatre mois, les dégâts humains et matériels étaient déjà énormes, mais si la mission avait été menée à bien, il aurait certainement été possible d’éviter ou d’atténuer les dégâts encore plus importants et les massacres qui ont eu lieu l’année suivante, jusqu’à aujourd’hui.

Le pape – avec le recul – est intervenu à plusieurs reprises au cours de ces semaines en faveur de la paix. Jusqu’à dénoncer la responsabilité de l’Occident dans la guerre et à polémiquer avec les dirigeants européens et américains. Il n’est pas impossible que son initiative ait été dictée non seulement par des raisons éthiques évidentes, mais aussi par des raisons diplomatiques. Ma source ne m’a pas dit si le pape était directement au courant de cette initiative, mais il est très probable qu’il l’était. La question à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse est la suivante : quand et pourquoi cette initiative a-t-elle vu le jour ?

Je me souviens très bien d’un appel téléphonique que j’ai reçu début juillet de Silvio Berlusconi (dans toute ma vie, je crois que j’ai reçu deux appels téléphoniques de Berlusconi, une personne avec laquelle je n’avais aucune relation de confiance) qui m’a parlé de l’Ukraine pendant au moins une demi-heure. Il m’a énuméré toutes les raisons des Russes, les fautes de l’Occident, et a insisté sur la nécessité de la paix, dont l’Italie était un protagoniste sans pour autant rompre ses liens de loyauté avec l’OTAN. Son souci, je crois, était le suivant : comment concilier sa tendance pacifiste évidente – née non seulement de questions idéalistes mais aussi de la realpolitik et de la conception de la géopolitique – avec la nécessité de ne pas isoler l’Italie au sein de l’alliance atlantique.

Berlusconi a été l’homme de Pratica di Mare [base militaire du Latium où la Russie et les 19 pays de l’OTAN s’étaient retrouvés en mai 2002 pour créer un « Conseil commun » Russie-OTAN – ndt] , c’est-à-dire du sommet de 2002 au cours duquel il a réussi à rapprocher les États-Unis et la Russie, ainsi que leurs présidents, Bush Junior et Poutine, comme ils ne l’avaient jamais fait depuis Roosevelt. Je ne sais pas exactement pourquoi Berlusconi m’a fait faire cela.

Je ne sais pas exactement pourquoi Berlusconi m’a passé ce coup de fil (que je n’ai rapporté que partiellement et sous forme anonyme, comme convenu, dans Il Riformista, que je dirigeais alors et qui, à part Avvenire .. était le seul quotidien à orientation pacifiste). Et je ne sais pas si, au moment où il m’a téléphoné, l’hypothèse de la mission à Moscou avait déjà échoué ou était encore en cours. Cependant, je pense qu’il est très raisonnable de penser que ce coup de fil, certainement inhabituel, était lié à l’initiative Berlusconi/Vatican.

Qui l’a fait échouer ? J’exclurais que ce soit l’Église. Cela me semble très peu probable, surtout si l’on considère les attitudes absolument pacifistes adoptées par le Vatican par la suite, y compris lors de la dernière mission du cardinal Zuppi. C’est donc la politique. Mais de quel secteur politique s’agit-il ? La crise gouvernementale ouverte à l’époque par Conte et qui a débouché sur les élections de septembre y est-elle pour quelque chose ? Y a-t-il eu une ingérence étrangère ? Par qui ? Par les États-Unis, par l’Europe ? Malheureusement, après la mort de Berlusconi, il sera beaucoup plus difficile de répondre à ces questions.

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